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D’origine irakienne, Feurat Alani nous avait enchanté avec son premier roman, Je me souviens de Falloujah. Dans Le ciel est immense, on retrouve sa plume sensible et poétique. Taymour, photographe franco-irakien, est obsédé par la figure d’Adel, un oncle engagé dans l’armée de l’air irakienne. Après avoir décollé à bord d’un MIG 21 en 1974, il a disparu sans laisser de trace, l’Etat considérant que l’avion s’est écrasé. Taymour ne supporte plus les silences qui entourent son évocation. Lors d’un voyage à Bagdad en 1990, autour de thés aux épices, sa grand-mère lève une partie du voile sur ce fantôme. « La vérité se cache souvent entre les lignes » dit-elle. Quelques bribes de lettres, des carnets d’Adel, des entretiens avec la famille, permettent de dessiner le parcours d’un homme envoyé en formation en URSS, mais toujours épris de justice et de liberté. Un esprit soucieux de surmonter les contraintes sociales et les diktats du pouvoir. En mêlant archives et souvenirs personnels, l’écrivain inscrit son roman dans l’histoire de l’Irak de 1938 à 2008, avec la guerre des Six Jours, l’arrivée au pouvoir de Saddam Hussein, les liens avec l’Union soviétique. Feurat Alani se livre à une étonnante enquête familiale, mais aussi à une formidable épopée de l’espace qui s’inscrit dans la lignée d’un Saint-Exupéry ou d’un Romain Gary. Une histoire de famille singulière, portée par une écriture limpide, qui se lit comme un thriller. Un roman émouvant qui aborde les secrets de famille, la mémoire et l’exil. 

Un peintre talentueux déserteur

Gaëlle Nohant nous plonge dans un contexte bien différent. Hiver 1917, dans les Pyrénées près de Collioure. Un homme déguenillé demande l’asile au château d’un domaine viticole lors d’un violent orage. C’est un peintre talentueux qui connaît la maison, un déserteur. La maîtresse des lieux, une aristocrate autoritaire dont le fils et le mari sont au front le congédie avec mépris. Prise de pitié, sa fille Isaure, candide et exaltée, le cache dans le grenier à l’insu de tous. Entre la jeune femme rebelle qui découvre les traumatismes de la guerre en soignant les blessés et Théodore, artiste avide de garder une part d’humanité, une idylle se noue. Une domestique qui a découvert les manigances menace de dénoncer Isaure et se livre à des chantages. En cette période de bouleversements, les trois femmes sont confrontées aux conventions de leur milieu, chacune rêve à sa façon de s’émanciper. Le roman met aussi en valeur l’effervescence artistique de l’époque ; fauvistes, expressionnistes rivalisent d’audace, nouent des relations à l’étranger. Dans ses cauchemars récurrents, Théodore s’interroge sur le sort de ses amis allemands August Macke et Franz Marc. Le peintre pose la question de la honte, du courage, l’art survit-il à la guerre ? Une écriture aux accents lyriques, un récit tendu entre l’histoire collective et la vérité intérieure. 

Par Isabelle Wagner 

Feurat Alani, Le ciel est immense, JC Lattès, 2025, 272 p., 20,90 €  

Gaelle Nohant, L’homme sous l’orage, L’Iconoclaste, 2025, 430 p., 21,90 €