Vendredi dernier, les étudiants en Master1 MEEF (Métier de l’enseignement, de l’éducation et de la formation) de l’université de Montpellier ont planché, pour leur partiel de Français, sur un extrait de La grande maison, un roman de Mohammed Dib paru aux éditions Seuil en 1952. L’extrait met en scène un jeune garçon, Omar, pendant une leçon de morale donnée par son maître d’école au temps de l’Algérie française : « Patrie ou pas patrie, la France n’était pas sa mère. Il apprenait des mensonges pour éviter la fameuse baguette d’olivier. C’était ça, les études ». Une fois encore, les étudiants français, ici ceux qui se destinent à en former d’autres, sont priés de se plier au discours dominant distillé par un écrivain qui s’est battu contre la France et pour l’indépendance. Pourtant, une autre mémoire existe, d’autres écrivains, d’autres maillons de transmission se battent pour que l’identité et l’héritage pied-noir ne finissent pas ensevelis sous la doxa dominante. Un de ces maillons : la Librairie Pied-Noir.

Une autre mémoire de l’Algérie française 

Fondée en 2011 par François Calmein, la Librairie Pied-Noir, une librairie en ligne, se bat pour faire rayonner l’identité pied-noir et transmettre la vérité sur la colonisation, sur la vie des Français en Algérie, et sur la guerre qui a terminé cette histoire dans un bain de sang. Pierre Belmontet, qui a repris la librairie en février 2023, est fils de Pieds-noirs : dans sa famille, cinq générations se sont succédées sur la terre algérienne. Curieux de son Histoire et de ses racines, il reconnait avoir eu « la chance d’avoir un grand-père loquace » même s’il ne parlait pas de la guerre, mais seulement des souvenirs et de la façon de vivre de l’autre côté de la Méditerranée. La Librairie Pied-Noir n’apporte rien d’autre à Pierre Belmontet que la satisfaction de transmettre un peu de cette Histoire que le discours politique et historique voudrait faire taire. Il veut « apporter sa petite pierre à la transmission de notre histoire et de notre culture mal présentée et toujours à charge ». Pourquoi les Français ont-ils colonisé l’Algérie ? Qui connait encore l’histoire des hordes de pirates qui enlevaient des chrétiens pour en faire des esclaves dans la Régence d’Alger ? Qui se souvient de ceux qui ont construit l’Algérie quand elle est devenue française ?

Pour transmettre cette identité désavouée, la Librairie Pied-Noir ne propose pas seulement des ouvrages historiques ou académiques, Pierre Belmontet explique que les jeunes générations s’intéressent plus au mode de vie, aux coutumes ou même à la cuisine. Il vend donc des livres de recettes pieds-noirs et c’est par la gastronomie que les jeunes générations renouent avec leurs racines. Par le plaisir en général d’ailleurs, puisque les sagas familiales elles aussi rencontrent un certain succès : les BD racontant l’histoire de la famille Dieudonné, par exemple, le roman Le Cri du chacal de Sylvanie d’Ailhet, ou bien encore Les conquérants du monde ancien écrit par Pierre-B. Décaillet d’où sera tirée une BD avant Noël. Pierre Belmontet vend peu de livres sur la guerre en elle-même : « Cela fait du mal aux anciens et les jeunes ne s’y intéressent pas : peut-être parce qu’on leur a raconté [la guerre d’Algérie] à l’école d’une manière qui n’était pas la bonne, soit ne veulent pas en entendre parler ». Trop de désinformation a nui à la transmission et beaucoup de Pieds-Noirs en s’intégrant en métropole ont tourné la page et n’ont pas ou peu transmis cet héritage.

Maillon de transmission

Alors, la Librairie Pied-Noir existe pour « transmettre la culture pied-noir aux jeunes générations, qu’ils soient descendants, amis ou tout simplement curieux de mieux connaître ce pan de l’Histoire de France souvent critiqué, toujours décrié et présenté de manière biaisée. »Maillon de transmission ou chaîne de mémoire, la librairie s’ouvre à ceux qui veulent connaître les différentes facettes de l’Algérie française. Les nombreux titres proposés permettent de connaitre l’Histoire française en Algérie, de comprendre les relations franco-algériennes et d’entendre un autre discours que celui s’est imposé. Pierre Belmontet vend 500 à 700 livres par an (800 livres environ pour cette année, qui est peut-être la meilleure que la librairie ait jamais connue), permettant à tous ceux qui voudraient se faire une opinion de lire tous ces non-dits désormais fixés par écrit.

À l’heure où les relations entre la France et l’Algérie sont plus que tendues, à l’heure où l’Éducation nationale peine à construire une unité nationale, à l’heure où la fracture française n’a jamais été aussi visible, où la « mère patrie » n’est plus qu’une vague notion, transmettre un autre discours que celui de ceux qui ont lutté contre la France semble plutôt opportun… La Librairie Pied-Noir permet à tous d’entendre une autre voix, une autre mémoire : celles de ceux qui ont aimé et aiment la France.


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