Un document interne du ministère russe de la Défense, qui a fuité lundi 7 octobre, lève le voile sur un sombre secret d’État: le nombre de soldats russes tués en Ukraine depuis le début de l’année. Selon ce rapport, publié par une organisation non gouvernementale ukrainienne, Moscou aurait enregistré près de 280.000 pertes depuis janvier, un chiffre qui en dit long sur l’ampleur du désastre humain occasionné par son invasion de l’Ukraine.
Il s’agit des premières données précises relatives aux pertes militaires russes pour l’année 2025. Le nombre de victimes est proche de celui des estimations croisées du média russophone Meduza et du service russe de la BBC, recensant 219.000 pertes ces neuf derniers mois. En juin, le Kremlin aurait tristement dépassé le seuil symbolique du million de tués et blessés au combat liés à la guerre en Ukraine, selon The Guardian.
Côté ukrainien, les chiffres demeurent tout aussi effroyables: plusieurs centaines de milliers de soldats et civils auraient été tués, même si aucun bilan officiel n’a été publié. En juillet, la Mission de surveillance des droits de l’homme des Nations unies en Ukraine signalait près de 300 civils tués et 1.400 blessés –le mois le plus meurtrier depuis mai 2022.
Face à ses lourdes pertes, Moscou multiplie les initiatives pour mobiliser les citoyens russes. Les autorités ciblent notamment les hommes âgés de 30 à 39 ans, l’une des tranches d’âge les plus frappées par le conflit. «Ce sont des hommes qui allaient entrer dans la période la plus lucrative de leur carrière. Au lieu de cela, les soldats volontaires sont attirés par les primes faramineuses offertes par le gouvernement pour se battre, et souvent mourir», regrette dans les colonnes de Forbes Andrew D’Anieri, directeur adjoint du Centre Eurasie de l’Atlantic Council.
En plus des départs au front et des pertes humaines engendrées par le conflit s’ajoute un autre fléau: l’émigration. Depuis le début de l’invasion, des centaines de milliers d’opposants à la guerre ont quitté le pays pour la Géorgie ou le Kazakhstan, voire l’Union européenne ou l’Asie du Sud-Est. Un phénomène qui s’accentue avec le prolongement de la guerre. Selon l’Université de Stanford, près d’un million de Russes ont émigré entre février 2022 et mai 2024, pour la plupart des profils CSP+.
Une démographie en chute libre
«La guerre d’agression menée par Poutine détruit l’avenir de la Russie, avec la mort de centaines de milliers de soldats et l’exil de jeunes parmi les plus brillants du pays», déplore le professeur Brian Taylor, directeur de l’Institut Moynihan des affaires mondiales à l’Université de Syracuse, dans l’État de New-York.
Autre problème pour le Kremlin: l’effondrement démographique. Un rapport du Carnegie Endowment publié en septembre fait état d’une baisse du taux de natalité couplée à une hausse de la mortalité masculine. Les citoyens âgés de plus de 65 ans représentent désormais plus de 18% de la population –un record historique. Le vieillissement s’accélère alors que la jeunesse décline, ce qui laisse planer la menace d’un effondrement des systèmes de retraite et de santé du pays.
Autre facteur expliquant cette démographie en berne: la faiblesse du soutien public aux familles. Depuis 2022, moins d’1% du PIB russe est consacré au soutien des ménages, contre 7.2% pour la défense rien qu’en 2025. Une politique nataliste quasi inexistante, qui freine la natalité.
Avant l’invasion à grande échelle de 2022, la Russie comptait 147 millions d’habitants. Ils ne seraient plus que 144 millions aujourd’hui, selon le Fonds des Nations unies pour la population. Et la tendance pourrait empirer: si ces problèmes démographiques persistent, l’ONU prévoit une chute à 57 millions d’ici 2100, soit une perte de plus de la moitié de la population en seulement 75 ans.
Entre pertes militaires, exils et natalité en berne, la population russe s’amenuise. Reste à savoir quelles solutions le gouvernement entend apporter. Même si pour l’instant, la guerre en Ukraine semble être la priorité absolue du président Vladimir Poutine, au détriment de l’avenir du pays.