- REPORTAGE – À l’occasion de la journée nationale de la résilience, la ville de Paris a organisé lundi un exercice de crise « Paris inondé ».
- La simulation a mobilisé les pompiers de Paris, la Croix-Rouge, la Protection civile, mais aussi des volontaires et une classe de CM2.
- Évacuations, premiers secours, ateliers pédagogiques… l’objectif est de créer une culture du risque chez les Français.
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13 mars 2026, 8h28. La cellule de crise est réunie autour de Marie Villette, secrétaire générale de la Ville de Paris, et de Pénélope Komitès, adjointe de la maire Anne Hidalgo. Les mines sont graves. Et pour cause : Paris vit au rythme d’une crue centennale. Depuis deux mois, la Seine déborde, mais dans la nuit, la situation s’est aggravée après un nouvel épisode orageux : le fleuve a franchi les 7,10 mètres. Déjà 300.000 Parisiens ont été évacués. Dans toutes les têtes, une crainte : que le seuil historique de 8,62 mètres, atteint en 1910, ne soit franchi.
Tel est le scénario qui s’est joué lundi à l’occasion d’un exercice de crise grandeur nature baptisé « Paris inondé » et organisé par la Ville de Paris.
Marianne EnaultLa crainte des effets dominos au-delà de 7 mètres de crue
« Jusqu’à »7 mètres, on sait gérer, même si bien sûr, on rencontre des difficultés, au-delà, on a des plans, des cartes, des idées, mais pas la pratique, explique Ziad Touat, chez Crisotech, l’entreprise spécialiste de la gestion de crise qui a aidé la Ville de Paris à monter cet exercice. Au-delà de 7 mètres, on a des effets dominos et les inondations peuvent impacter jusqu’à un million de personnes. »
Voilà pourquoi la ville s’entraîne. Et avec elle, la Brigade des sapeurs-pompiers de Paris (BSPP), la Croix-Rouge, la Protection civile, la police municipale, mais aussi des femmes et des hommes membres des Volontaires de Paris. Pour l’occasion, une classe de CM2 a même été mobilisée : les 23 élèves de l’école Poulletier, située sur l’île Saint-Louis, jouent leur propre rôle, d’enfants évacués. Au total, 80 personnes sont mobilisées.
« L’objectif est de renforcer la sensibilisation des Parisiens au risque d’inondations », a rappelé en préambule Pénélope Komitès, adjointe à la maire de Paris, chargée de l’innovation, de l’attractivité, de la prospective Paris 2030 et de la résilience, mais aussi de tester sur le terrain les mesures prévues en cas de crue et d’améliorer la coordination entre les différents acteurs.
Ce n’est pas une première, la ville avait déjà organisé « Paris à 50 degrés » pour simuler une vague de chaleur extrême et ses conséquences en cascade.
Pas de gaz ni d’électricité, pas de transports ni de chauffage
Malgré le soleil d’automne, qui contraste avec un lendemain d’orage, tous les participants jouent leur rôle avec le plus grand sérieux. Dans la salle de la cellule de crise, un faux journal télévisé est diffusé sur grand écran, décrivant la situation difficile dans un Paris privé de tout ou presque. Autour de la table, tout le monde sait que c’est faux, mais les images et le ton inquiet de la présentatrice donnent tout de même la chair de poule. Tour à tour, les responsables des différentes directions de la ville prennent la parole pour partager leurs problématiques.
Coupures de gaz, d’électricité, de chauffage urbain, lignes de métro totalement ou partiellement interrompues, ascenseurs bloqués, gymnases transformés en lieux d’accueil, collecte des déchets à l’arrêt, remontée de nappes, coupure des réseaux, commerces fermés, activités économiques stoppées… la liste est longue.
Concrètement, on ne peut plus vivre dans Paris, même quand on vit loin de la Seine.
Pénélope Komitès, maire adjointe de Paris
Aux problématiques matérielles et humaines, liées pour l’essentiel aux évacuations, s’ajoute l’inquiétude sanitaire : les égouts menacent de déborder et de mettre à terre tout le réseau d’assainissement. « La rive droite sera bientôt totalement isolée », entend-on dans la salle. Le risque de pénurie alimentaire s’installe. C’est le fameux « effet domino », redouté par tous. « Concrètement, on ne peut plus vivre dans Paris, même quand on vit loin de la Seine », commente en aparté Pénélope Komitès.
En cas de crue centennale, c’est la préfecture de Paris qui donne l’ordre d’évacuation aux personnes concernées, via notamment l’application FR-ALERT. Mais les services de secours et de la ville savent aussi qu’il faut gérer les auto-évacuations. Même les Parisiens qui vivent loin du fleuve sont concernés, privés de toilettes par exemple.
Marianne EnaultUn immeuble « bac à sable »
Lundi, les 23 élèves de l’école primaire, accompagnés de leur directeur, ont simulé être des habitants du 109 rue de l’Hôtel de Ville, évacué ce jour-là par les pompiers, la Protection civile et la Croix-Rouge. Une pancarte autour de leur cou indique leur rôle d’un jour : mineur isolé, enfant blessé à la main, personne sans-abri… tous les cas de figure sont présents.
« On a choisi cet immeuble que l’on appelle immeuble ‘bac à sable’ car c’est un lieu dans lequel on va rencontrer toutes les problématiques que l’on peut rencontrer dans un immeuble parisien, qu’on soit dans le XVIe ou dans le XIXe », explique le spécialiste des crises Ziad Touat.
Par petits groupes de trois ou quatre, les enfants, couverture de survie sur les épaules, sont évacués par les membres de la Croix-Rouge, dirigés vers une tente de triage où les bénévoles prennent leur identité et s’enquièrent de leur état de santé. « Est-ce que tu peux marcher ? », demande l’un des secouristes à un enfant. « Je ne sais pas », répond ce dernier.
Consigne a été donnée aux nombreux journalistes présents de ne pas perturber l’exercice, enfants et adultes sont donc interrogés comme si la crue centennale était une réalité. « J’ai mal au genou », dit une petite fille, « j’ai vraiment très froid », grelotte une autre sous sa couverture dorée. « On a eu très froid, c’était atroce », confirme le directeur de l’école qui pour l’occasion joue le père de famille.
Hypothermie, blessures et traumatismes
« L’hypothermie fait partie des pathologies les plus fréquentes en cas d’inondations, explique un secouriste. Mais les personnes peuvent s’être aussi blessées avec un débris dans l’eau ou avoir un traumatisme. » Les blessés les plus graves sont évacués en ambulance, les autres sont guidés vers l’Académie du Climat, où une salle de premiers secours a été montée pour les blessés légers. Les enfants et les adultes en bonne santé sont, eux, conduits dans une autre pièce, dite salle des « impliqués », où ils peuvent se reposer, boire une boisson chaude et manger quelque chose.
« J’étais stressé », témoigne Basile, 10 ans, une fois l’exercice passé. « Mais c’est important de s’entraîner, comme ça, on sait quoi faire si ça arrive », poursuit son copain Nils, à ses côtés. Tous deux jouaient des mineurs isolés. « Ça veut dire des enfants dont les parents ne sont pas là », expliquent-ils en chœur.
Marianne Enault
Si c’est pour sauver des vies, ça vaut le coup.
Une habitante de l’immeuble évacué
À l’extérieur, la Brigade des sapeurs-pompiers de Paris est à pied d’œuvre pour sortir une habitante du troisième étage. Son état n’est pas compatible avec un transport par les escaliers, elle devra donc être évacuée par la fenêtre, dans une civière. L’opération est délicate, car les pompiers n’ont pas accès aux appartements voisins.
Trois militaires se harnachent et déploient un triangle de métal, permettant de faire glisser la civière le long du mur. La locataire de l’appartement regarde, inquiète, les hommes déployer, chez elle, beaucoup de matériel. « J’espère qu’ils ne vont rien casser », dit-elle, avant de se reprendre : « Si c’est pour sauver des vies, ça vaut toujours le coup. » Elle-même a été formée au sein de son entreprise pour secourir un collègue blessé.
Charlène, la jeune femme blessée dans la civière, touche terre. Des applaudissements accueillent la fin de la manœuvre, rappelant qu’il s’agit simplement d’un exercice. « Ce dispositif peut être utilisé selon deux scénarios d’évacuation, explique le lieutenant-colonel Nicolas Belain. Cela fonctionne par voie terrestre, tant que les rues sont encore praticables, mais aussi sur une embarcation, s’il y a trop d’eau pour faire rouler le camion. »
Marianne EnaultDes passerelles et des batardeaux
Peu après, un véhicule des pompiers, équipé d’un bras élévateur armé, se déploie pour secourir des enfants à la fenêtre. Ceux-ci montent à bord d’une nacelle, à la fois impressionnés et ravis de l’expérience. « J’ai mal au pied », dit l’un d’entre eux en descendant. Sa fiche indiquait une blessure au bras, peu importe, l’émotion de la descente est passée par là.
Un peu plus loin, l’architecte Pierre de Montigny fait une démonstration de sa « passerelle piétonne d’urgence inondation », PPUI dans son jargon. « Ce sont des passerelles qui se montent très rapidement, sans outil et par des personnes pas forcément entraînées, explique-t-il. Trois personnes peuvent monter 100 mètres par heure. » Conçues par Mutations Architectes et Metal passion, elles permettent, comme un Lego géant, de construire un labyrinthe de métal que les Parisiens pourraient emprunter pour évacuer. La Ville envisage d’en faire l’acquisition.
Enfin, la ville possède 80 batardeaux, des sortes de barrières ultra-étanches, qu’elle peut déployer le long de la Seine, là où il n’y a ni rambarde ni barrière. Chacun est fait sur mesure en fonction de la partie qu’il vient colmater.
« On le voit, on est beaucoup mieux protégé qu’en 1910, on a fait beaucoup d’aménagements, relève Pénélope Komitès. Mais en même temps, on est aujourd’hui tributaire de bien plus de réseaux qu’avant. » D’où l’intérêt de répéter, même s’il y a parfois quelques approximations ou moments de flottement. C’est tout l’intérêt de l’exercice, servir de répétition générale et acculturer les Français au risque.
La culture des « bons gestes »
Si des progrès ont été faits, par exemple avec les exercices d’alerte anti-intrusion dans les écoles, beaucoup reste à faire, par rapport aux pays d’Asie. Beaucoup de Français ont encore les mauvais comportements en cas d’incendie ou en cas d’inondations.
« Ce n’est pas que français, souligne l’adjointe d’Anne Hidalgo. On l’a vu aussi à Valence, en Espagne, pendant les inondations. Les habitants sont descendus dans leurs parkings pour récupérer leurs voitures et beaucoup se sont noyés. » L’élue cite encore cet habitant d’une tour à Beaugrenelle, dans le 15e arrondissement de Paris, qui lui a dit être à l’abri des inondations. « Il n’a pas pensé à l’ascenseur, à l’électricité, aux toilettes ! »
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« Il n’y a pas de secret : il faut répéter et répéter encore, explique Ziad Touat. En formant les enfants, on forme aussi les parents. »
L’un des messages clés de la matinée est la nécessité d’avoir une solution de relogement en cas de crise. « Chaque Parisien devrait s’être posé la question : où vais-je en cas de crue ? », insiste Daphné Maurel, directrice générale de la Protection civile Paris Seine.
La même logique prévaut pour les kits d’urgence, très peu déployés en France. « C’est le sac que l’on prend quand on nous dit qu’on a dix minutes pour évacuer, explique Pénélope Komitès. On y met une clé USB avec les documents importants, ses papiers, sa carte vitale, son contrat d’assurance, ses ordonnances et ses médicaments, une radio avec des piles… » Pénélope Komitès y a aussi mis les croquettes pour son chat.
Marianne ENAULT