Écrivaine (Vivre avec nos morts, 2021, Comment ça va pas ? Conversation après le 7 octobre, 2024), philosophe et rabbin, Delphine Horvilleur a aussi écrit la pièce Il n’y a pas de Ajar, Monologue contre l’identité interprétée par Johanna Nizard. Entretien avec la comédienne et metteuse en scène de ce solo en tournée au théâtre des Bernardines du 13 au 18 octobre.
On connaît les essais de Delphine Horvilleur, moins cette pièce de théâtre. Comment est-elle née ?
Delphine a toujours eu un amour pour les œuvres de Romain Gary. La parole de Gary est l’axe central de la pièce. Elle a pensé à cet être fictif (Abraham Ajar, le fils d’Émile Ajar, NDLR) pour lâcher des choses qu’elle avait en elle, qu’elle n’aurait peut-être pas pu dire de manière insolente, audacieuse, comme elle l’a fait. Il peut tout se permettre car il n’existe pas.
Qu’a-t-elle lâché ?
Cela lui a permis toutes les audaces. Être rabbin et dire merde à l’identité, merde à la croyance, je ne sais pas si elle aurait pu le dire dans ses essais ! Cela lui a permis de rire d’elle-même, de rire de nous, les juifs, de montrer à quel point il faut être insolent envers Dieu. On peut lui demander des comptes. Avec son génie, elle peut rire de la Shoah aussi. Le rire est, comme dit Gary, une supériorité sur la condition humaine, pour sortir des carcans que l’on nous impose.
Quels sont vos liens avec l’auteure ?
Delphine avait écrit pour un acteur à l’origine. Quand on s’est rencontré, on a beaucoup ri. Elle m’a dit : « J’ai un texte, fais en ce que tu veux ! ». Ajar parle beaucoup de la question du genre ; l’interprétation par une actrice donne encore plus de trouble et de force.
Delphine Horvilleur dénonce la montée de l’antisémitisme en France dans ses essais. Dans la pièce aussi ?
Elle parle d’antisémitisme comme elle parle de toutes les montées extrémistes. Elle essaie avant tout de déconstruire les communautarismes. L’antisémitisme, c’est certain, fait une montée fracassante en France. Comme elle l’a dit récemment au journal de 20 heures, nous devrions tous lutter contre ce fléau. C’est une question qui ne concerne pas les juifs, c’est une affaire qui concerne les Français.
La pièce a été écrite avant le 7 octobre 2023. Cet événement a-t-il eu un impact sur la tournée ?
Certains programmateurs ont peur de programmer Ajar et d’autres ont le courage de le faire, car c’est une voix importante. Ajar nous donne de l’air, il crée de l’amour. On continue de cheminer avec ce texte, qui devient presque vital.
La pièce est sous-titrée « monologue contre l’identité ». Vous sentez-vous assignée à une identité ?
Delphine Horvilleur est une personne médiatique. Ella a été immédiatement assignée : « Delphine Horvilleur égale Netanyahou » ou « Delphine Horvilleur égale colonisation ». On souffre évidemment de cette folie mais, en même temps, nous continuons à vivre et à marcher avec ce texte.
« Il n’y a pas de Ajar » du 13 au 18 octobre au théâtre des Bernardines. 10/24€. lestheatres.net