Par

Frédéric Patard

Publié le

14 oct. 2025 à 6h56

La bannière étoilée qui est amenée aux accents du Star Spangled Banner, le drapeau tricolore qui est hissé sur fond de Marseillaise. C’est le symbole de cette journée du 14 octobre 1945. Car ce jour-là, à la gare transatlantique, les autorités américaines remettent officiellement le port de Cherbourg aux autorités françaises.

« Une œuvre de guerre, une œuvre de paix »

Beaucoup plus qu’un geste symbolique. Car remis en état de fonctionner en un temps record par les troupes du génie portuaire américain pendant l’été 1944, le port de Cherbourg a joué ensuite un rôle essentiel dans la logistique militaire alliée. Et c’est un port opérationnel que les Américains redonnent aujourd’hui aux Français, équipé de quais, de grues, d’espaces de stockage… Un atout essentiel dans l’immédiat après-guerre, quand quasiment tous les ports français ont été détruits lors des combats et des bombardements de la Libération, et sont encore pour l’heure à l’état de ruines.

Le représentant du ministre de la Marine marchande le souligne d’ailleurs dans son discours :

« l’œuvre de guerre si admirable que vous avez accomplie à Cherbourg, va donc servir l’œuvre de paix qu’il faut entreprendre dès aujourd’hui. Grâce à la décision de principe si généreuse qui a été prise pour déclarer surplus l’essentiel de son outillage, le port de Cherbourg va pouvoir faire face à un travail considérable d’importation. Nous souhaitons que les navires américains viennent nombreux dans le port de Cherbourg ».

Le règne des liberty-ships

Et ils vont venir. Pas encore les paquebots qu’on avait l’habitude de voir dans la darse transatlantique avant-guerre. Mais des cargos et des liberty-ships qui viennent profiter des structures portuaires cherbourgeoises pour y décharger tout ce dont la France en reconstruction a besoin. Nourriture, vêtements, matériel ferroviaire, matériel de construction. Et du charbon, beaucoup de charbon. En 1947, c’est plus d’1,8 million de tonnes de marchandises qui sont débarquées à Cherbourg (dont 1,3 million de tonnes de charbon), pour le plus grand bonheur des centaines de dockers employés tous les jours sur le port : on en comptera jusqu’à 2 200 embauchés en une seule journée !

Et on dit merci qui ? Thank you, les Amerloques !

Un exploit du génie portuaire, un rôle logistique primordial

Quand les Américains libèrent Cherbourg fin juin 1944, ils découvrent un complexe portuaire en ruines, méthodiquement saboté par les Allemands.

Les Alliés ayant besoin d’un port en dur pour y débarquer leur matériel, ils remettent en état le plus rapidement possible le port de Cherbourg : déminage de la rade, des bassins, et des outils portuaires, construction de quais en bois et de postes d’accostage pour remplacer les quais en béton dynamités, mise en place d’un terminal pétrolier, aménagement d’un réseau ferroviaire… le tout mis en place en quelques semaines à partir de la mi-juillet 1944.

Trois mois et demi plus tard, un million de tonnes de matériel est déjà passé par Cherbourg, dont le trafic dépasse – de manière éphémère – celui du port de New York.

Quand le port est remis aux autorités françaises ce 14 octobre 1945, ce sont plus de 3 millions de tonnes de marchandises qui sont passées par Cherbourg en un peu plus d’un an, et 1,4 million de tonnes de carburant.

De ce fait, Cherbourg a été un maillon essentiel de la chaîne logistique alliée, capitale dans la victoire contre l’Allemagne.

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Ras-le-bol

Il était temps. Cherbourg devenue depuis l’été 1944 une base logistique primordiale de l’armée américaine, les G.I.’s sont omniprésents. Trop présents. Ils sont des milliers à travailler sur le port, réquisitionnant aussi entrepôts, écoles, stades pour y stocker leur matériel, abriter leurs services administratifs ou permettre à leurs hommes de jouer au base-ball. Le tout au détriment des Cherbourgeois.

INTOLÉRABLE

Et s’il n’y avait que ça. Car ils conduisent trop vite leurs énormes camions, régulièrement en état d’ivresse. Il y a souvent des accidents, des piétons renversés, des morts. Dans les rues, les femmes et les jeunes filles n’osent plus se promener seules, régulièrement importunées par des soldats américains qui pensent que leurs dollars, leurs uniformes et leur statut de libérateur, leur donnent tous les droits. Il ne se passe pas une semaine sans qu’à la rubrique des faits divers, on ne mentionne des vols, des agressions, des rackets, des coups de feu tirés en pleine rue, ou des viols.

La population s’émeut de cette situation, tandis que le journal La Presse Cherbourgeoise n’hésite pas à comparer les présences allemandes et américaines, pas forcément toujours en faveur de cette dernière ! Même le maire René Schmitt sort de ses gonds en septembre 1945 (soit quelques jours avant la cérémonie du 14 octobre 1945) quand il apprend qu’à l’orée de la rentrée scolaire, les Américains pourraient prolonger leur séjour dans plusieurs écoles cherbourgeoises :

« nous déclarons ne plus tolérer, maintenant que nous sommes en paix, que les militaires aient le pas sur la population civile, au plus grand dam de nos enfants ».

PAS DE RÉPIT

La mémoire courte par rapport aux sacrifices consentis par les Américains en 1944 ? Il y a un peu de ça. Mais il est aussi vrai qu’après quatre ans d’occupation allemande, les Cherbourgeois sont passés directement au « rythme américain » et que cette transition s’est opérée sans répit. Et les Cherbourgeois ont besoin de souffler. La remise du port à la France (et le départ des Américains) va leur permettre de retrouver enfin une vie « normale ». Mais avec tous les problèmes de l’après-guerre (notamment ceux du ravitaillement), les Cherbourgeois (et les Français) se trouveront bientôt bien aises de pouvoir ouvrir une boîte de corned-beef « made in America » …

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