L’étiquette lui colle au front depuis l’été dernier. Début juillet, un site Internet agrégateur de données en open data élevait Bordeaux au rang de « ville la plus dangereuse de France ». Médaille peu enviable et sujet inflammable. En témoignent la reprise de la nouvelle sur les réseaux sociaux de l’opposante et candidate aux municipales Nathalie Delattre, l’âpre débat au sein du dernier conseil municipal avec Thomas Cazenave, ou encore l’entrée en matière de Julie Rechagneux, candidate RN aux municipales, décrivant sur la chaîne YouTube de Frontières une ville gagnée par « l’ultraviolence » sur fond de présumé laisser-faire écologiste.
Dès le 4 septembre, lors de sa conférence de presse dite de rentrée, le maire Pierre Hurmic eut beau dénoncer une « fake news », la « paresse intellectuelle » de l’opposition prompte à la relayer, et assurer que le « niveau de délinquance était en baisse », son vibrant plaidoyer pour Bordeaux « joyeuse, rayonnante, ouverte sur le monde » sonnait décalé. Mais alors, où en est donc Bordeaux sur le front de l’insécurité ? Quels sont ces chiffres à qui les uns et les autres font dire tout et son contraire à force de les triturer ?
Premier enseignement, si des faits divers ont marqué la ville, notamment cette attaque au couteau mortelle perpétrée par un Afghan près du miroir d’eau, en avril 2024, non, Bordeaux n’est pas la ville la plus dangereuse de France. Car si l’agrégateur Ville-Data se base sur dix indicateurs du ministère de l’Intérieur, il se passe notamment, pour diverses raisons invoquées en bas de page, du nombre d’homicides, des vols avec armes, du trafic et de l’usage de stupéfiants. Soit quatre composantes majeures de l’idée qu’on se fait à moindres frais d’une ville réputée coupe-gorge. À titre de comparaison, quand six homicides volontaires étaient recensés à Bordeaux en 2024 (contre cinq, quatre, six, cinq et quatre entre 2019 et 2023), Marseille en déplorait 64.
Du mieux, du moins bien
Fin de l’histoire ? Ce serait faire injure aux victimes que de dire « circulez, y’a rien à voir ». Car si Pierre Hurmic met en avant une baisse générale – et avérée – de 4,5 % du nombre d’infractions (de 31 321 à 30 038 entre 2019 et 2024), le maniement de chiffres globaux laisse toujours sur sa faim. Rien ne vaut une plongée dans les 15 indicateurs du ministère de l’Intérieur qui font foi. Principal contingent de faits de délinquance, le vol sans violence contre personne (par exemple le vol d’un portefeuille par un pickpocket) chute de 16,7 % (9 521 contre 11 436 en 2019).
Du mieux, aussi, en matière de vols violents sans arme (-35,2 %, 958 contre 1 478 en 2019) et de violences physiques hors-cadre familial (-12,3 %, 1 300 contre 1 483 en 2019). Mais alors, où se logent donc les mauvais ratios de Bordeaux ? Nous y voilà : + 23,8 % de vols dans les voitures (les fameux vols à la roulotte, 5 550 faits contre 4 484 en 2019), + 58,7 % de violences sexuelles (738 victimes, contre 465 en 2019), + 32,8 % en usage de stupéfiants (1 723 mis en cause, contre 1 301 en 2019), + 61 % de vols avec armes (87 faits contre 54 en 2019).
S’y ajoutent les vols de véhicules (+ 5,6 %, 984 contre 931 en 2019, soit 2,7 voitures volées par jour), les cambriolages (+ 0,5 %, 1 493 contre 1 485 en 2019, une stabilité en faux-semblant car le niveau reste soutenu depuis les 1 199 faits recensés en 2018) et l’explosion des violences physiques intrafamiliales (+ 90 %, 1 043 victimes contre 551 en 2019). Un dernier chiffre : les destructions et dégradations volontaires, en chute de 28,6 % (3 705 contre 5 193 en 2019, mais qui restent à un niveau élevé, + 15,6 % par rapport à 2016).
Singularité
Dans le classement des villes de plus de 200 000 habitants établi (hors Paris) par « Sud Ouest », Bordeaux, 9e plus grande ville, oscille ainsi entre première place (vols à la roulotte, violences physiques intrafamiliales) et peloton. Précision : comparaison n’est pas raison, car Bordeaux est une petite ville-centre (265 000 habitants, 49 kilomètres carrés) pour une grande agglomération (843 000 habitants), singularité qui pèse sur ses ratios délinquance / population.
Si Thomas Cazenave s’est en partie emmêlé les pinceaux lors de son intervention au conseil municipal de septembre, ouvrant le bal des mauvais chiffres de la délinquance par « + 85 % de coups et blessures intrafamiliaux » sur lesquels Pierre Hurmic, tout maire qu’il est, a sans doute peu de prises, et gratifiant les « coups et blessures volontaires » de « + 19 % » (on l’a vu, en réalité, -12 %), le député Renaissance souligne les divers « podiums » de Bordeaux en vols avec armes, vols violents sans arme ou vols dans les véhicules.
« Éviter tout déni »
« Il faut éviter tout déni sur la question de la sécurité. On en parle, les Bordelaises et les Bordelais en parlent. Quand on croise le ressenti avec la réalité du ministère de l’Intérieur, il y a un problème de sécurité à Bordeaux », maintient-il. Et de citer des « leviers » à l’échelle municipale, entre réseau « dense » de vidéosurveillance et recrutement soutenu dans la police municipale qu’il oppose aux « demi-mesures » de la majorité sortante.
Adjoint au maire chargé de la sécurité, Marc Etcheverry regrette de voir « ces classements tronqués » alimenter le débat et rejette tout procès en pudeurs de gazelle. Exemple avec la vidéosurveillance : le centre de supervision urbaine (CSU) était relié en juin à « 251 caméras », dit-il, contre 136 au 1er janvier 2020. La police municipale s’ancre dans un modèle d’îlotage, avec la délimitation de cinq secteurs dans la ville, fait valoir l’adjoint. Quant au recrutement de 50 policiers sur un an et demi, « il est en cours », répond Marc Etcheverry, renvoyant à des annonces prochaines, non sans préciser que le budget alloué à la police municipale est passé de 9,2 à 12,6 millions d’euros entre 2019 et 2025.