Le nouveau pacte pour la Méditerranée est une opportunité pour dépasser la crise qui caractérise l’accord d’association entre l’Algérie et l’Union européenne, a affirmé l’ambassadeur de l’UE en Algérie, Diego Mellado Pascua.
Intervenant lors d’une journée d’étude sur l’état des lieux et perspectives des relations entre l’Algérie et l’Union européenne, organisée au siège de la fondation allemande Konrad Adenaouer (KAS) à Alger, M. Mellado, pour qui, «le pacte est un partenariat d’égal à égal mais où chacun défend ses intérêts», a souligné que la partie européenne «cherche des compromis et des terrains d’entente».
Alors que la Commission européenne aura à adopter le nouveau pacte pour la Méditerranée vers la fin novembre prochain – date anniversaire de la déclaration de Barcelone en 1995 – l’ambassadeur de l’UE en Algérie a insisté sur le fait que «L’Europe veut un rapprochement particulier avec la Méditerranée» afin, dit-il, de faire de cette région «un espace commun de stabilité, de prospérité et de sécurité».
Interrogé sur les modalités de fonctionnement du pacte, le représentant de l’Union européenne en Algérie a indiqué qu’il n’y a pas de mécanismes particuliers, si ce n’est des rencontres à un haut niveau. «Un cadre qui va se développer, comme ça va se développer aussi sur le plan bilatéral», a-t-il affirmé, tout en précisant que sont associés aussi comme observateurs certains pays, non encore membres de l’UE, mais proches de la Méditerranée, à l’instar de certains pays des Balkans.
Actualité internationale oblige, marquée par l’incertitude géopolitique et économique, la brutalité et des conflits armés au sein même de l’espace européen, M. Mellado a estimé que chacun doit désormais choisir son camp. «Le pacte est un message clair aux partenaires de sortir des marchés asiatiques et à revenir dans cette région où il y a un potentiel important», a-t-il clamé. Le pacte est aussi un «message politique envoyé à des pays comme l’Algérie dont les besoins, selon ses dires, sont grands, et ce, en matière d’infrastructures, comme les grands aéroports et ports, des infrastructures énergétiques, de l’hydrogène vert ainsi que le renforcement de celles du gaz».
«L’Europe n’est pas une forteresse»
Abordant la question récurrente des visas, l’ambassadeur de l’UE en Algérie a estimé que «l’Europe n’est pas une forteresse, il suffit de regarder les chiffres». «Il n’y a pas d’espace plus ouvert, même pour les personnes, que l’Europe. Il suffit de voir ce qui se passe aux USA et dans d’autres pays», a-t-il rétorqué, non sans préciser toutefois que l’UE défend ses intérêts, tout en tenant compte de la sensibilité de ses populations. Alors que la circulation des personnes est un sujet important pour les Algériens, mais aussi un sujet d’actualité en Europe, M. Mellado a avoué qu’il y a des partis qui en font leurs fonds de commerce, même dans des pays où la population a globalement une vision assez positive de l’immigration. Et de citer l’Espagne, où vit une importante communauté algérienne, dynamique et intégrée, un pays qui connaît une forte croissance économique et qui a été capable d’intégrer dans le marché de l’emploi des migrants.
Tordant le cou à toutes les lectures d’extrême droite sur l’immigration, l’ambassadeur a estimé que face au problème démographique que vit l’Europe, les pays qui ont une forte croissance économique sont ceux qui ont intégré dans le marché de l’emploi des migrants. «Nous avons besoin de l’immigration, il suffit juste de trouver des mécanismes pour une coopération gagnant-gagnant et qui rende la mobilité plus fluide», a-t-il déclaré, non sans reconnaître toutefois qu’il y une «forte pression», puisque que rien qu’en 2024, il a eu presque 600 000 demandes de visas Schengen. «Imaginez un même volume de demandes vers d’autres pays comme la Russie, ou certains pays asiatiques et le traitement que vont subir vos compatriotes», a-t-il martelé. Par ailleurs, et concernant la circulation des marchandises européennes, l’ambassadeur a estimé que «ce n’est pas fluide comme le prétend notre partenaire algérien, et c’est pour cela d’ailleurs qu’on assez de disputes». Et d’ajouter : «Non seulement ce n’est pas fluide, mais il y une réduction très importante. On est passé, ces 7 et 8 dernières années, de 25 milliards d’euros d’exportations à 13 milliards seulement, soit pratiquement la moitié.»
«Partenariat asymétrique avec coûts élevés pour l’Algérie»
Pour M. Mellado, la partie algérienne doit inclure l’ensemble des résultats dans les échanges et ne pas se focaliser sur les chiffres du commerce uniquement, c’est-à-dire qu’il faut intégrer dans les calculs ce qu’achète la partie européenne en matière d’hydrocarbures. Par ailleurs, et devant les explications fournies par l’ambassadeur pour la partie européenne, le professeur Moussa Boukrif, enseignant à l’université de Béjaïa, a, dans une communication sur le cadre institutionnel et économique du partenariat Algérie-Union européenne, mis en exergue, chiffres à l’appui, un «partenariat asymétrique avec coûts élevés pour l’Algérie». Pour M. Boukrif, l’accord d’association s’est fait entre deux partenaires inégaux, puisque le PNB de l’UE est de 100 fois plus élevé que celui de l’Algérie.
Cette dernière représente moins de 1% du commerce extérieur de l’UE, mais l’UE représente 55% de celui de l’Algérie, «ce qui fait que les chocs éventuels ne frapperont pas les deux parties avec la même violence», a-t-il tenu à souligner. Abordant les pertes pour l’Algérie, M. Boukrif a estimé que l’ouverture complète des frontières algériennes aux produits industriels européens a généré un manque à gagner fiscal massif pour l’Algérie. Et au-delà des impacts macroéconomiques sur l’économie algérienne, de nombreuses études constatent une désindustrialisation progressive en raison de l’ouverture accrue des marchés, alors que le secteur manufacturier national a été affaibli par la concurrence des produits européens importés, souvent vendus à des prix plus bas que ceux produits localement.
En outre, les investissements directs étrangers (IDE) de l’UE ont été également très limités, soit de l’ordre de seulement 13 milliards de dollars cumulés sur 2005-2023, et surtout concentrés dans l’énergie, sans effet notable sur la diversification industrielle, a indiqué M. Boukrif, pour qui, le constat est sans appel : «L’accord d’association n’a généré ni IDE, ni postes d’emploi, ni croissance économique.»
Enfin, et suggérant des pistes de rééquilibrage, le professeur Boukrif affirme que l’Europe doit prendre en considération le nouveau contexte algérien, marqué, selon ses dires, par le développement actif de partenariats stratégiques avec la Chine, la Russie, les pays des BRICS, la Turquie et les Etats d’Afrique subsaharienne.
L’Algérie a également rejoint la Nouvelle Banque de développement (NDB) des BRICS, intensifié ses liens avec l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS) et milite pour une intégration renforcée avec ses voisins africains dans le cadre de la Zone de libre-échange continentale africaine
(ZLECAf). Mahmoud Mamaart