Le premier grand voilier-cargo moderne a été officiellement baptisé à Nantes, son port d’attache, le lundi 13 octobre. Flambant neuf, le navire va repartir mercredi vers Saint-Nazaire pour compléter sa cargaison avant de réaliser sa première traversée commerciale vers l’Amérique du Nord. Malgré les incertitudes que fait peser la politique douanière de l’administration Trump sur le commerce transatlantique, Neoline entend toujours commander un second navire du même type en 2026 et planche sur une nouvelle unité plus grande qui pourrait être déployée vers l’Amérique du Sud.
Dans cette période pour le moins compliquée, les beaux projets humains et techniques, porteurs de sens et d’avenir, sont plutôt rares. Alors, quand l’un d’entre eux aboutit, c’est un peu comme un rayon de soleil. Et il y en avait justement, du soleil, en ce lundi 13 octobre au terminal de Cheviré, à Nantes, que le Neoliner Origin avait rejoint la nuit précédente. Autour de l’équipe de la jeune compagnie Neoline, élus, partenaires financiers et commerciaux, équipementiers et media étaient réunis pour célébrer le baptême de ce premier grand cargo moderne propulsé par le vent. 126 ans après le lancement du célèbre trois-mâts Belem, sur l’autre rive de la Loire, le port de Nantes Saint-Nazaire renoue avec le commerce à la voile.
La cérémonie de baptême du Neoliner Origin.
Jean Zanuttini, président de Neoline Développement, lors de la cérémonie de baptême.
La cérémonie de baptême du Neoliner Origin.
La cérémonie de baptême du Neoliner Origin.
Une ligne régulière entre l’estuaire de la Loire et l’Amérique du Nord
Nouveau symbole de la décarbonation du transport maritime, le Neoliner Origin est né de la volonté d’officiers de la Marine marchande, dont certains ont justement navigué sur le Belem, de voir émerger une marine marchande plus respectueuse de l’environnement. Il en découle la création d’une association en 2011 puis d’une société pour porter le projet quatre ans plus tard. L’idée, considérée comme un peu folle au départ, fait son chemin et, malgré de nombreuses embuches, finit par se concrétiser avec la commande, début 2023, d’un premier navire. Il sera exploité sur une liaison régulière entre Saint-Nazaire, Saint-Pierre et Miquelon, Baltimore (États-Unis) et Halifax (Canada), la rotation durant 28 jours.
Le Neoliner Origin au terminal de Cheviré, à Nantes.
Taillé pour la propulsion vélique
Construit par le chantier RMK Marine de Tuzla, en Turquie, le Neoliner Origin a été conçu par les équipes de Neoline avec les architectes de Mauric, qui dessinent un cargo-roulier taillé pour la navigation à la voile dans l’Atlantique Nord. Long de 136 mètres pour une largeur de 24 mètres, l’élégant navire, dont les lignes s’inspirent des vaisseaux d’autrefois, affiche un déplacement à pleine charge de 13.000 tonnes. Il bénéficie d’une carène optimisée pour cet emploi, de deux grands ailerons antidérive rétractables et pour la propulsion vélique de deux systèmes AeolDrive/Solid Sail imaginés par les Chantiers de l’Atlantique avec les entreprises bretonnes de la course au large. Durant l’inauguration du Neoliner Origin, Laurent Castaing, directeur général des Chantiers de l’Atlantique, en a d’ailleurs profité pour rappeler que le développement de systèmes innovants a pu être financé « grâce au Crédit Impôt Recherche », une aide aux entreprises décriée actuellement par certains partis politiques et qui a donc son utilité.
Le gréement comprend deux grands mâts en carbone placés sur des balestrons en acier orientables à 360° pour profiter au maximum du vent et inclinables à 72° afin que le navire puisse passer sous les grands ponts, en ramenant son tirant d’air de 88 à 42 mètres. C’est dans cette configuration, avec mâts rabattus en croix, que le navire s’est présenté à Nantes avant de relever son gréement pour son baptême. Ces mâts sont équipés chacun d’une voile rigide Solid Sail de 1050 m² constituée de panneaux en composite qui se replient en accordéon, les uns sur les autres. Il faut environ 2 minutes 30 pour les hisser. S’y ajoute un foc souple sur enrouleur de 450 m² qui vient reposer sur le pont supérieur quand les mâts sont abaissés. En tout, le Neoliner Origin peut ainsi envoyer jusqu’à 3000 m² de voilure.
Le Neoliner Origin mâts abaissés à son arrivée à Saint-Nazaire le 12 octobre.
Le Neoliner Origin au terminal roulier de Montoir-de-Bretagne le 12 octobre, avec ses mâts abaissés.
Le pont avec les mâts abaissés vu depuis l’aileron de passerelle bâbord.
L’un des deux mâts abaissés. On remarque sur les côtés les foncs souples posés sur le pont.
L’un des deux mâts basculés avec les panneaux de la voile Solid Sail repliés.
La machinerie de l’un des deux mâts orientables à 360 degrés.
Naviguer le plus possible à la voile tout en respectant les temps de transit
L’objectif de Neoline est de réduire de 60 à 70% la consommation de carburant sur la traversée transatlantique par rapport à un cargo traditionnel. Pour y parvenir, la compagnie a réalisé un navire nativement conçu pour naviguer sous voiles. Mais ce n’est pas suffisant. L’équipage va aussi s’appuyer sur un logiciel de routage fourni par la société nantaise D-Ice qui, à partir des prévisions météo et de modèles prédictifs, déterminera les meilleures routes à emprunter pour sa passer du moteur. Avec la nécessité, c’est l’enjeu principal du projet, de respecter les temps de transit entre les ports, condition impérative pour les clients d’une ligne commerciale régulière. La compagnie a donc décidé de se laisser des marges de manœuvres en ralentissant la vitesse moyenne, qui ne sera que de 11/12 nœuds, contre 15 nœuds pour les cargos uniquement propulsés au moteur. Capable de marcher à la voile jusqu’à 14 à 15 nœuds, avec 20 nœuds de vent de travers, le Neoliner pourra ainsi se permettre de « perdre » un peu de temps pour évoluer sous voile dès que cela sera possible. Et pour garantir une arrivée à l’heure, il dispose d’une propulsion secondaire thermique fournie par un moteur diesel ABC de 3184 kW, entrainant une unique ligne d’arbre.
La passerelle offre une vision à 360 degrés.
Vue de l’aileron de passerelle tribord, ici à Montoir le 12 octobre.
La passerelle du Neoliner Origin.
La passerelle du Neoliner Origin.
Le système de contrôle de la machinerie des mâts.
Le système de routage météo.
Jusqu’à 90% d’économie d’énergie
Si les conditions de vent sont suffisamment bonnes, l’hélice pourra même servir d’hyro-générateur et produire de l’électricité. Un système testé avec succès durant les essais. Un local a été prévu pour pouvoir, à l’avenir, embarquer un parc de batteries qui pourrait atteindre une puissance de 3 MWh et permettre d’alimenter la propulsion classique, en particulier pour les manœuvres portuaires. En combinant ces aspects techniques à toutes les mesures de sobriété énergétiques mises en place un peu partout sur le navire (jusque dans le carré ou, en plus des grandes vitres de sabord, des puits de lumière ont été installés pour éviter l’éclairage en journée), qui lui permet de réduire sa consommation à seulement 260 kW en journée et 160 kW la nuit, le Neoliner Origin devrait pouvoir atteindre jusqu’à 90% d’économie d’énergie par rapport à un cargo traditionnel de même taille naviguant à 15 nœuds.
Le PC Machine.
Le moteur diesel ABC.
Le moteur électrique, le réducteur et le moteur diesel.
Le local prévu pour accueillir des batteries.
Apprentissage de ce nouveau mode de navigation
Depuis son départ de Turquie, le 29 septembre, le navire a pu continuer de tester ses différents systèmes. Mais il va falloir attendre les rotations transatlantiques pour véritablement mesurer ses performances. « On a pu tester le gréement et naviguer un peu à la voile mais la Méditerranée est une mer instable qui n’est pas adaptée à ce type de navigation. C’est pourquoi nous attendons avec impatience nos premières traversées vers l’Amérique du Nord », explique Jean Zanuttini, président de Neoline Développement, qui rappelle que les technologies employées sont nouvelles et nécessitent de l’apprentissage : « C’est tout nouveau, il faut donc s’approprier les systèmes, voir comment les mettre en œuvre de manière optimale selon les situations. L’équipage apprend beaucoup actuellement et je pense que nous commencerons à avoir une bonne vue sur les performances dans les six prochains mois ».
Jean Zanuttini à bord du Neoliner Origin le 12 octobre.
Un navire roulier capable d’embarquer 5300 tonnes de marchandises
Navire roulier capable de transporter 5300 tonnes de marchandises, le Neoliner Origin est doté d’une grande rampe à la poupe pour charger le fret. Elle donne accès à une cale principale longue de 121 mètres pour une largeur maximale de 20 mètres, avec une hauteur utile d’un peu plus de 7 mètres. Sauf sur la partie arrière, où la hauteur utile atteint 9.8 mètres, sur une longueur de 36 mètres et une largeur de 12.6 mètres (la largeur de la porte arrière). Pouvant supporter une charge de 200 tonnes, cet espace, appelé la « chapelle », permet d’embarquer des colis très lourds et hors gabarit, par exemple des équipements industriels de grandes dimensions. D’une surface de 1150 m², la cale principale est reliée via une rampe de de 5.5 mètres au garage inférieur (850 m²) et, entre les deux, à un entrepont de 368 m². De quoi stocker des véhicules, des équipements et des conteneurs.
Le Neoliner Origin à Montoir le 12 octobre.
Le Neoliner Origin à Montoir le 12 octobre.
Une grande porte de plus de 12 mètres de large donne accès au pont principal.
Chargement d’engins Manitou à Montoir le 12 octobre.
Chargement d’engins Manitou à Montoir le 12 octobre.
La chapelle permettant d’embarquer des colis hors gabarit.
Le pont principal avec la rampe donnant accès à l’entrepont et au pont garage inférieur. A noter à gauche le panneau de cale qui permet de fermer cet accès et charger du fret supplémentaire une fois le panneau baissé.
Chargement d’un bateau Bénéteau le 12 octobre.
La cale principale.
La cale principale et la rampe.
La rampe donnant accès à l’entrepont et au pont garage inférieur.
La rampe donnant accès à l’entrepont et au pont garage inférieur.
L’entrepont et la rampe.
Voitures stockées dans l’entrepont.
Engins Manitou stockés dans l’entrepont.
La rampe poursuit après l’entrepont pour rejoindre le pont garage inférieur.
La rampe débouche sur le pont garage inférieur.
Le pont garage inférieur.
La partie du pont garage inférieur située sous l’entrepont.
La partie du pont garage inférieur située sous l’entrepont.
Un autre espace de stockage sous la rampe.
Un lancement face aux vents contraires de la politique douanière américaine
Pour son premier voyage, le Neoliner Origin va notamment convoyer vers l’Amérique du Nord des engins de manutention Manitou, des voitures (Dacia), un bateau de plaisance fabriqué par Bénéteau, mais aussi des produits du maroquinier Longchamp, du cognac de Jas Hennessy & Co, du champagne Telmont (dont c’est une bouteille qui s’est brisée sur la coque pour le baptême du navire) ou encore des produits de beauté Clarins. Autant de chargeurs qui ont fait confiance à la jeune compagnie et l’ont très tôt soutenue dans son initiative de développer une solution maritime plus respectueuse de l’environnement. Un soutien qui perdure malgré le retour au pouvoir de Donald Trump, dont la politique douanière malmène le commerce international. Avec des conséquences pour toutes les liaisons maritimes desservant les États-Unis. Le Neoliner Origin lui-même quittera l’estuaire de la Loire avec des cales moins pleines que prévu. Et son armateur, qui pensait pouvoir échapper aux nouvelles taxes imposées aux navires étrangers escalant dans les ports américains, va devoir mettre la main à la poche. Car Washington ne se contente pas de taxer les navires sous intérêts chinois, les autres y ont également le droit. Il en coûtera 48 dollars par tonneau au Neoliner Origin, soit 182.000 dollars à payer à Baltimore. Et l’incertitude existe toujours quant à savoir combien de fois dans l’année la compagnie française devra s’acquitter de cette somme. Ce qui ne fait évidemment pas ses affaires, surtout en période de lancement. Mais chez Neoline, comme le rappelle Michel Péry, l’un des fondateurs de la compagnie, « on a l’habitude des coups durs et on sait s’adapter ».
Michel Péry le 12 octobre à la passerelle du Neoliner Origin.
Une mise en service qui devrait convaincre de nouveaux chargeurs et transitaires
La mise en service du navire, très attendue, devrait normalement donner un coup de boost commercial. « Le projet a connu du retard et beaucoup de gens attendaient que la ligne soit ouverte ». Les discussions avec les chargeurs redoublent et les échanges sont maintenant dynamiques avec les transitaires, observe Jean Zanuttini. Pour son voyage inaugural, le Neoliner Origin passera par Saint-Pierre et Miquelon, ainsi que Baltimore, mais fera l’impasse sur Halifax. Pas encore assez de marchandises à débarquer ou à charger dans le port canadien pour justifier une escale. « Mais ça va rapidement venir car les Canadiens attendaient la mise en service pour s’engager », souligne Michel Péry. Halifax pourrait même, à l’avenir, devenir un hub portuaire plus important que prévu, les turpitudes américaines poussant le pays de l’érable à développer ses relations commerciales avec d’autres partenaires, notamment européens.
Un outil crucial pour désenclaver Saint-Pierre et Miquelon
La mise en service du Neoliner Origin est également un évènement extrêmement important pour Saint-Pierre et Miquelon, comme l’a rappelé la marraine du navire, Annick Girardin, ancienne ministre de la Mer et sénatrice de ce petit territoire français situé au large de Terre-Neuve. Pour la première fois, l’archipel de 6300 habitants va bénéficier d’une liaison maritime directe avec l’Hexagone, ce qui doit contribuer à le désenclaver et développer son économie. Une nécessité pour relancer l’attractivité de ce territoire ultramarin qui a subi de plein fouet la fin de la grande pêche et fait face à un problème majeur de dénatalité et d’exode de sa jeunesse.
La commande d’un second navire espérée en 2026
Le développement de la ligne doit aussi passer par l’augmentation de la cadence de rotation. Pour cela, la construction d’un deuxième navire du même type est prévue, afin de proposer deux départs chaque mois. A l’occasion de l’inauguration du Neoliner Origin, Jean Zanuttini a confirmé cet objectif : « Nous espérons pouvoir lancer la construction d’un sistership mi-2026, pour qu’il soit opérationnel fin 2028 ». Et l’armateur nantais planche sur l’ouverture d’autres services, avec notamment un projet de navire plus grand, équipé de trois mâts, qui pourrait desservir par exemple des ports d’Amérique Latine, où là aussi le commerce avec l’Europe est appelé à se développer.
A la passerelle du Neoliner Origin pour la remontée de la Loire vers Nantes, dans la soirée du 12 octobre.
Des officiers et élèves français
Immatriculé au Registre International Français (RIF), le Neoliner Origin est armé par un équipage de 13 marins, dont 6 officiers français, le personnel d’exécution, africain, étant fourni par la société Pélican Marine Services. Le navire peut aussi embarquer deux élèves, une dimension importante pour la compagnie qui veut non seulement répondre à ses besoins de recrutement mais aussi contribuer à la formation d’une nouvelle génération de marins aux navires véliques. Ceux-ci devraient venir de l’École nationale Supérieure Maritime (ENSM) mais les lycées professionnels maritimes s’intéressent aussi de près à cette opportunité. Le directeur du LPM Jacques Cassard de Nantes, présent à l’inauguration, ne cachait pas son intérêt pour y faire embarquer des élèves, rappelant que son établissement, comme d’autres lycées, forment aussi des officiers et que la propulsion vélique attire indiscutablement les jeunes.
Coursive dans les locaux vie du Neoliner Origin.
La cuisine du Neoliner Origin.
Salle de réunion à bord du Neoliner Origin.
Le carré officier du Neoliner Origin.
Le salon passagers du Neoliner Origin.
Le salon passagers du Neoliner Origin.
Partie salon d’une cabine passagers.
La partie nuit d’une cabine passagers avec deux lits pouvant être mis ensemble. Les sanitaires privatifs (avec douche) à côté.
L’espace salon d’une cabine passagers.
Balcons des cabines passagers.
Balcons des cabines passagers.
Déjà 120 réservations pour les cabines passagers
Le Neoliner Origin peut aussi embarquer 12 passagers, qui sont logés dans six belles cabines spacieuses avec balcon privatif et disposent d’un vaste salon avec vue sur la mer. Les repas seront partagés avec les officiers dans leur carré. L’occasion, pour les amoureux de la mer et les amateurs de voyages originaux, de traverser l’Atlantique sur un navire pas comme les autres. Et le succès est déjà au rendez-vous puisque ces « croisières », commercialisées par Sailcoop (environ 3000 euros pour une traversée Saint-Nazaire-Baltimore) se vendent très bien, explique Michel Péry : « Nous avons déjà 120 passagers inscrits, principalement sur le trajet Saint-Nazaire-Baltimore ».
© Un article de la rédaction de Mer et Marine. Reproduction interdite sans consentement du ou des auteurs.