La réponse n’est pas évidente car l’attaque est ambiguë et subversive, et il faut rassembler des preuves pour identifier clairement l’auteur. Nous sommes confrontés à une agression hybride, en dessous du seuil d’une réponse militaire classique. Tous les pays disposent d’une police du ciel capable d’identifier ou de classifier un aéronef avant de le voir franchir nos frontières. Mais nos dispositifs ont été pensés pour contrer des aéronefs habités, pas des drones volant lentement à basse altitude, et qu’il faut désormais considérer comme une forme d’artillerie intelligente.
Notre doctrine est-elle inadaptée ? Faut-il répondre par la force ?
Malgré le retard, nous avons bien pris conscience du problème. Il faut développer des défenses multicouches, brouillage, actions cinétiques, lasers de forte puissance, empilées les unes aux autres pour obtenir une protection la plus étanche possible. Par ailleurs, les règles d’engagement pour détruire un aéronef sont différentes en temps de paix et en temps de guerre. On peut faire évoluer ces règles mais c’est à l’échelon politique de le décider.
Comment ?
La seule force de Poutine est de jouer avec nos peurs. Nous devrions prendre l’initiative dans l’escalade. Le président russe doit ressentir les conséquences de ses actes. Cependant, nous ne sommes pas obligés de répondre aux drones par des drones. Être en réponse miroir est le degré zéro de la réflexion.
Nos industriels semblent toujours incapables de produire des drones bon marché en masse. Pourquoi ?
Aujourd’hui, l’innovation technologique progresse beaucoup plus vite que les cycles traditionnels de développement de l’armement. La Direction générale de l’armement n’est pas complètement adaptée à des produits qui se conçoivent en semaines et pas en années. Pour que les entreprises passent à la production de masse, elles ont besoin de commandes régulières. Or l’État français n’a pas d’argent.
Quelles leçons tirez-vous du terrain ukrainien ?
Nous avons encore beaucoup à apprendre des Ukrainiens. Malgré la pression des frappes russes, ils ont réussi à produire en quantité de façon dispersée pour tenir le front.
À l’avenir, y aura‑t‑il encore des pilotes dans les avions de combat ?
Dans l’armée française, la crainte de retirer des pilotes des cockpits a provoqué des résistances à l’égard des drones, générant du retard. Nous avons besoin des deux formats. L’US Air Force, par exemple, vise bientôt un équilibre proche de 50/50. L’appareil habité dispose d’une capacité d’adaptation supérieure à celle d’un système entièrement automatique. Il existe des systèmes pilotés à distance et des systèmes autonomes mais, dans un environnement très contesté, la liaison peut être coupée par un brouillage intensif. Pour plus d’efficacité, il faut mélanger les deux.
Ne pensez‑vous pas que l’IA finira par supplanter entièrement l’humain ?
L’IA est déjà largement utilisée, parfois sans que nous en soyons pleinement conscients. Depuis dix ou quinze ans, une multitude de capteurs collecte des données à analyser. Dans le futur, l’IA servira à organiser et améliorer la performance des systèmes. La France a d’ailleurs été l’un des premiers pays à créer un comité d’éthique, pour anticiper l’arrivée de cette révolution. Résultat des courses : il y aura toujours un humain dans la boucle et donc pas de robot tueur. L’IA restera, avant tout, un outil d’aide à la décision.
Comment s’affranchir de la domination américaine en matière d’armement ?
C’est avant tout notre responsabilité et pas celle des Américains qui défendent leurs intérêts. Certaines réglementations européennes ont découragé le financement de notre industrie de défense. Après 1945, nous avons demandé aux Américains de rester. Or, depuis 1990, le Vieux Continent n’est plus au cœur de la stratégie globale de Washington. Rien n’est impossible mais il faudra une forte volonté politique. Si nous n’améliorons pas notre industrie, nous risquons de nous marginaliser. Il faut cesser d’opposer intérêts nationaux et intérêts collectifs de court terme.