Derrière la guerre de territoires qui a poussé la Fédération de Russie a envahir l’Ukraine se joue aussi une guerre des chiffres. Car même si les deux camps et les différents observateurs du conflit – experts, gouvernements, journalistes et ONG – ne sont pas d’accord sur les pertes militaires des armées engagées, il est clair qu’elles sont massives des deux côtés. Or, cet enjeu numérique n’est pas comparable : l’Ukraine comptait en effet 33,5 millions d’habitants en 2024 contre 143,8 millions pour la Russie.
Mais comme elle l’a montré depuis le début de ce conflit en février 2022, l’armée ukrainienne est décidée à ne pas se laisser faire. Faute d’avoir assez de soldats, elle fera donc appel à 15 000 robots, comme l’ont souligné nos confrères de Forbes, citant une annonce des dirigeants ukrainiens datant du mois dernier.
Les compagnons à quatre pattes des soldats ukrainiens
Sauvetage, déminage, combat : de nombreuses applications
Ces robots ne seront toutefois pas des humanoïdes tout droit sortis d’un film de science-fiction, mais des UGV (Uncrewed Ground Vehicles), aussi appelés « véhicules terrestres sans pilote ». Derrière ce terme un peu obscur se cache une panoplie de machines très différentes les unes des autres.
Certaines, toutes petites, peuvent servir à faire de la reconnaissance, tandis que d’autres, souvent énormes, servent à rapatrier des blessés jusqu’à l’arrière de la ligne de front. D’autres encore servent à approvisionner des troupes sous le feu ennemi, à déminer des zones entières ou à s’engager concrètement au combat.
Le ministère ukrainien de la Défense dit avoir déjà signé pour 2,5 millions de dollars (environ 2,2 millions d’euros) de contrats pour des UGV au cours du dernier trimestre 2024 contre 150 millions de dollars (près de 132 millions d’euros) au premier trimestre 2025.
Comme l’expliquent nos confrères américains, l’armée ukrainienne compte déjà un certain nombre de ces robots dans ses rangs mais ils sont pour l’instant cantonnés à des rôles très précis : ceux que les très performants drones aériens ne peuvent pas faire.
Manque de personnel et de confiance
Ces UGV font en effet face à un certain nombre de problèmes une fois sur un terrain de guerre. S’ils sont excellents dans les stratégies de défense, ils peinent parfois à appréhender correctement leur environnement sans l’assistance d’un drone aérien leur envoyant une vision dégagée des alentours puisque prise du ciel. Autre problème de taille : la confiance que leur font les humains. Nombre d’officiers rechignent à confier le transport des blessés à des robots.
Une récente opération de sauvetage ukrainienne a toutefois permis de prouver leur fiabilité. Au cours de celle-ci, un UGV a transporté trois personnels militaires blessés sur plus de seize kilomètres de zone de combat avant de les mettre à l’abri.
Seul problème, l’opération a mobilisé cinquante personnes. Ce qui soulève la principale difficulté que rencontrera vraisemblablement une armée lourdement robotisée : elle demande un nombre très important de véritables soldats, opérateurs, techniciens, logisticiens et autres pour être dirigée correctement.
Intelligence artificielle et robots « sur pattes »
Quant à l’intelligence artificielle que d’aucuns présentent comme la solution d’avenir de la gestion des robots militaires, elle semble encore un peu à la traîne. Comme en témoignent les limites de celle-ci constatées dans la navigation des voitures autonomes.
Celles-ci posent de nombreux problèmes dans les situations d’urgence et il semble donc complexe d’imaginer qu’une IA du même niveau puisse embarquer des blessés de guerre ou, pire, une arme de combat létale. Il faudrait, d’après les experts interrogés par Forbes, encore plusieurs années pour qu’une IA atteigne un niveau de développement nécessaire pour être déployée dans des véhicules avec un seul humain en soutien.
Autre solution évoquée : les robots sur pattes, qu’ils soient humanoïdes ou quadrupèdes. Ces derniers, également assistés d’une IA, pourraient bien mieux affronter les différents terrains – boue, neige, herbe, bitume fracturé par les explosions, etc. – que les UGV dotés de roues ou de chenilles. Dans les faits, les choses sont un peu différentes. En témoignent les résultats plus que médiocres des « chiens-robots » déployés par les Ukrainiens et qui s’enlisaient dans les champs labourés…
Quant aux humanoïdes, ils pourraient théoriquement être très efficaces. Même s’ils n’avaient qu’une autonomie de quelques heures, ils pourraient par exemple mener l’assaut d’une position stratégique qui, une fois prise, pourraient être occupées par des renforts humains pendant que les robots seraient rechargés avant une nouvelle attaque.
Mais comme l’observe Kateryna Bondar, chercheuse au Wadhwani AI Center, au sein du groupe de réflexion Center for Strategic and International Studies (CSIS), dans les colonnes de Forbes : « L’accessibilité financière et l’efficacité des robots humanoïdes dépendront entièrement du type de missions qui leur seront confiées et de leur fiabilité de réutilisation ». Et d’ajouter :
Tant que ces cas d’utilisation ne seront pas testés et prouvés, leur véritable valeur reste hypothétique.