Le réalisateur de “BAC Nord” s’essaye à la dystopie au budget XXL mais se contente d’apposer des gimmicks déjà vus mille fois sur un récit aux résonances politiques discutables.
Il sera soit le sauveur, soit une mauvaise nouvelle de plus, mais cette fois une coûteuse : avec ses 42 millions d’euros de budget, Chien 51 ne peut rentrer dans ses frais qu’à l’expresse condition de faire au bas mot deux et sans doute trois millions d’entrées, c’est-à-dire d’être le plus gros succès national de l’année au box-office, dont la première place est actuellement occupée par God Save the Tuche. Le pari est hautement périlleux dans un moment de fréquentation morose, même si quelque peu réchauffé par quelques succès au rayon du cinéma d’auteur.
À charge donc de cette dystopie portée par Gilles Lellouche d’offrir aux salles un grand succès public d’automne avant le soulagement de Noël et du prochain Avatar. Chien 51 se déroule dans un futur largement labouré par les standards de la science-fiction : la France est sous le contrôle d’une intelligence artificielle nommée Alma, qui contrôle plus qu’elle n’assiste une société de castes soumise à un système généralisé de surveillance : tous·tes les citoyen·nes portent un bracelet électronique qui les géolocalise et s’assure notamment de leur respect scrupuleux des zones où ils et elles évoluent, allant de 1 pour l’élite calfeutrée dans les beaux quartiers de l’hypercentre parisien, à 3 pour les bidonvilles de la périphérie. Le meurtre du créateur d’Alma déclenche une enquête qui va voir Zem (Gilles Lellouche), flic de la troisième zone, s’associer à Salia (Adèle Exarchopoulos), homologue de la seconde, et remonter le fil d’un grand complot.
Blade Runner sur Seine
Une copieuse scène de course-poursuite introductive le long des quais de Seine donne le ton d’un film qui se voudrait une superproduction à la hauteur de ses modèles hollywoodiens tout en assumant avec autant de force son ancrage parigot. Un Blade Runner sur Seine tout en rues pavées et immeubles haussmanniens, barbouillés de trucages numériques et d’effets de réalité augmentées, hologrammes, balayages radar, etc.
Difficile de voir dans cette quincaille autre chose qu’une bien vieille et maussade idée du futur, déglutie pour la énième fois après avoir largement épuisé ses cycles de recharge au cinéma, à la télévision et dans le jeu vidéo. Chien 51 fait donc l’effet d’un continuateur tardif, légèrement forceur, à la remorque de ses modèles et même des imitateurs que ces mêmes modèles ont déjà largement eu le temps d’avoir : Besson, bien sûr, et pas seulement pour le blond peroxydé de Gilles Lellouche, Bong Joon-ho, aussi. La seule chose qui lui appartient vraiment, c’est peut-être cette manière improbable qu’il a de faire subsister son hétérobeaufisme dans sa science-fiction, un ethos dujardino-lellouchien venu se glisser discrètement dans l’expression des personnages ou, par exemple, dans cette scène de karaoké absurde – Lellouche et Exarchopoulos “ont besoin de décompresser” et partent s’égosiller sur What’s up des 4 Non Blondes, et tout à coup c’est comme si dans les entrailles du Paris dystopique de 2040 trônait encore un Montana, comme un phare dans la nuit.
Une question de paramétrage informatique
Le tout vient servir une parabole politique aux fondements assez discutables, puisque l’ennemi absolu du film est une IA débridée, disculpant de faire toute forme de responsabilité humaine dans ses errements : drôle de manière de vouloir parler de lutte des classes ou critiquer la compartimentation économique de la société tout en dédouanant intégralement ses catégories d’humains dominants, bien désolées sur l’air de “si on avait su !!! ”, comme si l’injustice sociale n’était qu’une question de paramétrage informatique. Stylistiquement obsolète, politiquement à côté de la plaque : le sauveur des salles fait grise mine.
Chien 51 réalisé par Cédric Jimenez avec Gilles Lellouche, Adèle Exarchopoulos. En salle le 15 octobre