Par

Anaelle Montagne

Publié le

15 oct. 2025 à 13h19

Une photo de Delphine accrochée à leur cordon rouge, les membres du clan Aussaguel sont soudés. Les deux derniers à être représentés, ce jeudi 15 octobre, sont aussi les plus fragiles : Louis, 11 ans et Elyah, 6 ans. Les avocats de leur représentante légale, saisie pour représenter les intérêts des enfants de Delphine et Cédric Jubillar, se sont livrés à des plaidoiries profondément émouvantes, face à un père toujours hermétique.

La terrible lettre de son fils, « la chair de sa chair », n’avait pas suffi à le faire fléchir devant les assises d’Albi. Il ne plie pas. Il ne rompt pas. Alors pour la quinzaine de parties civiles, les plaidoiries de Me Boguet et Me Chmani étaient les toutes dernières chances de provoquer une émotion chez le trentenaire, accusé d’avoir tué sa femme disparue en décembre 2020.

« Louis a cet air grave et ce nom tellement difficile à porter »

Aujourd’hui, Elyah est enjouée, solaire. « Mais Louis a cet air grave et ce nom tellement difficile à porter. » Il avait 6 ans lorsque sa mère a disparu et sa sœur, 18 mois.

Dans la famille Jubillar, des moments de bonheur, il y en a eu. Des violences aussi, insiste Me Chmani. Exercées sur chaque membre, différemment. Delphine se fait « rétamer publiquement », fait tout à la maison, elle est « soumise au feu nourri de l’humiliation et au dénigrement permanent », énonce Me Boguet.

Louis aussi est violenté. Souvent quand maman n’est pas là, il ne doit pas lui répéter. Gifles, insultes, tirages d’oreille, coups de pied, punitions longues, les mains derrière la tête, « à genoux sur des lego parce que ça marque mieux ». Le petit voulait témoigner à la barre, il ne l’a finalement pas fait alors il a écrit une lettre adressée à la présidente, lue pendant le procès.

Il y relate un épisode de violences : « J’avais mal fait les devoirs […]. Il m’a tapé la tête qui a cogné la table, ma dent est tombée, il m’a dit que c’était pas fort et que c’était de ma faute. » Me Chmani tranche : « Ce n’est pas parce qu’il n’y a pas eu de signalement que ça n’a pas existé. »

Vidéos : en ce moment sur ActuRedoutable privilège

Quand Delphine disparaît, les enfants sont livrés à leur père pendant six mois, jusqu’à ce qu’il soit mis en examen. « Six mois où on peut se questionner sur les difficultés que Louis a à se livrer. » Lors de sa deuxième déposition, l’enfant relate finalement avoir été témoin d’une dispute entre ses parents, le soir du 15 décembre 2020. « Il a le redoutable privilège d’être le témoin des derniers instants de sa mère et une victime expiatoire », résume Me Boguet.

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« La scène racontée n’a pas été extorquée, elle l’a délivré. C’était un moment fort. Sans trucage », insiste Me Chmani. Non, le gamin n’amalgame pas des souvenirs comme l’avançait son père. « Un gamin de 6 ans n’est pas trop con pour se souvenir, lâche Me Boguet. En réalité ce petit n’invente rien. Il en a peut-être même vu davantage ce soir-là, on se pose la question, avec Me Chmani. Ce gamin a peur de son père depuis sa naissance ! »

Papa Patrice et maman Stéphanie

Me Chmani et Me Boguet ont rencontré les enfants Jubillar une dizaine de fois en quatre ans. Avant chaque entretien, Louis inspecte, visite le bureau. Il touche, il organise. « Quand on a reçu Elyah il voulait rester avec elle pour la protéger. Pas de mère, pas de père, il s’est investi d’une fonction qu’il ne devrait pas avoir. »

Depuis l’incarcération de leur père, les enfants de Delphine vivent chez « papa Patrice et maman Stéphanie », la soeur de Delphine. Au fil des années, les images de leur mère s’effacent de leur esprit. « Louis cherche son regard dans les photos, Elyah son odeur, dans certains vêtements », énonce Me Boguet. De son père, le petit garçon ne garde que les souvenirs difficiles. Et son discours se fait de plus en plus dur au fil des années.

D’abord, il comprenait que « papa était en prison pour aider l’enquête » et puis en 2023, il explique finalement que c’est « parce qu’il ne dit pas la vérité ». Aujourd’hui, il a la conviction qu’il a tué sa mère.

Je pense que papa a fait du mal à maman, il était méchant avec elle. Ça a dû se passer la nuit quand je dormais. Maman nous aimait, c’est impossible qu’elle parte sans nous. Je suis sûr que c’est papa, je vois personne d’autre qui aurait pu lui faire du mal.

Louis
Fils de Cédric Jubillar et sa femme Delphine

Vivre en tant qu’enfant des Jubillar

Louis subit, aussi, le revers médiatique de l’affaire Jubillar. Son affaire à lui, sa vie à lui, ses parents à lui. Il en subit les conséquences à l’école, où on se moque de son nom. Il en entend aussi parler constamment, jusque dans le bus scolaire chaque matin, où le chauffeur refusera de changer la chaîne de radio qui relate incessamment la disparition de sa mère.

Elyah subit également, à sa manière, ce battement médiatique. « Aux informations, j’ai entendu que papa Cédric avait étranglé maman », confie l’enfant de 6 ans à Me Chmani. Elle voudrait dire à son père qu’elle l’aime, qu’elle « aimerait savoir où est maman Delphine ». Et de temps en temps, avec sa baguette magique : « Je dis abracadabra pour que maman revienne, ça me permet de pas l’oublier, j’ai peur de l’oublier. »

Louis aussi a peur. « Si papa dit la vérité, est-ce que ça s’arrête là ? », demande-t-il aux avocats durant l’été 2025. « J’ai peur qu’il sorte et qu’il me reprenne au vu de la maltraitance subie ».

« L’autre, il a pété les plombs ! »

Sa vérité, Cédric Jubillar la répète inlassablement : il n’a « pas tué Delphine ». Alors les avocats des parties civiles doivent imaginer les scénarios du drame. Un exercice auquel s’attelle Me Boguet.

Le 15 décembre, après avoir mis fin à des mois de clandestinité en discutant avec la compagne de son amant, Delphine est emmitouflée avec son fils, sur le canapé. « Il essaie de lui taper des bûches de Noël en regardant Incroyable talent. S’il se souvient de ça, pourquoi amalgamerait-il sur le reste ? », s’insurge l’avocat, de sa voix portante.

Delphine envoie un dernier je t’aime et dans le scénario de Me Boguet, Cédric la surprend – « et Jennifer Cahuzac n’a aucune raison de vous mentir », soutient l’avocat aux jurés -. Alors sa femme avoue, pour s’émanciper. « Et l’autre, il pète les plombs ! », crie l’avocat, reprenant la manière dont l’accusé aurait prénommé sa compagne disparue.

« Puisque c’est comme ça, on va se séparer » – Me Boguet cite ce qu’aurait entendu Louis, de la bouche de son père. Le scénario continue, Cédric étrangle sa femme. « Et on n’étrangle pas pour tuer, on étrangle pour faire taire. Tais-toi ! », hurle Me Boguet. Dans le box, toujours aucune réaction de l’accusé. « Certaines trahisons se paient au-delà du dernier souffle », résume l’avocat.

« Rendez-leur Delphine ! »

Me Chmani terminera son intervention en reprenant le mantra martelé par le clan Aussaguel, affiché aujourd’hui encore devant le domicile de Cédric et Delphine : « Justice et vérité pour Louis et Elyah. »

Son confrère, arrivé au paroxysme d’une plaidoirie habitée, choisira une comparaison avec Achille qui, ayant privé Priam de la dépouille de son fils, avait fini par la lui rendre, « décidant de permettre aux autres de faire leur deuil ». Et de se tourner vers l’accusé, pour l’implorer en hurlant : « RENDEZ-LEUR DELPHINE ! RENDEZ-LEUR DELPHINE ! »

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