Dans sa quête désespérée d’économies, le gouvernement prévoit de s’attaquer à certains « cadeaux » consentis de longue date aux particuliers ainsi qu’aux entreprises françaises. Et ils sont nombreux : en 2025, la France compte 474 niches fiscales pour un coût total de 85,1 milliards d’euros. Le pays est à ce titre « l’un des pays de l’OCDE qui recourt au plus grand nombre de dépenses fiscales », pointe le projet de loi de finances pour 2026 présenté, sur le gong, lundi 14 octobre par le gouvernement. Le texte qui sera soumis au vote propose donc de supprimer 23 niches fiscales et sociales. Si dix de ces « niches » ont « un fait générateur déjà atteint », c’est-à-dire qu’elles ne produisent plus aucun effet budgétaire, le gouvernement entend ainsi récolter cinq milliards d’euros au total par ce biais, sur les 30 qu’il ambitionne d’économiser dans son budget 2026.
Fin de l’abattement fiscal des retraités
Ce faisant, le gouvernement Lecornu II brise d’abord l’un des plus grands tabous en matière de fiscalité : l’abattement de 10 % sur les retraites dont bénéficient les retraités depuis 1978. Une mesure déjà évoquée par François Bayrou mi-juillet comme l’une des pistes pour réaliser les 40 milliards d’économies qu’il souhaitait.
Le projet de loi de finances 2026 propose toutefois de le « remplacer » par un « abattement forfaitaire de 2 000 euros pour un célibataire, et 4 000 euros pour un couple », afin de limiter l’impact sur les ménages les moins aisés. « Cette réforme présente un caractère redistributif et permet de mettre à contribution les retraités les plus aisés tout en rendant le dispositif plus favorable pour les contribuables touchant les pensions les plus faibles », explique le texte.
Suppression de la réduction d’impôt pour frais de scolarité dans le secondaire et le supérieur
D’autres dépenses fiscales « de grande ampleur », mais « dont la justification ou l’efficacité sont contestables », sont également visées. C’est notamment le cas de la réduction d’impôt pour frais de scolarité dans le secondaire et le supérieur.
Les parents ayant un enfant à charge au collège, au lycée ou dans l’enseignement supérieur, bénéficient actuellement d’un cadeau fiscal : 61 euros, 153 euros ou 183 euros dans chacun des cas.
Une réduction d’impôt modeste pour les foyers mais qui, avec un total de 4,5 millions de bénéficiaires, coûte plus de 240 millions d’euros aux finances publiques. Autant d’économies que décide de faire le gouvernement dans son budget 2026.
Fiscalisation des indemnités journalières versées au titre des affections longue durée (ALD)
Autre « dépense de grande ampleur » dans le viseur du gouvernement Lecornu II : l’exonération d’impôt concernant les indemnités journalières des personnes en affection longue durée (ALD). Le projet de loi de finances de 2026 revient longuement sur le poids des maladies chroniques dans le budget de la sécurité sociale, qui augmente de façon exponentielle.
« L’augmentation inédite des maladies chroniques invite à une réforme profonde du dispositif des affections longue durée », plaide le texte. Tandis que 14 millions de personnes étaient concernées en 2022, elles pourraient être 18 millions en 2035, soit 26 % de la population française, dont la prise en charge représenterait les trois quarts de la dépense d’Assurance maladie, selon le projet de budget. Pour éviter une explosion des coûts, le gouvernement entend à la fois recentrer le dispositif sur les pathologies les plus importantes, et renforcer la prévention, quitte à ouvrir des prestations actuellement non remboursées par la sécurité sociale (comme l’accompagnement à l’activité physique ou la diététique). Mais il entend aussi mettre fin à l’exonération d’impôt dont bénéficient aujourd’hui les indemnités journalières.
Dans la même veine, les exonérations de ticket modérateur (le reste à charge des dépenses de santé) sur les médicaments « à faible service médical rendu » dont bénéficiaient jusqu’à présent les patients en ALD seront elles aussi supprimées.
Suppression des avantages pour les biocarburants
Le projet de loi de finances précise que les avantages liés à l’utilisation de carburants dits « durables » comme le carburant végétal B100 (qui bénéficie actuellement d’un tarif particulier) et E85 (qui ouvre droit à un avantage fiscal) seront également supprimés, faute d’avoir démontré une efficacité suffisante.
Fin des exonérations attachées à des décorations (Légion d’honneur, prix Nobel…)
Le texte prévoit également « la suppression de petites dépenses fiscales avec un faible nombre de bénéficiaires et pour des gains unitaires souvent limités ». Il liste notamment « l’exonération à l’impôt sur le revenu du traitement attaché à la Légion d’honneur », à « la médaille militaire » et à la « médaille du travail » et des « sommes perçues dans le cadre de l’attribution du prix Nobel ou équivalent ».
Les déductions des dépenses engagées par les sportifs professionnels « pour leur reconversion » sont aussi concernées, tout comme l’exonération de TVA pour les frais versés aux sociétés de partage de biens meubles et immeubles, l’exonération de taxe foncière sur les propriétés non bâties en faveur des zones humides ou l’exonération de taxe à l’essieu sur les véhicules lourds de collection.
Suppression de dispositifs « éteints » et d’aides ponctuelles
Pour la forme sans doute, le projet de loi de finances pour 2026 acte la suppression de dispositifs pour lesquels il est précisé qu’ils « ne produisent plus aucun effet budgétaire ». Sont notamment concernés les aides touchées par les entreprises affectées par la crise de l’eau à Mayotte en 2023, les crédits d’impôt pour la formation du chef d’entreprise et pour le rachat d’une entreprise par ses salariés, les règles dérogatoires en matière de droits d’enregistrement pour le rachat sous conditions d’une entreprise par une entreprise nouvelle avant le 31 décembre 2022 et pour les donations d’immeubles neufs sous conditions avant le 31 décembre 2019.
L’amortissement exceptionnel pour la robotisation et pour la fabrication additive (qui concerne des équipements fabriqués entre 2013 et 2016), l’exonération d’impôt sur le revenu de l’aide financière à la création ou à la reprise d’une entreprise et des intérêts du différé de paiement accordé lors de la transmission d’une exploitation agricole, et l’exonération à l’impôt sur les sociétés des aides « French Tremplin » (un dispositif lancé en 2019 pour aider de jeunes entrepreneurs à lancer leur start-up dans la tech).
Création de la « contribution patronale » sur les « compléments de salaire »
Outre sa chasse aux niches fiscales, le gouvernement entend faire la chasse aux niches « sociales » concédées en « en ciblant les avantages dont l’efficacité est contestée ». Le texte prévoit donc de « revenir sur des niches excessivement favorables aux entreprises ».
En particulier, le gouvernement vise les « régimes sociaux très avantageux » des compléments de salaire (titres-restaurant pour les dépenses alimentaires, chèques-vacances, chèques cadeaux ou autres avantages financés par les CSE), « dont le coût a progressé à un rythme très supérieur à celui des salaires », selon le texte du projet de loi.
La mesure proposée vise donc à soumettre ces compléments à « une contribution patronale de 8 % », les alignant sur le régime d’autres compléments comme celui des garanties de prévoyance. L’objectif principal : « limiter les effets de substitution entre salaires et compléments exonérés ».
Rehaussement du taux de contribution patronale sur les indemnités de rupture conventionnelle
« Face à l’accroissement des phénomènes d’optimisation dans les ruptures de contrat de travail », le projet de loi prévoit également de « rehausser de 10 points » le taux de la contribution patronale qui s’applique sur les indemnités de rupture conventionnelle et les indemnités de « mise à la retraite ». Deux dispositifs initialement instaurés pour « sécuriser les sorties d’entreprise négociées » et « fluidifier le marché du travail » qui ont été « contournés », estime le gouvernement.
Fin des exonérations attribuées à certaines entreprises
Le texte défend enfin « quatre mesures de rationalisation de dispositifs particulièrement coûteux ». Trois exonérations attribuées à des entreprises bien précises d’abord.
La première vise l’exonération attribuée au titre de l’aide à la création et la reprise d’entreprise (ACRE). Un dispositif jugé « particulièrement coûteux » sans que ses « effets » eussent été prouvés jusqu’à présent, estime le texte.
La deuxième concerne l’exonération issue de la loi d’orientation pour le développement économique des outre-mer de 2009 (dite « LODEOM ») en faveur des entreprises implantées en outre-mer. S’appuyant sur un examen de l’inspection générale des affaires sociales et des finances, le texte constate des effets « très limités » du dispositif, à la fois sur l’emploi et sur les marges des entreprises concernées.
La troisième pointe l’exonération applicable aux jeunes entreprises innovantes (JEI). Déjà réformée dans la loi de finances précédente, elle sera de nouveau réduite : seules les entreprises consacrant au moins 25 % de leur masse salariale à la recherche et au développement y seront éligibles, contre 20 % auparavant. Une manière de « centrer le dispositif sur les entreprises les plus innovantes » et ainsi de faire des économies.
Suppression de l’exonération des cotisations des apprentis
Le projet de loi de finances pour 2026 entend enfin revenir sur le régime favorable des apprentis, dont le nombre a triplé entre 2017 et 2027, dépassant 870 000 contrats signés en 2024. Alors que les avantages accordés avaient eux aussi déjà été réformés par la loi de finances pour 2025, le gouvernement entend y mettre fin. Les nouveaux contrats conclus à partir de janvier 2026 pourraient donc être assujettis aux mêmes cotisations que les salariés classiques.