Amar et Yohann, les yeux embués de larmes, s’approchent l’un de l’autre. Ils ne s’étaient jamais revus depuis ce 22 avril 2023 où Najlat, 45 ans, est morte après avoir été traînée par le métro sur près de 40 m dans la station Bel-Air, à Paris (XIIe). Sa veste était restée accrochée à la porte de la rame.

Ce mardi, Yohann B., le conducteur du train, a attendu la fin de l’audience où il était jugé pour homicide involontaire et il s’est approché de celui qui élève désormais seul son enfant de 9 ans. « Je suis désolé, vraiment désolé », a-t-il murmuré. Le parquet a demandé que le prévenu soit condamné pour négligence à 1 an de prison avec sursis. Le conducteur traîne sa détresse depuis l’accident, comme Amar qui « a vu sa vie s’arrêter ce jour-là. »

« On a cherché à tirer le signal d’alarme »

Lui et sa femme rentraient chez eux, avec leur fils, lors de cette après-midi ensoleillée. Arrivés à Bel-Air sur la ligne 6, Najlat se rend compte qu’ils se sont trompés de sens. Au dernier moment, elle ouvre, en queue de train, les portes de sa rame… qui se referment sur un pan de sa veste. « On a cherché à tirer le signal d’alarme mais on ne l’a pas trouvé tout de suite », se rappelle Amar.

« Pour éviter qu’il ne soit trop tirés », rappelle la procureure, la RATP a choisi de repeindre cette poignée autrefois rouge en gris. « Pour qu’elle soit moins visible, c’est une aberration », tacle le parquet de Paris.

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« Celui qui a tiré la sonnette a dit que cela lui avait pris quelques secondes pour la trouver. Deux secondes c’est le temps pour que le train passe de 10 km/h à 22 km/h », rappelle Me Borzakian, l’avocat de Yohann B. qui « ne comprend pas que le parquet ou les magistrats n’aient pas aussi mis en cause la RATP ».

C’est durant ces quelques instants où le train a continué d’accélérer que Najlat, qui se débattait pour essayer d’enlever sa veste en courant à côté de la porte, a fini par tomber et passer entre le quai et la rame. « C’était une scène de guerre », se souvient Amar, qui a tenu sa femme dans ses bras avant que les secours n’arrivent.

Paris (XIIe), ce mardi. Les sonnettes d'alarme ne sont plus rouges mais grises, rendant leur identification plus difficile. LP/F.Ni.Paris (XIIe), ce mardi. Les sonnettes d’alarme ne sont plus rouges mais grises, rendant leur identification plus difficile. LP/F.Ni.

Dans son rapport, l’expert judiciaire évoque les « errements » de la RATP. Il note que le système de sécurité des portes ne peut pas détecter lorsqu’elles sont fermées sur un objet si celui-ci fait moins de 1,5 cm d’épaisseur. Enfin, à Bel-Air, les miroirs servant de rétroviseur pour le conducteur sont « mal orientés ». Le conducteur doit se pencher pour voir dans celui qui permet d’observer la queue du train.

« Mon client devait surtout observer l’avant dans l’autre miroir, car c’est là que se trouvent les escaliers où quelqu’un peut surgir au dernier moment », plaide l’avocat de Yohann B.

Il est reproché au conducteur de n’avoir pas assez observé dans ce deuxième miroir. « Mais je n’avais qu’une seconde pour le faire et je n’ai rien vu d’anormal si elle marchait à côté », souffle-t-il. Il n’a plus le droit de conduire un train sur ordre de la RATP depuis cet accident, après onze ans sur cette ligne, et des louanges aux bilans annuels.

À l’audience, la procureure fustige les économies réalisées par la RATP avec « la suppression du poste de chef de train, chargé de surveiller les portes et qui pouvait éviter ce genre d’accident ».

La RATP grande absente

La société de transport était absente de ce procès. « Pour qu’une responsabilité pénale soit retenue, il faut qu’il y ait une faute et une causalité assez directe, et c’est encore plus spécifique pour les personnes morales », décrypte-t-on au parquet de Paris.

« À l’amiable, ils ont payé une partie du préjudice », glisse la conseillère de la famille de la victime, qui n’a pas souhaité demander de dommages et intérêts à Yohann B. « Nous avions déposé plainte pour savoir ce qui n’allait pas dans ce système de sécurité. Nous n’avons rien contre le conducteur. Je ne comprends pas que la RATP ne soit pas mise en cause », martèle Amar.

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Pour le syndicat FO-RATP, « rien n’a changé depuis l’accident. On ne restera pas les bras croisés si notre collègue est condamné : la direction met en danger les conducteurs, mais aussi les passagers ».

Contactée, la RATP indique qu’« une enquête du Bureau d’enquêtes sur les accidents de transport terrestre est en cours, à laquelle la RATP collabore pleinement et dont les conclusions devraient être connues d’ici la fin de l’année ».

Un chiffre jusque-là confidentiel, révélé dans le rapport, indique que ces trois dernières années, 18 personnes ont été happées et traînées par des métros, dont 3 rien que sur la ligne 6. Chaque cas n’a pas été mortel.

Le jugement a été mis en délibéré au 18 novembre.