Par
Sophie Quesnel
Publié le
16 oct. 2025 à 6h36
« Chaque fois que Marie-Thérèse me racontait un épisode de sa vie, je sentais sa tristesse à l’idée que tous ses souvenirs allaient disparaître avec elle. Et ça me bouleversait », confie Christine Montalbetti. C’est ce désarroi qui a été le point de départ du livre. La romancière s’est proposée un jour d’être « le scribe » de cette femme, fondatrice avec son mari de la pâtisserie Charlotte Corday, fermée cette année dans un fracas local.
C’était une injustice que toute une vie disparaisse avec le corps qui l’avait vécue.
Christine Montalbetti.
À ce premier élan s’est ajoutée la découverte d’un lien singulier : « Elle me confiait des choses sur sa relation avec Marguerite Duras que j’ignorais. Et je me suis dit qu’il y avait là aussi un intérêt littéraire, par rapport à Duras, mais aussi à leur inscription dans cette géographie de Trouville. »
Un récit en miroir
L’histoire de Marie-Thérèse se construit comme un récit en miroir. « J’avais toujours associé Marie-Thérèse à Trouville. Mais quand elle m’a raconté son enfance, j’ai découvert qu’elle avait grandi à une soixantaine de kilomètres, dans des paysages où, 30 ans plus tard, je passais mes vacances. Ce point de convergence a déclenché mes fragments autobiographiques. »
Christine Montalbetti revendique ce choix : elle n’écrira sans doute jamais d’autobiographie pure, considérant que « sa vie n’est pas une histoire », contrairement à celle de Marie-Thérèse, qui l’a toujours vécue comme telle. « J’écris des romans pour vivre d’autres existences, pour nous démultiplier. L’autobiographie serait réductrice. Mais ce miroir me permettait d’interroger la question : comment raconter la vie d’une autre ? Comment faire entrer le réel, une personne complexe, dans 150 pages ? »
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Le livre s’ouvre sur une phrase de Marguerite Duras : « Il faut écrire, Marie-Thérèse, il faut écrire. » Une injonction qui résonne avec celle de l’auteure elle-même. « Ce qui m’a troublée, c’est que Duras lui avait répété la même phrase que je lui disais moi aussi. J’ai alors pensé : il faut le faire. »
Quand Marie-Thérèse découvre le manuscrit, elle réagit avec élégance : « Elle m’a dit : j’adore votre écriture. C’était beau de sa part, car elle ne parlait pas d’elle, mais de la dimension littéraire. Elle a toujours eu ce regard curieux, attentif à l’art, la littérature, la musique. »
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Trouville territoire intime et littéraire
Trouville traverse l’œuvre de Montalbetti comme une ligne de fond. « C’est le seul lieu où je me suis toujours sentie bien. En face, il y a ma ville natale, Le Havre, visible à bonne distance. Et c’est une ville animée par les fantômes : Duras, que j’ai connue vivante, mais aussi Flaubert, Proust. C’est une ville qui inspire, comme sa lumière. »
Cette fidélité se traduit par un travail formel toujours renouvelé : « J’aime changer de champ d’écriture. Là, il s’agissait d’écrire la vie d’une femme vivante, non d’un fantôme. Je n’ai pas enregistré sa parole pour être sûre que ce soit moi qui raconte. Mais j’avais son phrasé à l’oreille. Chaque livre m’oblige à inventer une forme. »
Un livre comme un souffle continu
Le texte se déploie sans chapitres. « Au début, j’avais esquissé des titres, mais assez vite j’ai senti que la fluidité était préférable. Le récit avance par séquences : la promesse faite à Marie-Thérèse, sa naissance, un déjeuner ensemble… Cela rend le texte plus mobile, plus vivant. »
Le lecteur est embarqué comme sur un tapis roulant sans véritable envie de s’accorder. « C’est formidable si cela entraîne une lecture d’une traite. Mais chacun peut s’interrompre après une séquence » répond l’auteure avec justesse.
À travers cette vie racontée, l’absence est là. « Le scandale de la mort demeure. Mais le livre est un espace fantastique, dans les deux sens du terme : on peut y croiser les morts, faire dialoguer les vivants et les disparus, imaginer des rencontres impossibles. C’est une utopie : une circulation merveilleuse entre vivants et non-vivants. »
Marie-Thérèse, elle, écrit chaque jour à son mari défunt dans des cahiers intimes. « Elle m’a dit qu’elle voulait qu’ils soient détruits après sa mort. C’est un espace secret, qui prolonge leur lien d’amour. Je n’ai jamais demandé à les lire, mais elle m’a montré les couvertures, toutes différentes. C’est un geste très fort, qui l’aide à poursuivre sa vie, protégée comme par un cocon. »
Une femme attachante, un livre vibrant
Curieuse de tout, drôle, pleine d’humour, nostalgique mais toujours tournée vers les autres, Marie-Thérèse apparaît comme une femme rare. « Elle sait écouter. Elle connaît beaucoup de personnalités qui ont fréquenté sa pâtisserie, mais n’a jamais établi de hiérarchie entre célébrités et anonymes. »
Rendez-vous samedi 18 octobre à 17h, à l’Hôtel des Cures Marines de Trouville-sur-Mer, pour une rencontre avec Christine Montalbetti autour de son ouvrage L’histoire de Marie-Thérèse (éditions P.O.L.), en présence de Marie-Thérèse Gibourdelle. La rencontre sera suivie, dès 18h, d’une séance de dédicace au bar de l’hôtel.
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