Par
Margot Nicodème
Publié le
16 oct. 2025 à 7h50
Leurs sentiments étaient-ils sincères ? C’est la question qui a occupé le tribunal correctionnel de Lille (Nord) tout l’après-midi du 14 octobre 2024. Trois personnes comparaissaient – quatre étaient convoquées, mais le dernier homme est reparti vivre à l’étranger – pour avoir manigancé un mariage blanc en 2021. Les époux d’un côté, une femme de 47 ans et un homme de 56 ans ; les entremetteurs de l’autre, une femme de 49 ans et un homme de 44 ans. Tous sont d’origine tunisienne. L’épouse a dû se justifier de l’absence totale de photos de son mari dans son téléphone, d’échanges téléphoniques très rares et « très formels », ainsi que d’une vie commune inexistante dans son appartement de Lomme. Elle a réfuté les accusations qui pèsent sur elle.
Le mari est reparti vivre en Tunisie depuis 8 mois
Le procureur informe, au cours de l’audience, que le parquet de Lille suit « 250 à 300 procédures de mariages frauduleux par an« . D’entrée de jeu, l’avocate de l’épouse a demandé à la présidente du tribunal de reconnaître « la nullité de la procédure ». Selon elle, les policiers n’ont pas respecté la loi à l’occasion d’une « visite surprise » au domicile de sa cliente et ont émis « une convocation [à l’hôtel police] trompeuse ».
Le tribunal choisit de juger le dossier, dont il rappelle les prémisses : c’est un « corbeau » qui a dénoncé le couple, ainsi que ses deux « complices ».
En septembre 2021, un appel anonyme à la police mentionne ce mariage qui date du 6 février de la même année. L’épouse travaille comme femme de ménage au sein d’un réseau de trois boulangeries à Lille. Une bonne amie à elle a le même poste dans ce réseau, c’est elle qui est aussi impliquée dans l’affaire pour avoir joué les entremetteuses. Elle connaît le futur mari, qu’elle a rencontré sur le marché de Wazemmes. Il s’avère que ce Tunisien de 56 ans est aussi connu du patron des boulangeries, qui l’a employé par le passé, et qui emploie en 2021 les deux femmes.
C’est tout ce petit monde qui est accusé d’avoir « organisé le mariage aux seules fins de faire obtenir un titre de séjour ».
Car c’était un des avantages à l’union : le mari de 56 ans régularisait sa situation en France. L’épouse, elle, se serait vu promettre un post en CDI dans la restauration, par le patron des boulangeries. Le mari n’est pas là pour se défendre à l’audience du 14 octobre 2025, il est reparti en Tunisie depuis 8 mois, selon les aveux de sa femme.
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Elle se défend d’avoir pris part à un mariage arrangé. À la question de la présidente, qui veut savoir s’il s’agissait d’un « mariage d’amour », elle répond : « Si, quand même. »
La prévenue dit avoir vu en cet homme une figure paternelle pour son fils adolescent, atteint d’autisme, ainsi qu’un compagnon, qui viendrait mettre un terme à ses 11 années de célibat et solitude. Elle doit pourtant se justifier face à plusieurs éléments qui interpellent.
« Je ne suis pas une femme trop téléphone, trop gadget, et je ne suis pas photo »
Lors de la visite des policiers, le mari n’est pas présent à son appartement. Ils constatent que le lit conjugal n’est utilisé que d’un côté, l’autre partie étant recouverte de piles de vêtements. L’épouse leur explique alors que son « mari travaille à Marseille, qu’il y vit depuis le mariage, qu’il revient tous les mois environ, puis qu’il repart en Belgique » pour travailler. « On a partagé le toit, mais pas comme toute vie commune normale« , analyse la femme de 47 ans.
Son téléphone livre des données étonnantes : elle n’a pas de photo de son conjoint, à l’exception d’une seule prise le jour de leur mariage, et n’échange quasiment pas avec lui, alors même qu’il est censé passer le plus clair de son temps en dehors de la région.
Je ne suis pas une femme trop téléphone, trop gadget, et je ne suis pas photo. Et j’ai eu un problème de téléphone.
L’épouse accusée de mariage frauduleux
Le procureur se montre intransigeant. « Ces échanges téléphoniques, on va les lire. Et c’est très formel, les deux n’ont rien d’un couple ou d’un futur couple. »
Le patron des boulangeries est aussi mis en cause dans l’arrangement de ce mariage. La présidente lui demande si cela ne lui a pas paru « bizarre » de se voir proposer le rôle de témoin, alors que « vous ne connaissez presque pas le marié » ? Cela faisait 2 ans, à ce moment-là, qu’il ne l’employait plus. Réponse par la négative du prévenu, qui avance avoir voulu rendre service.
Le procureur requiert des interdictions de paraître sur le territoire français
La seconde femme qui comparaît, l’amie et « collègue » de l’épouse, nie elle aussi avoir pris part à un quelconque plan, et assure que le mariage était authentique. Son avocate parle d’une « procédure éolienne, basée sur du vent », sans aucun élément qui permette d’appuyer son implication. Sa cliente n’a fait que présenter les deux futurs époux, dans un café lillois. Point barre.
L’avocate de l’épouse assure une longue plaidoirie. « Elle dit qu’elle avait besoin d’un mari, qu’elle avait envie de ne plus être seule. Elle avait le droit à une seconde chance. » Familière avec le droit des étrangers, elle explique, non sans ironie, que « c’est peut-être la première fois qu’elle assiste à un mariage blanc entre deux étrangers ». Sa cliente a en effet un titre de séjour et n’a pas la nationalité française.
Le procureur de la République requiert contre l’épouse 6 mois de prison avec sursis et une interdiction de paraître sur le territoire français pendant 2 ans ; contre le mari reparti en Tunisie, 8 mois de prison avec sursis et une interdiction de territoire pendant 5 ans. Enfin, pour les complices présumés : 3 mois de prison avec sursis pour l’amie, 4 mois avec sursis pour le patron des boulangeries et employeur.
La décision sera connue le 12 novembre prochain.
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