Les regards sont figés sur Jallal. Yassine Arab, responsable de l’association rouennaise Espoir Jeunes, lui tend un sac cartonné dans lequel se trouve un cadeau. Sur le visage de l’adolescent de 16 ans, un large sourire se dessine lorsqu’il découvre une tablette tactile. Grâce à elle, Jallal pourra suivre des cours en ligne. Le jeune homme sert la main du responsable associatif et prend une photo avec lui et sa nouvelle acquisition ; tel un footballeur et son trophée. Le tout devant les yeux émus de sa grand-mère, Fayza Al Zahra, alitée. Elle embrasse Yassine Arab en guise de remerciement.
Yassine Arab et son équipe de six bénévoles ont débarqué au Caire début septembre 2025 pour mener une action humanitaire de deux jours auprès de huit familles gazaouis évacuées de l’enclave quelques mois après le début de la guerre. Plusieurs membres de ces familles ont besoin d’aides financières et de traitements médicaux, à cause de blessures liées à la guerre ou de maladies.
L’objectif de l’association est simple : verser l’argent aux familles en fonction de leurs nécessités et comprendre leurs besoins sanitaires pour les mettre en relation avec des associations locales. Ce dernier point est géré par Sabrina, une infirmière française installée au Caire qui s’est greffée au groupe le temps de l’action. En amont du voyage, l’association Espoir jeunes a mis en place une cagnotte. « On a réussi à récolter 2 000 euros », se réjouit Yassine Arab.
Du quartier de Grammont au Caire
Espoir Jeunes est une petite association normande du quartier prioritaire de Grammont à Rouen. Son action est surtout orientée autour de l’insertion dans le monde professionnel et des activités pour les plus jeunes. Mais face à la guerre génocidaire qui continue de frapper sur Gaza, ces citoyens français ont décidé d’agir pour ne pas se sentir impuissant.
« On voulait aider à notre échelle. Et on s’est demandé ce qu’on pouvait faire », raconte Yassine Arab. Tout part d’une discussion avec sa belle sœur, Fatima, également bénévole au sein de l’association et présente lors de l’action. En scrollant sur le réseau social X, il découvre le travail de la journaliste indépendante Khadidja Toufik en Cisjordanie occupée et en Israël.
« Je l’ai contacté par mail en lui expliquant ma démarche et elle m’a répondu le lendemain sur Whatsapp », sourit le responsable associatif. Elle le met en relation avec Amna Al Dabash, journaliste gazaouie arrivée au Caire avant le 7 octobre et qui s’y est installée depuis. Trouver des familles nécessiteuses, organiser les rencontres avec elles et l’ambassadeur de Palestine au Caire et la navette pour le transport : c’est elle qui s’est chargée de la logistique du voyage. « Sans Amna, on aurait pas été là aujourd’hui », affirme Fatima.
103 000 Gazaouis réfugiés au Caire
Parmi les familles rencontrées, il y a Jallal et Fayza Al Zahra. C’est la dernière visite de la longue journée qui se termine pour l’équipe de l’association. Ils sont reçus dans le salon par la grand-mère et le petit-fils. Ils vivent seuls au rez-de-chaussé d’un immeuble situé dans un quartier populaire du Caire. Ils sont arrivés en Égypte le 27 février 2024, soit près de cinq mois après le début de la guerre à Gaza. Ils font partie des 103 000 Gazaouis installés en Égypte depuis le 7 octobre, selon les chiffres de l’ambassade palestinienne au Caire. Aucun d’entre eux ne bénéficie du statut de réfugié car l’agence des Nations unies pour les réfugiés de Palestine (Unrwa) n’est pas mandatée pour agir dans le pays.
Jallal est assis sur l’accoudoir du canapé. Il est timide, il ne parle pas. Fayza Al Zahra se charge de raconter leur histoire. La journaliste Amna Al-Dabash, francophone, endosse le rôle d’interprète. « Enlève ton t-shirt, montre-leur », somme la grand-mère. Jallal, géné, s’exécute. Il porte sur son torse les cicatrices du génocide à Gaza. Il dévoile une plaie de la largeur d’une main mal soignée qui le fait encore souffrir. Il a été brûlé par un missile qui a explosé près de chez lui. De son côté, Fayza Al Zahra a subi deux opérations en Égypte au niveau des jambes. Elle souffre d’arthrose et ne peut se déplacer. Se soigner à Gaza est impossible. Selon l’Organisation mondiale de la santé, « il ne reste que 2000 lits d’hôpital disponibles, pour une population de plus de 2 millions de personnes et les 19 hôpitaux encore opérationnels font face à de graves pénuries d’approvisionnement »
Nous ne sommes pas là comme des sauveurs mais pour trouver des solutions au plus proche de leur besoin
« De quoi ont-ils besoin ? », demande Sabrina, cahier et stylo entre les mains. La grand-mère et le petit-fils doivent prendre des médicaments pour atténuer les douleurs. Sans revenus fixes, ils ont également besoin d’argent. Ils doivent s’acquitter d’un loyer de 10 000 livres égyptiennes (près de 180 euros) sans compter les autres charges. Terminer les fin de mois relève de l’impossible. « Nous ne sommes pas là comme des sauveurs mais pour trouver des solutions au plus proche de leur besoin », assure l’ancienne infirmière au sein de l’association Médecins sans frontière.
Au cours des échanges deux bénévoles, Bilal et Imad, s’extirpent discrètement du salon. Ils reviennent quelques instants plus tard, liasse de billets égyptien entre les mains qu’ils tendent à la grand-mère. Émue aux larmes, elle remercie les membres de l’association.
Des réfugiés rongés par l’inquiétude
En plus des problèmes d’argent et de santé, leur esprit continue d’être avec le reste de leur famille restée à Gaza. Car si Jallal et Fayza Al Zahra font partie des quelques chanceux qui ont pu quitter les bombardements incessants de l’État hebreu sur l’enclave palestinienne pour raison médicale, les évacuations de Gazaouis ont été interrompus, à quelques exceptions près, depuis la fermeture du point de passage de Rafah par l’armée israélienne, en mai 2024.
À tout juste 16 ans, Jallal assiste impuissant au génocide de sa famille et de son peuple. Fin septembre, les conclusions de la Commission d’enquête internationale indépendante de l’ONU ont été sans appel : « Israël a commis un génocide à l’égard des Palestiniens dans la guerre menée à Gaza ».
C’est aussi le cas d’Amna Al-Dabash qui a toute sa famille Gaza. Son téléphone sonne. Sa maman appelle en vidéo depuis l’enclave. La journaliste s’enthousiasme. Elle essaye de présenter toutes les personnes présentes dans le salon malgré la mauvaise connexion. Tout le monde la salue. Mais rapidement, la discussion devient sérieuse entre la mère et la fille. Quelque chose ne va pas. Amna prend une voix grave, essuie d’un revère une larme qui tente de s’échapper de son œil et raccroche. « C’est rien, c’est le quotidien », euphémise-t-elle.
Marie-Mène Mekaoui