Il est 11 h, ce jeudi, à Nantes, devant la cour d’assises de Loire-Atlantique. La présidente Karine Laborde vient d’achever l’audition, par visio-conférence, de l’experte psychiatre Carole Barré. Cette dernière met en évidence la « personnalité caméléon » de l’accusée, Aurélie Censier, l’infirmière qui a tué son conjoint de deux balles dans la tête, à Brest, le 1er avril 2022. Elle s’adapte sans cesse aux attentes supposées de l’autre. Ce fonctionnement découle selon elle d’un état de stress post-traumatique, dû, non pas à un seul événement, mais à plusieurs chocs traumatiques. « En situation de stress intense, plus d’élaboration possible, elle casse, elle annule le passé », explique le docteur Barré.

« Avec un maximum d’honnêteté ! »

La présidente clôt la visioconférence et demande à Aurélie Censier de se lever. La solennité de l’audience est palpable. « Madame Censier, vos petites filles vont grandir avec cette histoire. Elles auront besoin d’accéder à un certain nombre de réponses. Vous êtes la seule à pouvoir raconter… ». Elle l’exhorte : « Expliquez-nous le déroulement de cette soirée avec un maximum d’honnêteté ! ».

Aurélie Censier se lance : « Adrien est revenu de chez son père. Il me dit qu’il veut qu’on se sépare. Il me demande de quitter l’appartement avant 6 h du matin. Sur le moment, je ne le crois pas. Il fait venir nos filles et leur dit : « C’est le dernier dodo de maman à la maison » ».

La cadette se pend au cou de sa mère. Aurélie Censier va préparer le dîner « pour ne pas avoir une discussion devant les enfants. Je les mets au lit, je leur raconte une histoire ». Sa fille aînée ne veut pas lui faire un bisou. « Elle boudait, elle ne voulait pas que je ne sois plus là ».

« Il faut qu’on fasse une sieste »

Aurélie Censier et Adrien S. reprennent leur discussion. Il aurait été inflexible. « Je ne comprenais pas, j’étais prête à accepter les coups (le couple était adepte de relations sadomasochistes, NDLR). Il m’a dit : Tu n’es pas capable de le supporter ».

Elle commence à faire ses affaires. « Il me dit : Je suis énervé, il faut qu’on fasse une sieste ». Le couple avait, en effet, cette habitude de début de soirée, pour se lever entre minuit et 1 h du matin. « On se couche mais on ne dort pas vraiment ».

Tous deux se seraient réveillés entre 1 h et 2 h du matin. « On reprend la discussion. Il maintient qu’il veut que je parte ».

Elle dit qu’il prend ses médicaments et finit son sachet de cocaïne. Sauf qu’elle avait, précédemment, affirmé qu’il avait ingéré de l’Alprazolam et du Zopiclone avant leur sieste. Ces médicaments peuvent déclencher des somnolences. Alors Adrien S. était-il vraiment éveillé ?

« Peur de le perdre et de perdre mes enfants »

Aurélie Censier assure que c’était le cas. Lors d’un de ses allers-retours pour réunir ses affaires, elle l’aurait entendu lui demander d’aller chercher son arme, « celle qui est le plus devant sur le meuble. Je lui demande pourquoi. Il me dit : « Pour une fois dans ta vie, fais ce que je te demande sans poser de questions ». Quand je reviens, il a son paquet de tabac devant lui, il ne me regarde pas… ». Elle pleure.

« J’ai eu à la fois peur de le perdre et de perdre mes enfants, et aussi qu’il retourne l’arme contre moi… Je regrette mon geste, je ne voyais pas d’autre solution… », raconte-t-elle.

Dans son témoignage spontané, Aurélie Censier a « zappé » son premier tir. La présidente l’a laissé dérouler mais va revenir, longuement, sur cette première scène : « Peut-on émettre l’hypothèse qu’il ne vous a jamais demandé d’aller chercher l’arme ? La psychiatre a parlé de l’impasse. Vous n’avez pas vu d’issue. Au vu de la façon dont vous fonctionnez depuis des années, étant incapable de résoudre des conflits, d’arriver à parler, à tenter de trouver des solutions, ne peut-on émettre l’hypothèse que la solution que vous avez vue a été de dire : « Il faut qu’il meure » ; que vous êtes allée chercher cette arme, que vous êtes revenue dans la chambre et que vous avez tiré. C’est une hypothèse de la cour… ».

Aurélie Censier, tendue : « Il m’a demandé d’aller chercher l’arme ».

« Vous mentez, oui ou non ? »

Sauf qu’il y a aussi cette histoire de paquet de tabac. La présidente rappelle à l’accusée qu’elle racontait « qu’il se roulait une cigarette, appuyée sur un de ses avant-bras, et qu’à mon arrivée, il tourne la tête et me demande l’arme ».

La magistrate rappelle les rapports balistiques, qui mettent en évidence que la tête était appuyée contre l’oreiller et n’a pas bougé. « Ce n’est pas compatible avec quelqu’un semi-assis, qui se roule une cigarette. Cette scène n’a vraisemblablement pas existé. Vous mentez, oui ou non ? ».

Aurélie Censier, au bord du gouffre : « C’est peut-être quelque chose que je mets dans ma tête pour accepter plus facilement ». Karine Laborde : « C’est plus facile que d’accepter d’avoir tiré sur quelqu’un d’endormi ? »

La présidente ne lâche pas l’affaire : « Ne pensez-vous pas, encore une fois, que l’autre hypothèse est qu’il dormait ? Je vous invite à le dire, pour les parties civiles et vous-même ! Cette culpabilité, pour l’affronter, il faut la nommer. C’est pour ça que j’insiste ». Aurélie Censier, éplorée : « Je vous assure qu’il n’était pas endormi ! Il me faisait confiance ! ».

La présidente : « Il vous faisait tellement confiance qu’il vous laisse pointer l’arme sur lui, à courte distance ! ? ». L’accusée : « C’est très rapide, il n’a pas le temps de réagir ».

Karine Laborde : « Si, il a le temps de réagir. Et pourquoi vous tirez dans la tête. Vous êtes une tireuse, vous savez que quand on tire dans la tête, on tue ! ». Aurélie Censier : « J’avais peur qu’il me tire dessus ! ». La présidente : « C’est vous qui avez l’arme dans les mains !».