Peut-on dire à Louis, 11 ans aujourd’hui, et à Elyah, 6 ans, ces deux « invisibles », « que papa a tué maman » ? « Il faut être sûr et certain pour leur dire cela, et peut-on l’être ? », a demandé Emmanuelle Franck, la première des deux avocats de Cédric Jubillar, en inaugurant les plaidoiries de la défense. Réservant un traitement particulièrement corrosif aux gendarmes qui ont mené l’enquête et dénonçant leur « proximité malsaine avec certains témoins », elle a d’abord planté le décor : « Il y a trop de gens dans cette affaire qui n’étaient pas grand-chose et qui ont voulu devenir quelqu’un et, peut-être toi aussi Cédric. » Une phrase assenée en se tournant vers son client, impassible et attentif dans son box, comme elle le fera à plusieurs reprises au cours de la matinée.
Avant de dérouler ce qu’elle appelle « la chronique d’un désastre judiciaire annoncé », elle s’est d’abord arrêtée sur la méthode : « On fabule, on invente une histoire, on essaye de faire rentrer des ronds dans des carrés, on prend les pièces d’un puzzle puis on force, on force, pour que ça rentre. »
Ensuite, Emmanuelle Franck a méthodiquement dézingué les indices à charge réunis par l’accusation, pour dire qu’elle les juge de piètre qualité. Des voisines entendent des cris de femme et des aboiements dans la nuit durant dix minutes ? « Jamais de voix d’homme, jamais de dialogue. Et puis dix minutes pour un étranglement, ça ne colle pas », pointe l’avocate. Et à l’heure des appels de détresse, Louis, selon son témoignage, serait encore réveillé. Les lunettes ont été retrouvées cassées en trois morceaux ? « Ces lunettes, elles étaient déjà cassées. […] Elles sont photographiées sur le bar de la cuisine le 16 décembre, elles vont y rester jusqu’au 23 décembre. Et puis comme on fait des perquisitions extrêmement performantes, il faudra attendre le 6 janvier pour en retrouver une branche derrière le canapé. Et elles ne seront analysées qu’en juillet 2022, détaille Emmanuelle Franck. « On n’en a rien à faire pendant un an et demi », ajoute-t-elle, avant de dénoncer « une expertise bidon », sur la base de « montures neuves » et pas abîmées, concluant qu’elles ont pu être brisées par un « coup de poing », sans provoquer de saignement chez la victime, ni de blessure sur l’auteur.
« Un petit mensonge pour une cause plus grande »
La voiture de Delphine alors ? Elle a changé de sens de stationnement dans la nuit, laissant supposer qu’elle a pu servir à transporter le corps et l’accusé n’a pas paru très à l’aise dans ses explications. Me Franck vient à la rescousse. Pour elle, la Peugeot 207 a toujours été dans le même sens, celui dans lequel Delphine se garait quand, certes rarement, elle arrivait directement de l’école de Louis. L’épisode est l’occasion pour l’avocate de dire tout le mal qu’elle pense du témoignage tardif d’Anne, la meilleure amie du couple, qui s’est souvenue après quatre auditions avoir croisé Delphine devant le domicile des Jubillar la veille de la disparition. « Moi, je pense qu’elle est convaincue que c’est Cédric Jubillar qui a fait le coup et que dans sa tête c’est un petit mensonge pour une cause plus grande », glisse la robe noire.
Féroce, clinique, la conseil de Cédric Jubillar pulvérise les indices les uns après les autres, finissant sa plaidoirie des sanglots dans la voix. « C’est dur de se taire parce qu’à la seconde où je me tairai, je ne pourrai plus le défendre comme je l’ai fait chaque heure, chaque jour, chaque seconde », depuis quatre ans et demi. Elle a choisi d’être exclusivement technique, laissant à son confrère Alexandre Martin, le soin de faire un portrait plus nuancé de Cédric Jubillar que celui que l’accusé – avec ses « tout à fait », ses réponses laconiques aux questions sur lesquelles il aurait pu s’épancher – a laissé transparaître.
La mère, Nadine, dans le viseur
« C’est un homme seul qui se présente devant vous après quatre ans et demi d’isolement, seul dans une cellule de 9 m2, qui ne parle qu’aux murs, avec une heure de promenade par jour dans une cour grillagée où il tourne comme un rat dans une cage. Et vous voulez qu’on sorte indemne d’un tel traitement ? », demande l’avocat. Est-il le « connard » décrit ? Certes, concède-t-il « Cédric est chiant, il sait tout sur tout » mais « c’est tellement plus simple, ça soulage tellement la conscience de celui qui accuse sans preuves, que de caricaturer », tempère l’avocat qui rappelle le parcours cabossé d’un enfant puis d’un adolescent, « placé » à deux reprises et « maltraité ».
Il égratigne au passage, comme Emmanuelle Franck avant lui, sa mère Nadine qui a « sacrifié la vie de Cédric pour mieux satisfaire la sienne » et a trouvé si difficile d’accuser son fils à la barre la semaine dernière, qu’elle l’a refait le soir même au journal télévisé de 20 heures.
« Pas le moindre message d’injure », pas de témoignage de violences conjugales
« Il n’y a pas le moindre témoignage de violence physique sur Delphine », rappelle Alexandre Martin. « Pas le moindre message d’injure » non plus, note-t-il, pour un homme dont la femme a demandé le divorce et dont l’accusation a décrit « la montée en pression » jusqu’au pétage de plombs. Quant à la déchéance de l’autorité parentale requise, en plus des trente ans de réclusion criminelle, Me Martin s’insurge : « Vous savez celle qui n’y a jamais pensé à ça ? C’était Delphine. Avant de divorcer, elle note sur un papier « garde alternée ». Elle ne l’a pas jugé. »
Notre dossier sur l’affaire Jubillar
C’est à Alexandre Martin aussi que revient le rôle de responsabiliser les jurés, en rappelant qu’il n’y a « ni scène de crime, ni corps, ni ADN, ni cheveu, ni la moindre trace de sang ». « Votre décision sera historique, elle dira votre conception de la justice, elle dira quel visage vous voulez donner à cette justice », leur glisse-t-il avant de conclure gravement : « Vous pouvez anéantir un homme. […] Soyez prudent, soyez exigeants, je vous le demande. Votre devoir dicte d’acquitter Cédric Jubillar. »
Le verdict doit être rendu ce vendredi.