- Des publications en ligne assurent que le budget de la France serait fixé par l’Europe jusqu’en 2031.
- Une rumeur qui s’appuie sur un courrier authentique du Trésor français.
- Sauf que les internautes confondent recommandations et contraintes.
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L’info passée au crible des Vérificateurs
La bataille actuelle autour du budget serait-elle vaine ? C’est ce que prétendent plusieurs internautes depuis le samedi 11 octobre. Alors que le gouvernement Lecornu entame les négociations sur le budget, certains assurent que les jeux sont déjà faits. « Les budgets 2026, 2027, 2028, 2029, 2030 et 2031 ont déjà été fixés par l’UE », s’insurge par exemple Florian Philippot. Dans son message (nouvelle fenêtre), ce partisan du « Frexit » évoque une « lettre du Trésor français », qu’il invite tout le monde à « diffuser partout face au sketch actuel ». De quoi alimenter les spéculations, comme celle d’un internaute qui y voit un « acte de décès de la souveraineté budgétaire ».
Florian Philippot affirme à tort que le budget de la France est « fixé » par l’UE jusqu’en 2031 – Capture d’écran
Pour preuve, le souverainiste cite la publication d’un ancien avocat qui se présente comme un « spécialiste de l’UE ». Le document, visiblement signé par le directeur général du Trésor, est destiné à la Commission européenne. Un courrier qui démontrerait que « la France a déjà un gouvernement technique ». Selon l’auteur, Bruxelles « fixe le montant total autorisé des dépenses nettes pour chaque année jusqu’à 2031 ». Plafond de dépenses que la France ne pourrait pas dépasser sous peine de voir « ses fonds européens (notre argent) gelés ».
Un document authentique…
La source de cette information est à prendre avec précaution. Partagée par des comptes souverainistes et partisans d’une sortie de l’Union européenne (UE), elle provient à l’origine d’un auteur sur un blog régulièrement pointé du doigt pour ses contenus pro-russes, lancé par Olivier Berruyer. C’est lui qui, avec une quinzaine d’autres personnes, avait participé à une réunion aux côtés du ministre russe des Affaires étrangères en 2019 (nouvelle fenêtre) et a été accusé de participer (nouvelle fenêtre) à la diffusion de la propagande russe en France.
Alors que sait-on réellement de cette rumeur ? La lettre parait en tout cas authentique, selon les experts interrogés. Elle est d’ailleurs mentionnée dès le 21 janvier dans le Journal officiel de l’Union européenne (nouvelle fenêtre). À la deuxième page, on y lit que, le 16 janvier 2025, la France a demandé « par lettre du directeur général du Trésor » une adaptation de la trajectoire des dépenses nettes. Et si ce courrier n’avait rien de secret, c’est qu’il ne dévoile rien de caché.
… mais mal interprété
Pour tout comprendre à cette rumeur, il faut d’abord rappeler que dès la création de l’union monétaire – en 1992 – les États membres ont toujours dû prendre des engagements, notamment budgétaires. Parmi eux, ceux présents dans le Pacte de stabilité et de croissance (nouvelle fenêtre). Adopté en 1997, il prévoit une « surveillance multilatérale » des objectifs budgétaires de chaque membre de la zone euro ainsi qu’un volet coercitif. Celui-là limite pour chaque État membre le déficit public à 3% du PIB et la dette à 60% du PIB, sauf circonstances exceptionnelles.
Véritable instrument de gouvernance économique de la zone euro, il « vise à prévenir et à corriger les déséquilibres » qui pourraient « affaiblir les économies nationales », comme nous l’explique Federica Rassu. Maître de conférence en droit public à l’Université de Poitiers, elle nous rappelle que l’objectif est d’éviter à toute la zone de pâtir de la situation économique (nouvelle fenêtre) d’un seul pays, les économies étant « désormais liées, avec le marché intérieur ».
Une gouvernance qui n’est toutefois « pas très contraignante », souligne l’autrice de L’essentiel de l’introduction au droit européen (nouvelle fenêtre) (éd. Gualino). Car même s’il y a une seule monnaie, « chaque État gère son économie et son budget ». Contrairement à la politique monétaire, la politique budgétaire demeure en effet une compétence nationale (nouvelle fenêtre). Pour preuve, depuis plus de vingt ans, la fameuse norme des 3% n’a jamais été respectée par la totalité des pays. À commencer par la France, qui a enregistré entre 2007 et 2017 des déficits systématiquement supérieurs à 3% de son PIB, comme le montre l’Insee (nouvelle fenêtre).
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Alors que signifie réellement cette lettre du Trésor ? Interrogée à ce sujet, l’administration française n’est pas revenue vers nous dans l’immédiat. Cependant, Federica Rassu nous l’explique. Celle-ci s’inscrit dans le volet « préventif » du Pacte de stabilité et de croissance. Dans ce cadre, « tous les États membres sont invités à élaborer un plan budgétaire et structurel national à moyen terme », soit sur quatre à cinq ans, selon la durée des mandats nationaux, nous précise la chercheuse. « Chaque État membre s’engage ensuite à suivre une trajectoire pluriannuelle des dépenses publiques nettes et explique comment les investissements seront réalisés », poursuit-elle, justifiant ainsi la présence d’un tableau s’étalant jusqu’en 2031.
Concernant les États membres qui ne pourront pas maintenir leur déficit public sous les seuils de 3% du PIB (nouvelle fenêtre) (et leur dette publique sous les 60%), ils doivent également présenter à la Commission une « stratégie crédible pour remettre en quelques années les finances dans les clous ». La lettre du Trésor explique précisément « comment la France envisage de respecter ces règles », conclut la spécialiste.
Des trajectoires qui ne revêtent pas de caractère obligatoire. Si un pays ne s’y plie pas et dépasse les différents seuils fixés par le Pacte de stabilité et de croissance, il peut toutefois être la cible de sanctions économiques. En théorie. Car en pratique, cette mesure n’a été imposée que deux fois dans l’histoire de l’Union européenne, comme nous l’écrivions dans cet article (nouvelle fenêtre). En 2016, Portugal et Espagne ont écopé d’une amende purement symbolique de… zéro euro.
DÉCRYPTAGE – « France, toujours plus de déficit » ? Source : JT 20h Semaine
07:53
DÉCRYPTAGE – « France, toujours plus de déficit » ?
En résumé, hormis les limites de déficit et de dette fixées par le Pacte de stabilité et de croissance depuis près de trente ans, Bruxelles n’a pas la main sur la politique budgétaire des États membres. L’adoption d’un budget en France est même protégée par la Constitution. Celle-ci prévoit qu’il appartient au Parlement de voter les projets de loi de finances dans les conditions prévues par une loi organique.
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Felicia SIDERIS