Depuis début septembre, la Russie multiplie les violations de l’espace aérien européen, envoyant ses drones en Roumanie, en Pologne, en Estonie ou encore au Danemark. Réponse des gouvernements de l’OTAN? La fermeture, brève, d’aéroports civils et le recours à l’article 4 du traité fondateur de l’organisation, prévoyant une consultation entre tous les alliés. Une réaction très mesurée –pour ne pas dire timide– au vu des circonstances.
Si Vladimir Poutine y voit sans doute un signe d’impuissance de l’OTAN à défendre son propre territoire, les observateurs occidentaux, eux, semblent confirmer cette lecture. Selon une analyse de CNN, ces incursions russes dans le ciel européen ont semé un tel désordre qu’elles constituent une «victoire pour Poutine». Un nouvel exemple montrant que, malgré les défaites sur le champ de bataille et les critiques, le chef du Kremlin continue d’être dépeint comme celui qui multiplie les succès. Et ce, depuis le tout début de sa présidence.
Souvenez-vous: il y a plus de 25 ans, Vladimir Poutine succédait à Boris Eltsine. Ce dernier quittait le pouvoir le 31 décembre 1999, fatigué et affaibli, après plusieurs hospitalisations dues à des problèmes cardiaques et respiratoires. Dès le début de son mandat, le nouveau président se forge une image de virilité et d’invincibilité ubuesque. Il pose casque de pilote vissé sur la tête dans un avion de chasse ou encore torse nu sur un cheval, mettant un point d’honneur à restaurer la gloire impériale de la Russie. Très vite, il est présenté dans les médias comme l’homme fort, omniscient et invincible. Une mythification qui déborde sur l’actualité et l’analyse politique.
Dans les colonnes de The Atlantic, le journaliste Andrew Ryvkin confie avoir travaillé en début de carrière au sein de plusieurs organes de propagande russe. «Tous avaient une règle tacite: quelle que soit la crise, Poutine ne peut pas perdre.» Une logique suivie par de nombreux observateurs occidentaux, sans même en avoir conscience. Selon le journaliste, en amplifiant les menaces du Kremlin ou en réagissant à ce que Vladimir Poutine veut faire croire, on finit par surestimer son pouvoir réel. Si le Kremlin a effectivement remporté quelques succès, comme l’annexion de la Crimée, la plus grande victoire du président russe reste d’avoir persuadé le monde qu’il est en train de gagner.
La rencontre en Alaska, un échec camouflé
Prenons l’exemple de la rencontre entre Donald Trump et Vladimir Poutine en Alaska, en août dernier. Avant même que le numéro un russe n’atterrisse, de nombreux médias qualifiaient déjà ce sommet de victoire pour son pays. Sur le fond, pourtant, rien ne permet de parler de réussite diplomatique: les armes américaines continuent d’affluer en Ukraine, Washington fournit à Kiev des renseignements pour frapper ses cibles –notamment les infrastructures énergétiques– et le président américain fait pression sur l’Europe pour qu’elle boycotte les hydrocarbures russes.
En réaction à cet échec camouflé, l’armée russe a redoublé de frappes contre l’Ukraine. Cette recrudescence, largement couverte par la presse, reste minime au regard de l’intensité des combats du début de la guerre. Aujourd’hui, l’armée russe s’enlise: les chars ne roulent plus vers Kiev, les offensives-éclairs ont cessé, tout comme l’assiégement de villes ukrainiennes. La Russie n’a même pas réussi à prendre le contrôle complet des régions dont elle revendique l’annexion.
Plus de vingt-cinq ans au pouvoir, sa réelle victoire
L’autre victoire de Vladimir Poutine, c’est sa longévité politique –un quart de siècle au pouvoir– qu’il doit à un pacte implicite avec sa population: le peuple ne proteste pas (trop) contre la guerre, en échange, l’État garantit un semblant de stabilité. Malgré les sanctions occidentales, Moscou a réussi à préserver un temps le confort de sa classe moyenne: les voitures chinoises ont remplacé les européennes, le tourisme intérieur a explosé et la plateforme de streaming russe Wink remplace Netflix.
Mais l’économie russe commence tout de même à montrer de sérieuses fissures. Herman Gref, directeur de la plus grande banque russe, a récemment admis que le pays était entré dans une «stagnation technique», la mobilisation industrielle en temps de guerre ayant perdu de son élan. La semaine dernière, Reuters a rapporté que les chemins de fer russes, une entreprise publique employant environ 700.000 personnes, avaient demandé à leur personnel administratif de prendre trois jours de congé sans solde par mois. La stabilité promise par le chef du Kremlin semble s’effriter.
Alors que les coupures d’Internet se multiplient et que les frappes ukrainiennes sur les infrastructures pétrolières entraînent des pénuries d’essence, les médias de propagande minimisent la crise, parlant de «refroidissement planifié de l’économie». Là encore, la vérité s’efface au profit de la mise en avant des actions du chef du Kremlin en faveur de l’économie du pays.
Vladimir Poutine, vétéran du KGB, maîtrise à la perfection l’art de la guerre psychologique et les techniques de manipulation. Le sous-estimer est certes dangereux; l’imaginer tout-puissant l’est encore plus. Une vision plus lucide du chef du Kremlin serait celle d’un autocrate vieillissant, accroché à une guerre qui s’enlise, à la tête d’un pays qui perd sa sphère d’influence et dont l’économie s’essouffle. Une image bien éloignée de la représentation héroïque que veut véhiculer le président russe…