Par
Adrien Filoche
Publié le
23 avr. 2025 à 18h06
Une affaire sensible, complexe et délicate. Quatre hommes ont comparu devant le tribunal correctionnel de Rouen (Seine-Maritime) le 22 et 23 avril 2025 pour des faits de proxénétisme aggravé remontant à 2019 sur des jeunes femmes, mineures pour la plupart d’entre elles. L’affaire a été rendue à la connaissance de la justice à la suite des révélations de l’une des victimes présumées, qui a réussi à s’échapper de l’un des appartements où elle était retenue. Ainsi, neuf personnes, dont cinq mineures, sont actuellement poursuivies pour leur implication présumée dans plusieurs réseaux de proxénétisme ayant opéré en 2019 dans des appartements de l’agglomération rouennaise.
Six jeunes femmes victimes et plusieurs réseaux de proxénètes
Au total, six victimes ont été identifiées sur ces différents réseaux, dont une jeune femme, Marion*, adolescente en 2019, qui a la particularité d’être également mise en cause pour des faits de proxénétisme. Outre les quatre hommes convoqués devant la justice le 22 et 23 avril, ce sont quatre autres individus, mineurs en 2019, dont notamment Medhi*, l’organisateur présumé, qui seront jugés au tribunal pour enfants dans un second temps.
Au cours de l’audience du 22 et 23 avril, qui constitue en quelque sorte le volet numéro un de l’histoire, le premier prévenu, Yanis*, 21 ans lors des faits, est à dissocier des trois autres car les éléments qui lui sont reprochés remontent à une période différente, à savoir entre le 29 janvier et le 7 février 2019. Les faits concernent deux jeunes victimes, non représentées lors de l’audience. Le principal point commun entre les deux réseaux, c’est Medhi, soupçonné d’en être à chaque fois l’instigateur.
Il est ici reproché à Yanis d’avoir transmis les clés d’un appartement à Rouen à Medhi, servant de lieu de prostitution pour deux femmes pendant environ une semaine, au début de l’année 2019. L’une d’entre elles parviendra finalement à s’échapper pour alerter la police. Mais dans le dossier, il n’est pas clairement établi que Yanis avait connaissance des activités, ni qu’il a profité de l’argent généré par le proxénétisme, c’est en tout cas l’argument utilisé de sa défense.
Un réseau bien rodé
Concernant les trois autres prévenus, on retrouve Adam*, 21 ans lors des faits, non présent à l’audience, Raphaël*, 20 ans lors des faits et Simon*, âgé lui de 19 ans à l’époque. Ils sont tous les trois accusés de proxénétisme aggravé, mais également de cession de stupéfiants, sur une période allant de juillet à août 2019. Pour cette seconde partie, quatre jeunes femmes sont identifiées en tant que victimes, dont Marion et Laura*, présentes lors de l’audience. Kara*, troisième victime, était représentée par son avocat. La quatrième n’était pas représentée.
Concernant le cas de Simon, il indique avoir rencontré par hasard Marion à Saint-Sever en 2019. Il passe quelques jours plus tard une soirée avec elle, ainsi qu’une de ses amies, Laura. Puis, selon ses dires, il se serait vanté ensuite « au quartier » d’avoir « rencontré des filles faciles ». Toujours selon lui, ses paroles ont été entendues par Medhi, qui aurait ensuite récupéré les contacts de Laura et Marion afin de les prostituer dans un appartement à Rouen. Dans ses déclarations, Medhi indique que Simon lui a « vendu » Laura pour de l’argent.
Raphaël et Adam sont eux soupçonnés d’avoir participé plus activement que Simon (contraintes, création d’annonces pour céder les services des jeunes femmes sur le site Sexmodels, partage des gains avec Medhi, distribution de stupéfiants aux jeunes femmes, etc.).
« Des jeunes femmes, piégées par la drogue, contraintes de se prostituer »
Lors de l’audience, Marion, à la barre, revient sur ses précédentes déclarations au cours de l’instruction et prétend n’avoir aucun souvenir de Simon, mais identifie bel et bien Medhi et Raphaël. À noter que c’est elle qui a présenté Laura à l’un des proxénètes, cette dernière s’étant proposé volontairement pour se faire de l’argent.
« Est-ce que vous avez subi des pressions », questionne la procureure de la République à Marion. « Oui », répond-elle, timidement. Elle évoque le nom de Medhi, « il a dit qu’il me retrouverait ». La victime indique n’avoir rien perçu pour ses activités. « Pourquoi avoir continué alors ? », interroge le ministère public. « La honte, la peur », lâche Marion. Dans le dossier, il est indiqué qu’une confusion a pu être entretenue entre les différents proxénètes, qui agissaient sous pseudonymes.
On prenait des stupéfiants pour pouvoir tenir.
Marion
lors de son audience
Concernant le cas de Laura, qui s’est absentée du tribunal et qui n’a pas souhaité témoigner, son avocate indique : « Elle était consentante. En tout cas, c’est la projection qu’elle s’en faisait. Elle avait 16 ans. Elle n’a pas repris ses études, elle ne voulait pas être la ‘pute du lycée’. Elle a dû vivre avec cette honte. »
On a une organisation assez bien rodée, avec un premier, puis un second appartement, ainsi que l’utilisation de pseudonymes. On a des jeunes femmes, piégées par la drogue, contraintes de se prostituer […] et on a des acteurs majeurs, qui passent leur temps à nier et à jeter la faute sur l’autre.
L’avocat de Marion
lors de l’audience
« On l’a droguée et on a continué de la droguer. Quand elle essayait de partir, on l’a menacée. L’année qui a suivi, ça a été terrifiant. Impossible qu’un homme l’approche, y compris son compagnon. Elle se réveillait la nuit avec des visages d’hommes au-dessus d’elle », note à son tour l’avocat de Kara*, la troisième victime.
Les peines requises par le ministère public
Lors de ses réquisitions, la procureure de la République a réclamé deux années d’emprisonnement assorties d’un sursis simple à l’encontre de Yanis, considéré non pas comme l’organisateur du réseau, mais accusé d’y avoir participé en mettant à disposition un appartement.
Pour Simon, « qui a dirigé sans scrupule une jeune mineure vers un proxénète », le ministère public réclame une peine d’emprisonnement d’un an assortie d’un sursis. Concernant Adam et Raphaël, la procureure de la République requiert la même peine, à savoir quatre années d’emprisonnement, dont un an ferme, à la seule différence que la peine de Raphaël pourra être aménagée sous bracelet électronique.
Le tribunal rendra sa décision le 28 avril
Du côté de la défense de Yanis, on souligne que le prévenu était « absent de l’appartement pendant la semaine » où les faits se sont déroulés, à savoir entre le 29 janvier et le 7 février 2019. « Aucun élément du dossier n’établit qu’il a connaissance de ce qui a pu se passer après qu’il a remis les clés de l’appartement », insiste son avocat, qui plaide pour la relaxe.
Le conseil de Simon, lui, regrette que pendant les six années qui séparent les faits de l’audience, il n’y ait eu aucune confrontation entre les victimes et le prévenu. « Comme il le dit, au quartier, il s’est vanté d’avoir rencontré deux filles faciles. Mais c’est Medhi* qui récupère ensuite les contacts de Marion et Laura via Snapchat. C’est lui qui fait venir les deux jeunes femmes dans l’appartement pour les prostituer », présente son conseil. Il réclame lui aussi la relaxe de son client.
L’avocate de Raphaël estime quant à elle que le dossier ne permet pas d’établir que son client est venu récupérer l’argent du proxénétisme dans l’appartement, ni qu’il est à l’origine de la création de l’une des annonces sur le site Sexmodels. « Il a amené des stupéfiants lors d’une soirée le 5 août, c’est la seule chose dont on est certain », appuie-t-elle, plaidant également pour la relaxe de son client concernant les faits de proxénétisme aggravé.
Le délibéré sera rendu par le tribunal le lundi 28 avril 2025.
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*Les prénoms ont été modifiés
Tout justiciable demeure présumé innocent tant que toutes les voies de recours n’ont pas été épuisées
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