Le parlement européen demande la préférence européenne

Le 16 octobre 2025, le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne ont conclu un accord historique sur le programme EDIP (European Defence Industry Programme). Officiellement destiné à soutenir la production militaire commune et à réduire la dépendance envers les fournisseurs étrangers, ce texte instaure de fait une « préférence européenne » dans les appels d’offres. Le principe est simple : pour bénéficier des 1,5 milliard d’euros de subventions prévues entre 2025 et 2027, les industriels devront prouver qu’au moins 65 % des composants de leurs systèmes proviennent d’un pays membre.

Pour les institutions européennes, ce seuil constitue une avancée stratégique. Après les chocs de la pandémie et de la guerre en Ukraine, Bruxelles entend affirmer une autonomie industrielle et militaire qu’elle juge indispensable. Selon le communiqué du Conseil de l’UE, l’objectif est de « combler l’écart entre les mesures d’urgence adoptées après 2022 et une politique de défense structurée à long terme ». Le message, adressé autant à Washington qu’à Moscou, vise à rappeler que l’Europe veut désormais maîtriser ses chaînes d’approvisionnement critiques.

Un débat qui divise les États membres et leurs partenaires

Mais derrière l’unité affichée, les divergences demeurent. Certains États membres, notamment la Pologne et les Pays baltes, craignent qu’une telle préférence ne fragilise leurs liens avec l’OTAN et les industriels américains. D’autres, comme la France ou l’Italie, y voient au contraire une étape nécessaire vers une véritable Europe de la défense. « Cet accord constitue une étape majeure pour la sécurité du continent européen et pour le développement de notre industrie », a affirmé François-Xavier Bellamy, rapporteur du texte au Parlement européen.

Les partenaires extérieurs, eux, s’inquiètent d’une fermeture du marché européen. En Israël, les entreprises du secteur de la défense anticipent une baisse significative de leurs contrats. D’après IsraelValley, le gouvernement israélien redoute une érosion de sa coopération militaire avec plusieurs pays de l’Union. Le débat prend donc une tournure diplomatique : Bruxelles assume désormais une politique industrielle assumée, quitte à froisser des alliés historiques.

Entre ambition industrielle et tensions géopolitiques

L’EDIP ne se limite pas à une logique de soutien financier. Le programme ambitionne de réorganiser la base industrielle et technologique de défense européenne (BITDE), longtemps dispersée entre des dizaines d’acteurs nationaux. À ce titre, il s’inscrit dans une continuité politique : après les programmes de relance de l’armement commun et les commandes mutualisées pour l’Ukraine, l’Union cherche à consolider une capacité d’action autonome.

Cependant, la mise en œuvre s’annonce complexe. Certains parlementaires dénoncent une « vitrine politique » qui risque d’avantager les grands groupes au détriment des PME. Le Parti communiste français parle même d’« enfumage » et de « tromperie », estimant que le texte ne remet pas en cause la dépendance réelle de l’Europe aux technologies américaines. À l’inverse, le groupe du PPE défend une avancée « pragmatique » et « structurante » pour l’avenir du continent. Quoi qu’il en soit, la préférence européenne dans la défense s’impose déjà comme un nouveau terrain de confrontation entre partisans d’une Europe puissance et tenants d’une ouverture transatlantique.

Une préférence européenne ou un protectionnisme déguisé ?

À gauche, le débat est vif. Le Parti communiste français (PCF) dénonce affirme que la préférence européenne est destinée à renforcer les grands groupes au détriment des États et des travailleurs. « Derrière la rhétorique de la souveraineté, l’UE soutient avant tout les champions industriels, sans véritable contrôle démocratique », a estimé le député Léon Deffontaines. Le groupe des Verts au Parlement européen a, de son côté, demandé davantage de transparence sur la répartition des financements et l’impact social des projets soutenus.

Mais pour la majorité des États membres, la préférence européenne relève avant tout d’un choix de cohérence politique. « Les fonds européens doivent d’abord renforcer nos capacités communes », résume un diplomate cité par Le Monde. À terme, Bruxelles espère qu’EDIP servira de socle à une politique européenne de défense véritablement intégrée, prélude à une Europe capable de décider et d’agir sans dépendre de Washington.