Par
Antoine Blanchet
Publié le
17 oct. 2025 à 18h32
« Je voudrais qu’ils sachent. Que ça, c’est arrivé à cause de ça », affirme Dahbia Benkired depuis le box. « Ça », c’est le meurtre et le viol sauvages de Lola survenus à Paris en octobre 2022. « Ça » c’est le parcours chaotique de son existence. Ce vendredi 17 octobre 2025, au premier jour de son procès, la jeune femme de 27 ans raconte aux juges et jurés son court passé. D’une voix mécanique, elle ne cesse de faire de sa vie un chemin traumatique dont le bout fut un crime effroyable. Le récit de sa route est pourtant pavé de contradictions. Un enfer vécu comparable à celui qu’elle a fait vivre ?
Le récit d’un calvaire
L’accusée a cependant fort à faire pour semer l’effroi dans un prétoire déjà secoué. Le calvaire de Lola a été décortiqué pendant un peu moins d’une heure par le président en début d’audience. Un frisson a parcouru l’assemblée lors de l’évocation de la rencontre fatale entre l’adolescente de 12 ans et Dahbia Benkired. Les visages ont pâli à la description des dernières minutes de l’adolescente dans l’appartement. Les estomacs se sont noués à la lecture du rapport d’autopsie de la victime. Le récit monocorde du magistrat a soulevé un vent glacial entre les murs boisés de la salle d’audience. À chaque détail du supplice, des soubresauts de chagrin parcouraient les bancs des parties civiles.
Après ce monologue de l’horreur, la cour a pu entendre la voix de celle qui encourt la perpétuité. Sa silhouette empâtée est bien différente de celle découverte sur son compte TikTok avant les faits. « Moi j’aimerais demander pardon à toute la famille. C’est horrible ce que j’ai fait. Je le regrette », lâche dans un souffle l’accusée. La voix est juvénile. Les mots sont décousus. On croirait entendre une lycéenne qui a triché à une interrogation écrite plutôt que l’auteure d’un des crimes les plus effroyables de l’histoire judiciaire contemporaine. Face à cette froide repentance, la mère de Lola s’effondre sur l’épaule de son fils. Quelques instants plus tard, ce dernier, face à Dahbia Benkired, lui demande d’une voix brisée la vérité, rien que la vérité.
Une vie émaillée de violences sexuelles
En une matinée, le doute s’est pourtant installé sur le rapport entretenu entre Dahbia Benkired et le vrai. « J’ai été violée par un voisin à 14 ans », lance d’emblée la jeune femme au président qui lui demande avec bienveillance quel est son premier souvenir. La violence sexuelle semble être un point de gravité où retombe son discours. Après ce premier abus, qui serait une agression sexuelle, la jeune femme évoque de sa voix hachée le calvaire infligé par deux de ses tantes dans sa jeunesse en Algérie. « Elles commettaient des attouchements sur moi et m’emmenaient toucher le sexe d’hommes », détaille-t-elle. Ces dernières l’obligeaient aussi à regarder des films pornographiques.
Cousin, voisin, proches… Le viol revient inlassablement. Mais au milieu de cette vie d’abus, les incohérences se glissent dans son récit. « Il m’a violée et jetée à la rue », dit-elle en évoquant le partenaire de son premier rapport sexuel à l’âge de 19 ans. Moins d’une heure après, la première fois est relatée d’une nouvelle façon : « C’était un rapport consenti ». Ce décalage, l’enquêtrice de personnalité l’a aussi ressenti. Aucun des traumatismes corroborés par l’accusée n’a été confirmé par ses proches. « Il y a un hiatus entre la façon dont madame présente une vie difficile pleine de violence et ce que disent les témoins », synthétise l’avocat général.
Une consommation de 20 joints par jour
Même le grand amour de la jeune femme, Mustafa, est peint au vitriol par l’accusée. « Il m’a trahi », lâche-t-elle laconiquement. Elle l’a rencontré à 18 ans, alors qu’elle vit dans le Val-de-Marne et sort d’études en CAP restauration. Elle a quitté l’Algérie en 2014 avec sa mère et ses deux sœurs. Lui est un dealer. Elle une « mauvaise graine ». Ils vivent d’amour et d’herbe fraîche. Chaque jour, Dahbia Benkired consomme un peu plus de 20 joints. « Mustafa avait ramené une valise pleine de cannabis et j’en prenais en cachette », relate-t-elle. À l’automne 2022, elle avait arrêté de fumer pendant un mois, avant de reprendre une semaine avant le meurtre de Lola.
Prostitution et lyrica
Derrière l’amour se cacherait pourtant la violence. À la cour, l’accusée assure avoir été poussée à se prostituer par son compagnon. Une pratique qu’elle aurait continuée dans le bar où elle travaillait à l’été 2022. « Je rentrais avec des clients contre de l’argent », explique-t-elle. Durant ces passes, elle aurait consommé du Lyrica, un médicament aux effets neurologiques dévastateurs. Là encore, des allégations invérifiables. D’autres éléments viennent semer le trouble comme cette « secte pédosataniste » évoquée par l’ex-conjoint interrogé. « Elle avait des fréquentations bizarres qui lui ont fait des trucs bizarres », a-t-il déclaré à l’enquêtrice de personnalité.
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On navigue ainsi pendant plusieurs heures sur cette mer brumeuse. Chaque déclaration de Dahbia Benkired trouble davantage le ciel du prétoire. Comme cet instant où elle regarde d’un air éberlué le président lorsqu’il rappelle la date de la mort de sa mère, épisode de bascule selon elle. « Ah, je m’en souviens même pas », dit-elle apathique. Seule certitude sur ces 24 années : une vie d’errance. Mais ce vendredi, la cour d’assises erre aussi dans ce brouillard corrosif. La fumée atteint, mais n’incommode pas les bancs des parties civiles. Il faut dire que leurs yeux sont déjà rougis de larmes.
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