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Glenn Gillet

Publié le

17 oct. 2025 à 18h19

C’est un dispositif exclusif, auquel actu Paris a pu prendre part : la Ville de Paris a permis pour la premières fois à quelques journalistes de consulter le détail des notes de frais de représentation des maires d’arrondissement de la capitale. La publication d’une petite partie de ces données par des associations de transparence et des opposants politiques à Anne Hidalgo et à la gauche au pouvoir dans la capitale, courant septembre, avait créé la polémique. Pendant un peu plus de deux heures ce vendredi 17 octobre 2025, nous avons fait face, dans une salle de l’Hôtel de Ville, à un ordinateur appartenant à la ville sur lequel étaient rassemblés plus de 6 000 tickets de caisse, de carte bleue, factures et autres preuves d’achats des 17 maires d’arrondissement de Paris entre le deuxième semestre 2020 et la fin 2024. Interdiction toutefois de prendre des photos de l’écran ou d’en faire de quelconques copies. « Ce sont des documents administratifs qui n’ont pas vocation à être diffusés ou envoyés d’une autre manière, quelle qu’elle soit », justifie la mairie.

Une opération transparence pour calmer la polémique ?

L’opération avait été annoncée le 2 octobre, en pleine tempête politique et médiatique : fin septembre, le collectif Transparence citoyenne, qui a bénéficié de financement du milliardaire d’extrême droite Pierre-Édouard Stérin, est parvenu à obtenir le détail des frais d’Anne Hidalgo, sur décision du tribunal administratif. On découvrait ainsi que la maire de Paris avait dépensé 84 200 euros en frais de représentation entre 2020 et 2024, notamment au travers d’achats dans des enseignes haut de gamme comme Dior, Repetto, Gérard Darel ou encore au BHV. Quelques jours plus tard, c’était au tour d’Eric Lejoindre, maire du 18e arrondissement par ailleurs directeur de campagne d’Emmanuel Grégoire, candidat PS à la succession d’Anne Hidalgo, de voir ses notes de restaurants et factures de vêtements partagées sur les réseaux sociaux et commentées en masse.

Autant de dépenses validées par la Direction de la démocratie, des citoyens et des territoires (DDCT) de la mairie de Paris et rentrent donc en principe toutes dans le cadre légal et dans le cadre réglementaire fixé localement.

Mais face aux critiques, la Ville de Paris avait contre-attaqué en promettant aux journalistes qu’ils pourraient, sous peu, consulter les notes de frais de l’ensemble des maires d’arrondissements sur rendez-vous, à l’Hôtel de Ville. Le lendemain, Libération diffusait une partie de ces documents, grâce à une source vraisemblablement proche de la mairie, et donnant lieu par la suite à des interviews étonnantes de la mairie du 8e arrondissement Jeanne d’Hauteserre (LR) revendiquant le fait d’être « bien sapée » avec vêtements de luxe et remerciant ses concitoyens de financer de telles dépenses. Face au tollé, elle a promis quelques jours plus tard de rendre l’intégralité des vêtements acquis.

Après ces rebondissements, deux sessions de consultation des fameux documents ont donc eu lieu ce vendredi et ils resteront disponibles à l’avenir pour les journalistes, sur rendez-vous, nous assure-t-on du côté des équipes de la Ville, nous précisant que les notes concernant Anne Hidalgo seront elles aussi disponibles. Étant contraints par le temps pour cette session de consultation, nous n’avons pas pu éplucher l’intégralité des plus de 6 000 documents mis à notre disposition. Mais nous avons pu découvrir comment les maires parisiens dépensent les 11 092 euros de frais de représentation dont ils disposent chaque année.

Restaurants, vêtements, coiffures… Un train de vie confortable et contrôlé

On retrouve chez eux plusieurs postes de dépenses récurrents : les restaurants, les vêtements de moyenne et haute gamme, le pressing, la coiffure et les cadeaux. Les sommes engagées sont toutefois très variables et plus ou moins nombreuses. Au cours des quatre dernières années, le maire de Paris Centre Ariel Weil (PS) a par exemple dépensé plusieurs fois une vingtaine d’euros par passage dans un de ses bistrots préférés, le Pick Clops (4e) mais aussi 498 euros sur la péniche Marcounet en août 2020. Côté vêtement, ce sont les marques Eric Bompard, Figaret, Agnes B. et Carhartt qui trouvent le plus souvent grâce à ses yeux : il a par exemple dépensé 545,60 euros pour diverses pièces de chez Bompard le 4 janvier 2021 avant de revenir le lendemain pour un passage en caisse à 127,60 euros. Le reste du temps, il réalise des dépenses comprises généralement entre 10 et 100 euros dans divers restaurants et cafés, de façon régulière. En 2021, ce sont 139 justificatifs présentés par le maire du centre de la capitale qui ont été validés par les services de la ville de Paris.

D’autres édiles réalisent des dépenses plus ponctuelles mais aussi plus importantes : par exemple, quand Francis Szpiner, maire LR du 16e arrondissement jusqu’à son élection en tant que sénateur, se rend à la boutique de chemises et de costumes Figaret rue de Longchamp le 21 décembre 2020, il ressort les mains pleines de vêtements, pour un montant qui s’élève à pas moins de 1970 euros. Rebelote le 24 décembre 2021 lors de sa visite à deux pas de Figaret, chez Arthur & Fox, où il dépense plus de 3 000 euros dans diverses pièces chics. En octobre 2023, son dernier mois à la mairie du 16e, il se voit adresser une facture de fleuristes de 1 753 € pour une « cérémonie ». Un pot de départ ?

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Du côté du 9e arrondissement, la maire Delphine Bürkli (Horizons) a un poste de dépense privilégié : les brushings. Rien que sur l’année 2021, ces notes de frais font état de 71 passages au Salon Alvarez pour une prestation en trois étapes qui lui revient à chaque fois à 33,20 euros, pour un total de 2 357,20 euros sur l’année. Le reste de ses dépenses : principalement, là encore, des restaurants et des vêtements.

Nous n’énumérerons les cas de tous les maires. Même si les quelque deux heures qui nous ont été accordées ne permettent pas une analyse exhaustive des dépenses de chaque élu, il faut dire que leurs notes de frais que nous avons consultés se ressemblent fortement (à l’exception peut-être de celles de Jeanne d’Hauteserre qui ne concernent que des vêtements haut de gamme), à la fois en termes de montants dépensés et de postes de dépenses. Seule exception au tableau : Rachida Dati, maire du 7e arrondissement, qui n’a enregistré que trois notes de frais depuis 2020 : 185 euros au restaurant Lily Wang le 16 septembre 2020, 67 euros au Café de l’Esplanade le 2 octobre de la même année et enfin 84,50 euros, à nouveau à Lily Wang, le 27 octobre 2021.

Après les critiques essuyées par Anne Hidalgo au sujet de ses précédents refus de publier le détail de ses notes de frais, la mairie de Paris martèle que l’opération conduite ce vendredi « montre que nous faisons preuve de transparence, contrairement à beaucoup d’acteurs qui se renvoient la balle ou qui disent qu’ils ne le feront pas tant que les autres ne l’auront pas fait. […] Il y a eu une attente parce qu’il s’agit de taper sur la Ville de Paris et sur Anne Hidalgo » et pour le cas précis des associations qui ont fait des demandes, à l’image de Transparence citoyenne, « il y a évidemment des considérations politiques derrière, qui veulent salir la Ville de Paris et nuire, alors forcément, il peut y avoir des réticences à transmettre ces documents ». À quelques mois des élections municipales, et même si Anne Hidalgo n’est pas candidate pour un troisième mandat, on ne peut en effet guère douter que les publications de ces notes de frais deviennent autant d’arguments dans la bataille électorale.

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