Publié le
17 oct. 2025 à 15h27
« En 1948, les étudiants géraient eux-mêmes leur régime de Sécu. » Cette phrase, lâchée par Francis Kessler, a fait lever quelques sourcils dans l’amphithéâtre Urbain V. Il est 17h30, ce mercredi 15 octobre 2025, et la Faculté de Droit de Montpellier bruisse d’échanges autour d’une institution aussi ancienne que centrale : la Sécurité sociale, 80 ans déjà, et toujours en quête de jeunesse.
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La jeunesse, actrice méconnue d’une histoire collective
La première table ronde, animée par Julien Damon, replonge la salle en 1945. La guerre s’achève, la France se relève, la Sécurité sociale naît. Mais à l’époque, les étudiants n’existent pas encore comme catégorie. « Trop âgés pour dépendre de leurs parents, pas encore salariés », résume Francis Kessler, maître de conférences émérite à la Sorbonne. En 1948, un pas décisif est franchi : le Parlement crée le régime étudiant de Sécurité sociale, géré directement par les jeunes eux-mêmes. Une première mondiale. « C’était un symbole d’autonomie, une forme d’émancipation », souligne Philippe Trotabas, directeur de la CPAM de l’Hérault. Pendant plusieurs décennies, le système fonctionne bien.
Mais les promesses s’effritent à partir des années 1990 : lourdeurs administratives, retards, scandales. Le régime s’essouffle. La loi de 2018 acte sa disparition. « Ce fut pourtant une réforme réussie », note Philippe Trotabas, qui y voit un modèle de concertation. « On a intégré plus de 500 salariés, simplifié les démarches, supprimé la cotisation annuelle de 217 euros. » Pour autant, la jeunesse n’a pas disparu du radar social. Stéphanie Demaret, directrice de l’UGECAM (Union pour la gestion des établissements des caisses de l’Assurance Maladie) Occitanie, insiste sur la santé mentale : « Les jeunes sont la première courbe de fragilité. Le dispositif ‘Santé Psy Étudiant‘ permet aujourd’hui un accès facilité à des psychologues. » Elle évoque aussi les jeunes en situation de handicap : 27 % déclarent des limitations physiques ou psychologiques, mais seuls 5 % bénéficient d’un accompagnement adapté.
Accès, droits et usage : les jeunes face à la Sécurité sociale d’aujourd’hui
La deuxième table ronde réunit Anne-Sophie Ginon, Laurianne Enjolras, Jessica Attali-Colas, Yannis Boukari, Manon Sauter et Éric Michon. Objectif : explorer le rapport actuel des jeunes à la protection sociale. Pour Éric Michon, directeur de la Carsat (Caisse d’assurance retraite et de la santé au travail) Languedoc-Roussillon, le constat est clair : « 25 % des accidents du travail surviennent pendant les six premiers mois d’emploi. La prévention doit donc commencer dès la formation. » Une phrase qui résonne, tant elle touche la jeunesse au moment précis où elle entre dans la vie active.
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Manon Sauter, fondatrice de Famille Santé, application pour remédier au manque de médecins et de spécialistes dans le département, parle de son expérience personnelle. Son fils a eu un traumatisme dentaire à 18 mois. Impossible de trouver un spécialiste avant trois semaines. « Cette attente, c’est aussi ça, notre système. » Son témoignage illustre une réalité : l’accès aux soins reste un défi quotidien. Les jeunes doutent également du système de retraite. « Ils n’y croient plus », admet Jessica Attali-Colas, maître de conférences à Lyon 3. « On leur a dit qu’ils n’en profiteraient pas. Résultat, la confiance s’effrite. »
Pour Yannis Boukari, entrepreneur, la méfiance vient aussi du décalage entre les dispositifs et les besoins : « Beaucoup de jeunes ignorent leurs droits, d’autres refusent par peur d’être stigmatisés. » Laurianne Enjolras, maître de conférences en droit privé à l’université de Montpellier, complète : « La jeunesse n’est pas une catégorie juridique. C’est une période de transition, entre études, stages, emplois précaires. La Sécurité sociale doit s’adapter à cette réalité mouvante. »
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Dans l’amphithéâtre Urbain V, les débats ont mêlé souvenirs, constats et propositions pour une solidarité plus moderne. (©Métropolitain / LP)Réinventer la solidarité : la Sécurité sociale de demain
Troisième temps fort de la soirée : la projection vers l’avenir. Sophie Sélusi, Philippe Coursier, Romain Marié, Thierry Mathieu et Marie-Agnès Garcia débattent d’une question simple : comment rendre la Sécurité sociale durable, inclusive et compréhensible pour les jeunes ?
Sophie Sélusi, maître de conférences de droit privé et sciences criminelles à Montpellier, présente une enquête menée auprès d’étudiants. Deux tiers disent avoir entendu parler de la Sécurité sociale à l’école, mais seuls quelques-uns affirment bien la connaître. Un quart l’ont découverte « par hasard ». « Cela montre que la sensibilisation institutionnelle reste incomplète. » Pourtant, 60 % des jeunes se disent prêts à cotiser pour des prestations dont ils ne bénéficieraient pas : la solidarité continue de faire sens. Les étudiants réclament plus de pédagogie, des vidéos courtes, des outils numériques. « Ils veulent comprendre et participer. » La transition écologique arrive aussi en tête de leurs priorités : six jeunes sur dix estiment qu’elle doit devenir un pilier de la Sécurité sociale.
Marie-Agnès Garcia, directrice de la MSA du Languedoc, insiste sur l’importance du lien territorial. « La mutualité agricole suit ses adhérents de la naissance à la retraite. Elle relie toutes les branches du système. Mais il faut renouveler la gouvernance, faire entrer des jeunes dans nos instances locales. » Même ton du côté de Thierry Mathieu, directeur de la CAF de l’Hérault. Il raconte, sourire aux lèvres : « Quand j’étais étudiant ici, à Montpellier, je ne savais pas que la CAF pouvait m’aider pour mon loyer. » Aujourd’hui, les allocations logement concernent massivement les jeunes. La CAF développe aussi des applications et des démarches simplifiées : « C’est bien, mais ce n’est jamais simple », glisse-t-il, amusé.
« La mutualité agricole suit ses adhérents de la naissance à la retraite. Elle relie toutes les branches du système. Mais il faut renouveler la gouvernance, faire entrer des jeunes dans nos instances locales »
Marie-Agnès Garcia
Directrice de la MSA du Languedoc
En deux heures d’échanges, une certitude s’impose : la jeunesse ne rejette pas la Sécurité sociale. Elle veut la comprendre, la moderniser, la relier à ses enjeux. Numérique, écologie, santé mentale, inclusion : autant de chantiers à ouvrir pour que le pacte social de 1945 continue de vivre.
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