«On a peur du directeur du zoo, Mathieu Dorval, et de possibles représailles, explique Elodie*, qui a occupé un poste administratif à partir de 2023 au zoo de Bordeaux Pessac. On sait qu’il connaît beaucoup de monde dans le milieu. » Avec 22 autres anciens salariés du parc animalier, elle témoigne anonymement dans un communiqué commun, en cette mi-octobre, de dysfonctionnements relevés depuis une dizaine d’années, au moment de l’arrivée du nouveau directeur.
En bref, ils racontent une pression et surveillance sur des salariés qui n’ont pas voix au chapitre, même dans leur domaine de compétence et des investissements au profit de « l’expérience visiteurs », au détriment des conditions d’accueil des animaux.
Surveillance des salariés par caméras
Selon les témoignages écrits et oraux dont 20 Minutes a pris connaissance, les jeunes salariés appréhendent au départ avec enthousiasme de travailler au sein du zoo, ouvert à la fin des années 1970, dans la région bordelaise. Mathieu Dorval, qui a repris le parc animalier en 2015 après avoir officié à la ménagerie du Jardin des plantes, à Paris, jouit d’une bonne réputation dans le milieu zoologique.
Mais ils déchantent rapidement et parlent d’une personne qui instaure « un climat de tensions », selon Elodie, avec des démissions tous les mois. « Certains sortaient de son bureau en pleurs. » D’autres rapportent des « humiliations », avec notamment la mise en concurrence de deux équipes de soigneurs dont l’une avait sa préférence, et l’utilisation des caméras pour épier le moindre de leurs gestes. « Elles sont présentes pour assurer la sécurité des animaux et du site, et en aucun cas pour surveiller les collaborateurs », se défend la direction du zoo de Bordeaux Pessac, contactée par 20 Minutes.
Alors que des lodges pour dormir au milieu des enclos des grands carnivores (lions, jaguars et tigres blancs) sont construits à grands frais fin 2024 sur le site, les voiturettes pour se déplacer sur le parc de cinq hectares font régulièrement défaut et en cas de panne de la pompe d’eau courante, il faut faire tous les soins à la brouette et au seau. « L’hiver, dans les bureaux, on cachait un petit chauffage pour nos pieds, tellement on avait froid », se souvient aussi Elodie.
Une maison de retraite pour servals aux conditions rudimentaires
La direction du zoo « conteste fermement ces allégations qui ne sont pas fondées. Elles semblent nourries de griefs personnels d’anciens salariés du parc, dont certains nous nous sommes séparés notamment par manque de compétences ou problèmes d’attitude, entre autres raisons ».
« Le directeur avait du plaisir à avoir du pouvoir sur les gens, estime Nathan*, un ancien soigneur du parc. Il aimait souvent à rappeler qu’il avait été soigneur pendant vingt ans mais on était effarés par les décisions prises qui plaçaient le visiteur d’abord, et les animaux vraiment ensuite. »
L’« Extra-Old-Inaire », un concept présenté comme une maison de retraite pour les vieux animaux est d’abord plébiscité par les soigneurs mais là encore, ils déchantent rapidement. Les servals vieillissants accueillis sont à peine à l’abri de la pluie dans leur enclos aux conditions rudimentaires. Alors que l’état des animaux se dégrade, les soigneurs bricolent à la hâte une petite cabane avec « des lampes chauffantes munies de rallonges sur plusieurs mètres alors qu’il y avait dehors de belles pancartes pour décrire le concept de maison de retraite pour animaux », déplore Nathan.
Deux avis différents sur la mort de perroquets
Un autre événement va précipiter son départ du parc. Alors que des travaux sont entrepris dans les allées du parc l’hiver dernier, les perroquets, des animaux très sensibles à la température, ne sont pas déplacés à temps de leur enclos et subissent « un stress intense ». Ils ont été transférés dans leurs nouveaux abris, qui n’étaient pas terminés et ne disposaient pas de chauffage, et cela leur aurait été fatal. « J’ai posé ma démission le lendemain de la mort du deuxième perroquet », lâche Nathan, dépité. Leur mort « est liée à une maladie du foie, cela a été confirmé par un rapport d’autopsie vétérinaire détaillé », assure de son côté la direction.
Les anciens employés ont encore beaucoup d’exemples. Un mulet qui était installé dans l’enclos le plus reculé du parc et inondé une grande partie de l’année, a développé une gale en lien avec l’humidité. « On a proposé de le déplacer dans d’autres enclos mais à chaque fois, il y avait une bonne raison de ne pas le faire », commente Nathan.
« Viande avariée » donnée aux tigres, fuite d’une autruche
« Des tigres sont tombés malades après avoir consommé de la viande avariée à cause d’une panne de la chambre froide, qui avait déjà été signalée depuis un moment par les salariés mais pas prise en charge par souci d’économie », raconte Elodie. L’intoxication est démentie par la direction. « Des animaux n’ont jamais été malades en lien avec la nourriture qui leur est donnée par les soigneurs : si tel avait été le cas, les médecins vétérinaires du parc auraient été sollicités. »
L’échappée d’une femelle autruche, en octobre 2024, serait due pour la direction à « un moment de stress survenu lors d’une phase de mise en contact planifiée ». Pour ce soigneur, l’arrivée ce jour-là d’un mâle a été mal organisée et la clôture, défaillante depuis un moment, devait être rafistolée par les équipes plusieurs fois par jour.
Qu’en est-il aujourd’hui ? « Nous sommes opérationnels et continuons d’accueillir nos visiteurs dans les meilleures conditions, et en stricte conformité avec les réglementations en vigueur », promet la direction. Le dernier arrêté préfectoral d’autorisation délivré à l’établissement, contrôlé tous les trois ans, remonte à août 2024.
« Aucune des anomalies mentionnées dans les articles de presse n’a été portée directement auprès du service d’inspection de la direction départementale de la protection des populations (DDPP) qui aurait alors diligenté un contrôle inopiné », fait valoir la préfecture de la Gironde.
*Les prénoms ont été modifiés pour préserver l’anonymat des personnes qui témoignent, à leur demande.