Baroud d’honneur en attendant que le rideau sur l’écran tombe ou réelle foi en sa relaxe le 1er décembre ? En présence d’un Gaël Perdriau se voulant aussi « serein » que « combatif », le premier conseil municipal de Saint-Etienne post procès a évidemment été aiguillé par l’affaire provoquant un début de séance très mouvementé. Tellement que deux groupes d’opposition l’ont quitté au bout d’1 h 15. Derrière une joute verbale dont le conseil est dramatiquement coutumier, le maire Gaël Perdriau vient – peut-être – de connaître son ultime assemblée communale. Selon ses propres déclarations, ce sera le cas si condamnation il y a.

Ultime assemblée municipale pour Gaël Perdiau en cas de condamnation : « Oui, j’en ai conscience », a-t-il répondu à la presse le matin précédant le conseil. ©Xavier Alix / If Saint-Etienne

Détendu, souriant et – à nouveau – sûr de lui. Timbre de voix, débit, expression du visage… le contraste avec son ultime prise de parole face aux juges le 30 septembre au tribunal est saisissant. Saisissant et, semble-t-il, maîtrisé… Le matin, confronté à la presse, puis, l’après-midi face aux interventions « liminaires » attendues des élus d’opposition, Gaël Perdriau s’est voulu « serein », toujours aussi « combatif », toujours à clamer imperturbablement qu’il n’est pour rien dans les horreurs faites à Gilles Artigues. Plus d’un groupe d’opposition lui avaient réclamé de se retirer de ses fonctions avant ce conseil municipal (au-delà d’une démission exigée depuis 3 ans), au moins en attendant le rendu du jugement du procès, fixé au 1er décembre. Que la requête fasse mouche aurait été une surprise. Toute aussi saisissante.

Dans l’attente de la décision qui déterminera son avenir politique immédiat (et très probablement définitif), « confiant » puisqu’« innocent », l’intéressé a voulu envoyer le message que lui et son équipe étaient imperturbablement au travail – 96 délibérations au menu de ce conseil qui, sans le procès, aurait eu lieu en septembre – à la différence d’oppositions intéressées, dit-il, par la seule affaire, par pur « intérêt politique » : « Le conseil n’est pas un tribunal. Ils n’ont aucune proposition à faire et se fichent bien des Stéphanois donc ne parlent que de ça. A part Saint-Etienne Avant Tout (groupe de 9 élus ayant quitté sa majorité en juin 2024), pas un seul groupe d’opposition n’était représenté ce matin (lors de l’habituelle réunion entre présidents de groupes d’avant conseil, Ndlr). Non, ce n’est pas plus compliqué de travailler pour nous. Regardez : on vient de connaître une belle Fête du Livre. Eliminer Perdriau ne fait pas un projet municipal.»

« La vérité est ailleurs »

Ils n’ont aucune proposition à faire et se fichent bien des Stéphanois. Eliminer Perdriau ne fait pas un projet municipal.

Gaël Perdriau

Pas là ce matin car « à quoi bon ? », pour résumer la réponse quelques heures plus tard en séance publique d’Isabelle Dumestre, présidente de Saint-Etienne Demain (PS, alliés et apparentés) : « C’est impossible d’avoir un dialogue avec vous. Vous êtes dans le mensonge et ne laissez pas la parole à votre interlocuteur.» Explication envoyée en pleine entame très mouvementée du conseil. Le refus de se mettre en retrait sur le champ en confiant ses pouvoirs à son 1er adjoint et la réponse globale de Gaël Perdriau aux différentes interventions « liminaires » de ses opposants a en effet provoqué deux interruptions de séance moins d’une heure après son lancement. Le maire a refusé de poursuivre « l’échange » avec Isabelle Dumestre, administrant coupures de micro et par conséquence, une bonne dose de colère à l’élue d’opposition. De quoi provoquer le départ de son groupe aux côtés de celui des communistes, ces derniers ne souhaitant pas davantage « écouter plusieurs heures d’autosatisfaction » alors que « vous n’avez pas la décence de vous retirer pour ces 3 mois restant, accroché au pouvoir par l’énergie désespoir au nom de la présomption innocence ».

Lui est resté dans la salle, avec son groupe, Le Temps de l’Ecologie. Olivier Longeon avait, avant cela, (r) allumé la mèche, le premier, sur l’affaire : « Que les Stéphanoises et le Stéphanois se souviennent : pendant les 3 années d’instruction de l’affaire de la sextape, le maire de la ville leur a promis un gros boum le jour du procès. Je crois que nous l’avons tous vu, ce fut un petit pschitt et pour lui un gros boum sur la tête. Il avait promis de grandes révélations, il a tenté de dire que ce n’était que complot. Une fois c’était le complot d’une partie de la droite. Une autre fois c’était le complot de la gauche. Une autre fois encore, c’était un complot maçonnique, des accusations d’ailleurs où nous avons cru revenir aux pires accusations de l’histoire française et une nouvelle fois la vérité est ailleurs. » (…)

« Il y a bien eu… »

« Il y a bien eu un film intime capté en toute illégalité. Il y a bien eu des gens qui l’ont vu. Il y a bien eu des gens qui s’en sont servi. Il y a bien eu dans cette ville, des gens qui en ont parlé entre eux. Il y a bien eu à Saint-Etienne des subventions à des associations dont on pense qu’elles ne servaient pas à ce à quoi elles étaient destinées. (…) Allez sur les marchés, dans les rues, dans les transports en commun, dans les commerces de la ville. Je parle bien d’aller dans Saint-Etienne et pas d’aller faire ses courses à Steel ou dans les autres centres périphériques. Rencontrez les Stéphanoises et les Stéphanois, leur conviction est faite. Plus beaucoup qui vous disent, droit dans les yeux, qu’il ne s’est rien passé. Une majorité qui accuse, et dit avec ses mots « dehors ». »  

Il s’agit, peut-être, de la dernière image de Gaël Perdriau, présidant un conseil municipal stéphanois. ©Xavier Alix / If Saint-Etienne

Isabelle Dumestre avait enchainé : « En attendant cette délivrance, en ce conseil municipal si particulier, nous voulons nous adresser aux Stéphanoises et aux Stéphanois. Nous voulons leur dire que nous sommes, tout comme eux, atterrés, écœurés, dégoûtés, par le grand déballage auquel nous avons pu assister lors de ce procès. (…) Nous voulons leur dire clairement que non, la gestion d’une ville, ce n’est pas ça. (…) Que tout n’est pas que vulgarité, intimidations, manipulations, trahisons et coups bas, derrière les murs d’un Hôtel de Ville, en temps normal. »

« Torrent de boue »

Elle poursuivait : « Voilà 2 ans qu’on nous promettait, dans cette enceinte, des révélations fracassantes, que la « vraie vérité » allait être enfin révélée… Mais, le « grand boum » tant annoncé n’a pas eu lieu. (…) Et, au final, la seule chose qui aura fait « boum », c’est le bruit des réquisitions. De la prison ferme requise. Plusieurs années. De l’inéligibilité requise, à titre exécutoire. À ce stade, vous demeurez présumé innocent. Mais il faut que vous et vos soutiens commenciez à l’entendre : nous ne sommes plus dans les révélations d’une « certaine presse » ou dans « des ragots de torchons ». Nous ne sommes plus dans une histoire orientée par les fuites du secret de l’instruction. Il y a eu enquête. Aux conclusions accablantes. Il y a eu un procès. Au contenu accablant. Il y a eu des réquisitions. »

Je ne devrais pas parler de l’affaire cet après-midi mais votre présence y oblige. Votre obsession à rester est une faute.

Lionel Boucher, élu UDI d’opposition

Sa stratégie de défense, estime Isabelle Dumestre, « s’est jusqu’ici résumée à déverser un torrent de boue sur toutes celles et ceux qui ne vont pas dans votre sens : la presse, les policiers, les juges, les avocats, les victimes, vos alliés d’hier ou vos opposants des prochaines élections. » Ex adjoint UDI du maire Lionel Boucher embrayait : « Il est temps de tourner cette page sordide de 3 ans qui a abimé l’image de Saint-Etienne, et je le crains, pour plus que 3 ans. J’ai défendu une victime et l’ai payé cher… L’essentiel est ailleurs : Gilles Artigues est une victime et c’est un fait incontesté. Je ne devrais pas parler de l’affaire cet après-midi mais votre présence y oblige. Votre obsession à rester est une faute. Nous appelons (après les élections, Ndlr) à revenir à des conseils mensuels, à l’ordre du jour raisonnable, permettant de vraiment discuter des décisions et à une place plus respectueuse de l’opposition. Un maire, une équipe ne doit pas dominer mais servir, et agir sans écraser. »

« Votre présence est une perte de temps »

Nicole Peycelon, présidente du groupe Saint-Etienne Avant Tout, associait aussi sa présence persistante à une provocation stérilisante : « Votre présence est une perte de temps, source de joutes oratoires. Si vous vous étiez retiré comme demandé, attendre que Justice se fasse se serait fait dans la sérénité. Nous pourrions débattre des délibérations tranquillement, dans l’intérêt des Stéphanois. » Et Julie Tokhi (EELV) de passer la dernière couche. Sans vernis : « Ce qu’on retiendra, c’est que 3 ans n’auront pas suffi pour construire un récit alternatif parce que celui-ci n’existait pas. Dans l’affaire Virenque, maître Collard avait une enveloppe qu’il brandissait devant les médias en disant qu’il l’ouvrirait le jour du procès pour révéler la vraie vérité. Au procès du dopage, il n’y avait plus d’enveloppe car celle-ci était vide, et Richard Virenque a pu découvrir que les avocats ne peuvent pas l’impossible. »

Ce qu’on retiendra, c’est que 3 ans n’auront pas suffi pour construire un récit alternatif parce que celui-ci n’existait pas.

Julie Tokhi, élue d’opposition EELV

Elle appelait la trentaine d’élus composant encore la majorité de Gaël Perdriau à le quitter, dans un sursaut, là, sur le champ. Le pré est resté plein et le dernier carré ira, semble-t-il, bel et bien et jusqu’au bout. Ce bout-là sera-t-il cependant le 1er décembre en cas de Waterloo ou au-delà, même dans le cas où il serait privé de leur leader ? « D’autres prises de parole ? », questionnait, lui, Gaël Perdriau après avoir patiemment écouté, un à un, ses adversaires. A leurs diatribes écoulées suivait la sienne, faisant faire part de son propre constat, parfois armé d’un sourire en coin : les boums promis ont bien eu lieu et ils ont été retentissants, estime-t-il : « On pourrait en citer quatre et bien d’autres encore. » Et de passer en revue, puisque la presse les aurait tues, ces « preuves matérielles » dont le camp d’en face serait, lui, privé.

« Les Stéphanois attendent de nous du travail« 

« J’ai décidé de me mettre en retrait Métropole et on n’y a jamais autant parlé de moi que depuis que je n’y siège plus. Tant que la Justice ne m’a pas condamné, définitivement (sic), je demeure présumé innocent. (…) Je suis innocent. D’ailleurs Mme la procureure a dit qu’elle ne souhaitait pas de demi-mesure : relaxe totale ou forte condamnation. (…) Vous avez tous regretté que nous abordions cette affaire avant les 100 dossiers qui nous rassemblent et la mettez quand même sur le tapis, c’est plus fort que vous pour certains. » Des interventions qu’il qualifie « pleines de morales, pleines de mépris mais rarement de vérité. Il ne faut jamais se réjouir des difficultés de sa ville, les amplifier pour des raisons politiques. Les Stéphanois attendent de nous du travail, pas du théâtre. »

Des faits établis qui posent question dont les preuves matérielles ont été déposées à la Justice et sur lesquels la presse a été d’une discrétion qui interroge. 

Gaël Perdriau

Et de trouver « cocasse que le candidat PS à la mairie de Saint-Etienne Régis Juanico, organise prochainement un atelier sur l’éthique, la probité et l’exemplarité des élus. Il n’est pas vraiment le mieux placé pour en parler compte tenu du faux témoignage qu’il a prononcé devant la Justice après avoir prêté serment. » G. Perdriau a bien préparé sa propre « liste » : celle « des faits établis qui posent question dont les preuves matérielles ont été déposées à la Justice et sur lesquels la presse a été d’une discrétion qui interroge ». Alors (re) voilà ces « boums » que notre rédaction, comme d’autres, ont déjà cités : « Régis Juanico a eu connaissance de la vidéo intime au moins à partir dès février 2022, six mois avant la parution de Mediapart, et pourtant pas fait appel à l’article 40. Pourquoi ? Peut-être parce que c’est ami proche de Gilles Rossary-Lenglet avec qui il échangeait sur messagerie cryptée. Il a préféré en faire un usage politique. (…) Lionel Boucher avait lui aussi eu connaissance de la vidéo intime dès 2018. Il n’a rien fait aussi. Pourquoi ? Je ne lui en veux pas : il avait les mêmes raisons que moi. »

Claquage de porte

3 ans que « je répète que je croyais Gilles Artigues consentant (à propos du filmage à son insu du massage) et non une victime abusée. Il a d’ailleurs reconnu avoir été consentant. Cela n’enlève rien à l’atteinte de sa vie privée, que je condamne. Certains se sont réjouis publiquement de l’épisode unique où j’ai été conspué dans un restaurant. Grâce au dossier, nous savons que ce n’était pas n’importe où : le gérant cachait chez lui des vidéos remises par Gilles Rossary-Lenglet à Médiapart, qu’il voulait cacher à la police lors des perquisitions. Cela s’appelle une dissimulation de preuves. Si ces quatre informations – il y en a bien d’autres – ne font pas boum, Mme Dumestre, c’est qu’elles ne vous étonnent pas, donc que vous les connaissiez. J’en tire les mêmes conclusions qu’avec Régis Juanico et Lionel Boucher. (…) Le 1er décembre, la Justice rendra sa décision, je m’y soumettrai. En attendant, je continuerai à faire mon travail. »

L’attaque sur la probité de Régis Juanico, celle des oppositions en général et la volonté de passer immédiatement à l’ordre du jour en sifflant la fin prématurée de la partie de ping pong, quitte à couper le micro d’une Isabelle Dumestre, et provoquer sa colère, ont donc donné lieu à deux interruptions de séance. Avant le départ de la salle des groupes Saint-Etienne Demain et communistes puis dans la foulée, l’annonce d’une plainte pour diffamation de la part de Régis Juanico envers Gaël Perdriau… Au moins une observation mettra l’ensemble de la scène parfaitement d’accord : tout cela n’a que trop duré.