Il est classé dans le Top 10 des plus grands succès en Italie pour l’année 2024 mais aura mis près d’un an à sortir dans nos salles françaises. Réalisé par Andrea Segre, Berlinguer, la grande ambition était d’autant plus attendu qu’il a permis à son acteur principal, Elio Germano, de remporter le David di Donatello, l’équivalent italien des César.
Ce film passionnant d’un point de vue historique retrace tout un pan des années de plomb italiennes, du côté du Parti communiste italien, dirigé à l’époque par Enrico Berlinguer. Le récit s’étend alors de 1973, avec l’attentat manqué contre sa personne par les services secrets bulgares à Sofia, jusqu’à 1978, avec les retombées de l’assassinat d’Aldo Moro, président du Conseil national de la Démocratie chrétienne.
Quand le PCI prenait son indépendance de l’URSS
À l’époque, le pays vit une crise économique de grande ampleur, le premier choc pétrolier ayant fait monter l’inflation à 20 %, en 1974, entraînant à sa suite une hausse du chômage. Crise économique concomitante de l’explosion du « terrorisme noir » en Italie et des exactions des Brigades rouges menées par Renato Curcio. Dans ce contexte difficile, Enrico Berlinguer est à la tête d’un parti qui a le vent en poupe, un électeur sur trois votant communiste. Le succès des élections administratives de 1975 et des législatives de 1976 conforte le PCI dans l’idée que le pouvoir est atteignable. Néanmoins soucieux de rassurer Henry Kissinger et les Américains, Berlinguer affiche sa volonté, pour l’Italie, de rester membre de l’Alliance atlantique et d’affirmer l’indépendance du PCI vis-à-vis de l’Union soviétique via le concept « d’eurocommunisme », une sorte de coalition voulue « pluraliste » des partis communistes italien, français, espagnol, néerlandais et britannique. Lesquels s’accordent enfin la possibilité de porter un regard critique sur l’URSS et son idéologie marxiste-léniniste ; surtout depuis l’invasion de la Tchécoslovaquie en 1968, dont se sont émus les peuples d’Europe occidentale.
L’alliance contre-nature avec le centre
Le secrétaire général du PCI, nous dit le cinéaste, est surtout co-artisan du « compromis historique » avec la Démocratie chrétienne d’Aldo Moro, l’union de la gauche (PCI et PSI) étant jugée insuffisante pour prendre le pouvoir depuis le traumatisme du putsch de Pinochet, en 1973, au Chili. En effet, dominantes dans la vie politique et la société civile italiennes, la Démocratie chrétienne et l’Église catholique sont considérées par le PCI comme des acteurs incontournables avec lesquels il faut désormais travailler. Hélas pour les communistes, leur entrée dans la majorité gouvernementale, en août 1976, sera ouvertement critiquée à la fois par une partie non négligeable de la Démocratie chrétienne et par les Brigades rouges, opposées à Berlinguer et à toute forme de « compromission » avec un régime capitaliste… L’enlèvement et l’assassinat d’Aldo Moro marquera alors la fin progressive de ce « compromis historique » et le déclin conséquent du Parti communiste italien au cours de la décennie suivante.
Stimulant intellectuellement, le film d’Andrea Segre bénéficie d’un joli casting, d’une mise en scène énergique, nourrie d’images d’archives, et d’une bande originale inspirée. Il est cependant dommage que le cinéaste s’interdise tout regard critique sur son sujet, le personnage de Berlinguer passant pratiquement pour un héros aux yeux du spectateur…
Enfin, à ceux qui souhaitent approfondir le sujet d’Aldo Moro, nous recommandons vivement à nos lecteurs le feuilleton Esterno notte, de Marco Bellocchio.
3,5 étoiles sur 5
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