l’essentiel
Ni embellie ni censurée, la vie de Sybilla Herr Scherer se révèle dans ce témoignage captivant, à découvrir chez Martin-Delbert à Agen : « À la recherche de ma France ». Un livre bouleversant, où l’intime et l’Histoire s’entrelacent sans détour. Dans le pas de ses ancêtres, elle écrit sa vérité, une biographie sans fard, nourrie d’archives familiales.

Pouvez-vous en quelques mots vous présenter ?

Je m’appelle Sybilla mais je signe Sybilla Sybille. Dans six mois, j’aurai 90 ans. J’ai de nombreuses passions dont la peinture et l’écriture. J’ai grandi dans une famille où les rôles s’inversaient. Ma mère n’a jamais vraiment été une adulte, et moi, son enfant, j’ai dû le devenir trop tôt. Mon père, conduisait des locomotives vers la Pologne, pays où son père était né. Mon grand-père avait payé de sa vie son engagement auprès des ouvriers, et son refus d’abandonner leur cause. Dans nos veines circulaient déjà les blessures de l’exil, du silence et de l’injustice.

Votre prénom a aussi une histoire particulière ?

(Sourire) Mon existence a commencé sous le signe du refus. Lorsque ma mère, allemande, s’est présentée, en 1936, au bureau de l’état civil, on lui a interdit le prénom qu’elle avait choisi pour moi : Karine… Mon père polonais étant de gauche, était considéré comme pas fiable par les Allemands, j’étais donc indigne de porter ce prénom réservé à l’excellence de la race selon leur logique… Alors, par défi ou par instinct, elle a prononcé un autre nom, celui d’une actrice mal aimée : Sybille Schmits. Les autorités ont accepté le prénom Sybillé. Plus tard, ma grand-mère a insisté pour que je sois baptisée, et les nonnes ont ajouté un « a » à la fin. C’est ainsi que je suis devenue « Sybilla », marquée dès la naissance par l’Histoire, le poids des origines et le caprice des autres.

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Pourquoi avoir écrit ce livre aujourd’hui ?

En réalité, je portais ce projet en moi depuis toujours. J’avais déjà raconté en dessin et en écriture mes premières années d’adulte pour ma fille, et rédigé un livre pour ma mère. Mais je voulais aller plus loin : dire les choses sans tabou, sans fard, avec toute la vérité de mon vécu. J’ai eu une vie marquée par les blessures, les exils, mais aussi par l’amour, l’art et les révoltes. J’avais besoin de laisser une trace. Cela m’a pris deux ans : j’écrivais par jets, dans ma langue natale, en dialecte suisse et allemand du sud, puis il a fallu traduire en français. La traduction des dialectes a été très compliquée : le sens ne passait pas toujours, il a fallu de nombreuses corrections.

Vous évoquez votre grand-père régulièrement…

Son histoire est très marquante. Il était profondément engagé, ce qui, à l’époque, n’était pas bien vu. Il refusait de devenir délégué, préférant rester aux côtés des ouvriers pour défendre leurs droits. Il écrivait de petits articles et était étroitement surveillé par les autorités. Un jour, alors qu’il se trouvait en Allemagne, il tenta de prononcer un discours. Dénoncé par un certain Zachman, il fut arrêté et incarcéré à Karlsruhe, où il mourut de faim. La famille fut expulsée sans avoir été entendue. Plus tard, mon père, Egone, libre penseur, demanda une autorisation pour tenter de lui venir en aide avec quelques denrées, du pain, du sucre… Il ne voulait pas partir sans avoir essayé de sauver son père. Mais la tentative échoua : lui et trois jeunes qui l’accompagnaient furent arrêtés, et mon père fut condamné à six mois d’isolement, une période dont il ne raconta jamais un mot. Ces destins familiaux m’ont profondément marquée. Dans nos veines circulaient déjà les blessures de l’exil, du silence et de l’injustice.

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Votre récit aborde aussi des sujets intimes et douloureux…

Ce livre ne cache rien. J’y parle de l’amour et de la perte, de la tendresse et de la trahison, d’un avortement subi à contrecœur, et des séparations imposées par les frontières. J’évoque aussi les recherches passionnées menées avec mon mari historien, aujourd’hui décédé, ainsi que mon premier amour et un dernier empêché par un visa refusé. La relation avec ma mère, complexe et pleine de contradictions, est aussi racontée. J’ai voulu tout dire, sans rien cacher : les erreurs, les désirs, les échecs, mais aussi les forces et les espérances qui traversent une vie. J’espère que les lecteurs comprendront que derrière chaque faille il y a une force, et que la vérité, même quand elle dérange, reste toujours plus féconde que le silence.

Votre style est très direct, sans détour. Pourquoi ce choix ?

Parce que je ne sais pas faire autrement. Une biographie ne sert à rien si elle ne dit pas la vérité. On cache trop souvent les fragilités, les échecs, les désirs, par peur du jugement. Moi, j’ai choisi la sincérité. C’est un témoignage qui lève le voile sur ce que l’on préfère souvent taire : la honte, la fragilité, mais aussi la force qui naît des épreuves. Une vie est faite de tout : du tragique et du trivial, du sublime et du grotesque !

Aujourd’hui, quels sont vos projets ?

J’aimerais, si ma santé me le permet, publier un livre illustré : une page avec un de mes tableaux, et une autre avec un petit texte. Ou bien quelque chose de plus ironique, sur mes femmes de ménage. J’en ai eu huit ! Chacune avait ses anecdotes et ses attitudes, souvent très farfelues.