AboSanté en Suisse romande –
Faut-il imputer à l’esthétique les délais d’attente chez les dermatologues?
Obtenir un rendez-vous pour faire vérifier ses grains de beauté peut prendre plusieurs mois. Les spécialistes privilégient-ils la médecine anti-âge à la dermatologie médicale? Notre enquête.
Publié aujourd’hui à 05h00
Les spécialistes privilégient-ils la médecine anti-âge à la dermatologie médicale?
IMAGO/Pond5 Images
Abonnez-vous dès maintenant et profitez de la fonction de lecture audio.BotTalkEn bref:
- Les délais d’attente en dermatologie à Genève s’étendent jusqu’à cinq mois actuellement.
- La pénurie médicale s’explique par le vieillissement de la population suisse.
- Les soins esthétiques ne représentent que 5% des activités dermatologiques genevoises.
- Les cas urgents sont systématiquement pris en charge dans la semaine.
Combien de temps faut-il pour obtenir un rendez-vous en dermatologie? Selon plusieurs témoignages recueillis à Genève, le délai varie entre trois et cinq mois, sauf si le contrôle s’avère urgent. Une question que posent d’ailleurs systématiquement les cabinets au téléphone avant de fixer un rendez-vous. Certains témoins s’interrogent et soupçonnent les dermatologues de pratiquer davantage de soins esthétiques que de soins médicaux. Qu’en est-il vraiment?
Le soupçon est balayé par le président du Groupe des dermatologues genevois, le Dr Alexandre Campanelli. «La problématique de la pénurie de médecins frappe toutes les spécialités, rappelle-t-il. Les dermatologues ne sont pas les seuls à afficher une liste d’attente: les généralistes, les pédiatres et les psychiatres sont également concernés.» La pénurie est due à plusieurs facteurs, selon le praticien.
Vieillissement de la population
En douze ans, la population a beaucoup augmenté en Suisse et à Genève. Au niveau national, elle est passée de 8 à 9 millions d’habitants. «Lorsque j’ai étudié la médecine, notre pays ne comptait que 7 millions d’habitants, observe Alexandre Campanelli. De plus, la population vieillit et les besoins médicaux augmentent.» Les patients seraient également davantage sensibilisés à la problématique du cancer de la peau qu’auparavant.
Genève a développé une démarche plus systématique de dépistage depuis quelques années. «Les contrôles sont plus répandus mais, pour la majorité des patients, il n’est pas nécessaire de faire contrôler ses grains de beauté tous les ans, relève le spécialiste. Le faire régulièrement est suffisant. En revanche, des vérifications s’imposent si vous avez un parent qui a développé un mélanome ou si votre peau est très claire et parsemée de grains de beauté.»
Départs à la retraite
Autre problématique: il y a davantage de départs à la retraite que de praticiens qui s’installent. «Un quart des médecins en Suisse sont âgés de 60 ans et seront retraités ces cinq prochaines années.» La féminisation de la profession serait aussi une explication, puisque les femmes représentent 48% de l’effectif en Suisse et travaillent souvent à temps partiel.
Contrairement à leurs aînés, les jeunes médecins ne veulent plus travailler septante heures par semaine, selon Alexandre Campanelli. «Ils veulent disposer de temps pour eux et se consacrer à leur famille, ce qui est tout à fait normal. Mais lorsqu’un médecin prend sa retraite, il faut parfois un professionnel et demi pour le remplacer.»
Mais le plus gros problème reste la formation. Avec ses quotas en première année de médecine, la Suisse ne forme pas suffisamment de médecins. Pour preuve: 41% des praticiens en Suisse ont été formés à l’étranger. Alexandre Campanelli cite encore le manque d’attractivité du métier, avec 34% des jeunes qui envisagent de l’abandonner après leurs stages.
Revenus en baisse
Enfin, cerise sur le gâteau: la baisse du point TarMed, qui fait perdre 10% de leurs revenus aux médecins depuis 2023. «En vingt-deux ans, le tarif à l’heure a été revu cinq fois à la baisse, alors que l’inflation a grimpé et que les charges d’un cabinet sont toujours plus coûteuses», s’insurge-t-il.
La médecine esthétique ne serait-elle donc pas responsable du manque de places dans les cabinets? Alexandre Campanelli répond que ce n’est en effet pas le cas. Les dermatologues sont bien habilités à procéder à des injections d’acide hyaluronique ou de botox mais, statistiquement, l’esthétique ne représenterait que 5% des gestes à Genève; 95% des activités dermatologiques sont d’ordre médical.
Le médecin concède néanmoins «qu’il n’y a pas de fumée sans feu» et que la tentation de choisir la médecine anti-âge, plus rémunératrice, existe. Mais il nuance: «La demande médicale est tellement énorme que l’agenda est très vite rempli, contrairement à la plage réservée à l’esthétique.»
Consultation «dans la semaine»
Le médecin cantonal genevois, Alessandro Cassini, estime que les délais d’attente évoqués ne correspondent pas à la réalité. «J’ai fait le test en allant sur OneDoc (ndlr: le site de rendez-vous en ligne) et j’ai pu obtenir un rendez-vous dès le lendemain.» Vérification faite, OneDoc propose effectivement des consultations dans la semaine chez certains praticiens, même si la plupart affichent des temps d’attente de deux, trois, voire cinq mois dans certaines parties du canton.
Le médecin cantonal s’est surtout renseigné auprès des professionnels, et aucune critique ne s’est fait entendre. «Le discours général sur la pénurie de médecins concerne plutôt le reste de la Suisse. À Genève, la clause du besoin permet d’ajuster l’offre à la demande.» Comment Alessandro Cassini explique-t-il la différence avec les délais rapportés par nos témoins? Pour lui, les généralistes devraient donner à leurs patients plusieurs options, soit un choix plus important de médecins.
Pour les grains de beauté suspects et les cas aigus, la prise en charge se fait dans la semaine chez n’importe quel dermatologue, en ville ou aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG). «Les urgences sont systématiquement prises en compte: médecins de ville et Hôpitaux universitaires de Genève collaborent très bien.»
La médecine esthétique ne serait-elle donc pas responsable du manque de places dans les cabinets?
IMAGO/imagebroker
Mais n’existe-t-il pas un risque de délaisser les consultations médicales au profit de la dermatologie cosmétique? Le médecin cantonal confirme les chiffres de l’étude de 2022-2023 qui démontre que seulement 5% de l’activité des dermatologues est consacrée à la médecine anti-âge. Des statistiques faciles à établir, puisque les consultations médicales sont prises en charge par l’assurance maladie de base, alors que la médecine esthétique est facturée au patient. Il reconnaît toutefois que la baisse du point TarMed rend la spécialisation moins attractive.
Alessandro Cassini assure encore que tous les dermatologues disposent des équipements de base, comme la luminescence. En revanche, seuls les HUG sont dotés de dispositifs plus pointus. Le nombre de consultations et de cancers détectés est en hausse du fait du vieillissement, mais la mortalité reste stable grâce à une prise en charge adéquate et des dépistages réalisés suffisamment tôt.
Quant à la médecine esthétique, elle fait l’objet de davantage de contrôles de ses services. «Ce business connaît un boom en Suisse et en Europe, d’où l’importance de s’assurer que la qualité et la sécurité soient respectées. Il est essentiel que les consommateurs se renseignent sur les soins proposés.»
Jour dédié aux urgences aux HUG
Interrogé, Rastine Merat, médecin adjoint agrégé responsable de l’Unité de dermatologie oncologique aux HUG, assure que «les médecins de ville font largement leur part en termes d’effort de dépistage».
L’Hôpital, de son côté, conserve une plage pour les urgences le mercredi. Les rendez-vous doivent être pris sur OneDoc à partir du samedi qui précède. Quand faut-il consulter? «Les gens doivent s’alarmer lorsqu’une lésion persistante se modifie dans un temps relativement court et, surtout, se distingue de l’ensemble des autres lésions ou grains de beauté.»
La bronzette attire encore trop les jeunes
Une récente enquête menée à Genève auprès de 500 jeunes âgés de 15 à 25 ans sur leurs habitudes en matière d’exposition au soleil et de protection solaire révèle que bronzer est populaire dans cette tranche d’âge. Lancée par l’association StopSkinCancer.ch, elle a sondé des collégiens et des universitaires sur les réseaux sociaux et en ligne.
«Les 15-25 ans ne veulent pas se protéger, ils sont influencés par les réseaux sociaux, résume le dermatologue genevois André Friedli, fondateur et président de StopSkinCancer.ch. Plus des deux tiers d’entre eux s’exposent fréquemment parce que c’est la mode.»
À ce stade, vous trouverez des contenus externes supplémentaires. Si vous acceptez que des cookies soient placés par des fournisseurs externes et que des données personnelles soient ainsi transmises à ces derniers, vous devez autoriser tous les cookies et afficher directement le contenu externe.
Autoriser les cookiesPlus d’infos
La moitié des participants au sondage avouent se mettre au soleil pour bronzer, avec une nette prédominance chez les femmes. Les hommes s’exposent également, en faisant du sport notamment. Selon l’enquête, la nouvelle génération s’enduit de crème solaire, mais pense à tort que cela suffit. «La crème a ses limites. Elle permet d’éviter temporairement les coups de soleil, mais le mieux est de se couvrir, de porter un chapeau et de ne pas s’exposer aux heures les plus chaudes.»
Et le spécialiste de mettre en garde: «Les coups de soleil durant l’enfance et l’adolescence augmentent considérablement le risque de développer un cancer de la peau à l’âge adulte.» Son association mène des campagnes de prévention ciblées auprès de cette population.
Newsletter
«Dernières nouvelles»
Vous voulez rester au top de l’info? «Tribune de Genève» vous propose deux rendez-vous par jour, directement dans votre boîte e-mail. Pour ne rien rater de ce qui se passe dans votre canton, en Suisse ou dans le monde.
Se connecterJudith Monfrini est journaliste à la rubrique locale. De formation juridique, elle a obtenu son diplôme au Centre de formation au Journalisme et aux Médias (CFJM) en 2015. Elle a travaillé plus de dix ans pour le groupe Médiaone. (Radio Lac, One fm)Plus d’infos
Vous avez trouvé une erreur?Merci de nous la signaler.
72 commentaires