Par

Brian Le Goff

Publié le

5 avr. 2025 à 18h51

Sans accompagner un (e) député (e), il est rare pour des journalistes de pouvoir rentrer dans une prison en France, encore plus quand il s’agit de prisons pour femmes, beaucoup moins nombreuses. Elles ne représentent que 3,5 % de la population carcérale. Vendredi 28 mars dernier, Marie Mesmeur, députée (LFI) de la 1ʳᵉ circonscription d’Ille-et-Vilaine, a utilisé son droit de visite à la prison pour femmes de Rennes. Actu Rennes était à ses côtés. Solitude des femmes, population carcérale, activités ludiques, budget, état des bâtiments, quartier de prise en charge de la radicalisation… Découvrez les coulisses de cet établissement unique dans le pays.

La première observation, une fois arrivé devant le centre pénitentiaire pour femmes, c’est sa spécificité de se trouver en plein cœur de la capitale bretonne, à proximité immédiate de la gare SNCF. Ce qui devrait permettre aux familles des détenues venues de toute la France de pouvoir venir les voir plus facilement.

Solitude des femmes

Pour autant, Aude Wessbcher, la directrice, déjà passée par plusieurs centres pénitentiaires français qui accueillaient à la fois des hommes et des femmes, l’assure : « Les femmes reçoivent peu de visites à la prison de Rennes. En 2024, elles sont 46 % à n’avoir reçu aucune visite. »

Il y a une érosion dans la durée et le temps fait que, quand il y a 5, 10, 15 ans d’incarcération, on accepte de s’éloigner de ses proches.

Aude Wessbecher
Directrice de la prison des femmes de Rennes

La prison des femmes, c’est un véritable quartier de la ville. Des milliers de Rennais longent chaque jour ses hauts murs d’enceinte. De l’autre côté, ce sont environ 230 femmes qui y sont emprisonnées.

En effet, la prison abrite un centre de détention de 160 détenues qui ont été condamnées à de longues peines et une maison d’arrêt d’une cinquantaine de places pour les prévenues – c’est-à-dire celles qui attendent d’être jugées – ou qui ont été condamnées à des courtes peines.

L’arrivée d’une femme en prison « dure 45 minutes à une heure »

Dans tous les cas, à leur arrivée en prison, les femmes incarcérées effectuent toutes le même parcours. C’est cette étape que Marie Mesmeur a voulu suivre pour commencer sa visite. Les femmes sont ainsi reçues par une équipe de personnels chargés de relever les données administratives de la personne arrivante.

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Marie Mesmeur, députée LFI d’Ille-et-Vilaine, dans une cellule de la prison pour femmes de Rennes. (© actu Rennes)

« Ce parcours dure approximativement 45 minutes à une heure maximum. On va vérifier la mesure de justice prise et ses conditions, les informations personnelles nécessaires à l’identification des personnes dans la prison, leur régime alimentaire, etc. », liste Aude Wessbecher, la directrice du centre pénitentiaire depuis l’été 2023.

Si elles ont de l’argent, il est transféré vers un compte auquel elles ont accès pour financer certains achats possibles en prison. Leurs bijoux sont consignés tout comme leurs téléphones qu’elles ne retrouveront qu’à leur sortie ou lors de leurs permissions.

Aude Wessbecher
Directrice du centre pénitentiaire pour femmes de Rennes

Ensuite, le parcours des arrivées est complété d’une fouille intégrale. Juste après, elles peuvent prendre une douche. « C’est souvent un soulagement pour les femmes. Elles ont hâte de pouvoir se laver, car elles arrivent soit de garde à vue, soit du tribunal, et elles n’ont généralement pas pu se doucher depuis de nombreuses heures, voire jours. »

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Une pièce des nombreuses pièces de la prison : celle-ci sert notamment pour les échanges par visioconférence. (© actu Rennes)

Les nouvelles incarcérations s’effectuent d’abord dans le quartier Arrivants. Elles y restent au minimum quatre jours, le temps pour les personnels d’appréhender la personne.

Au bout d’une semaine, il y a une réunion avec l’ensemble des équipes afin de savoir dans quelle cellule, avec quelles détenues à proximité, la nouvelle prisonnière va être placée. « Par exemple, on ne va pas mélanger les prévenues et les détenues », souligne Aude Wessbecher, alors que l’on aperçoit le jardin au milieu de l’hexagone formé par la prison, dont trois ailes sont consacrées au centre de détention pour les longues peines.

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Malgré un jardin bien entretenu, la cour intérieure de la prison pour femmes n’est pas destinée aux détenues et prévenues. (© actu Rennes)

La visite se poursuit par le passage dans plusieurs couloirs de cellules. Dans l’un d’eux, on croise la doyenne de l’établissement. Elle a 80 ans. Marie Mesmeur tente le dialogue – les journalistes n’ont pas le droit d’échanger avec les détenues lors d’une visite – alors que la détenue prépare une compote dans la cuisine commune de cet étage, l’échange est simple et bref.

Des espaces communs

Au vu de l’historique du bâtiment, il n’y a pas de douche ni de cuisine dans chaque cellule. Les détenues partagent donc des espaces communs. « Les cellules sont ouvertes de 8 h 30 à 12 h 45 et de 13 h 15 à 19 h 30. Les détenues ont la possibilité de s’enfermer dans leur cellule, mais les surveillants peuvent toujours ouvrir de l’extérieur. »

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Les femmes incarcérées partagent des douches et une cuisine communes. (© actu Rennes)

Avec une autre détenue, la députée s’isole dans une cellule : une pièce de quelques mètres carrés partagée entre un lit, un lavabo, une toilette et des rangements auxquels sont accrochées des fiches de révision. « J’ai pris 20 ans, je suis dans ma 10ᵉ année. J’effectue un CAP vente. Je suis arrivé à Rennes pour un rapprochement familial », dévoile cette femme à l’élue.

Une centaine de détenues travaillent en prison

En prison, les femmes condamnées à de longues peines ont la possibilité de travailler. C’est le cas pour une centaine d’entre elles à Rennes :

  • dans la confection de pantalons d’uniformes ;
  • aux services généraux du centre pénitentiaire (cuisine, entretien, buanderie) ;
  • au façonnage (opérations manuelles de finition de produits imprimés) ;
  • pour une plateforme téléphonique.

L’occasion d’évoquer leur rémunération. Le salaire minimum en prison est bien loin de celui fixé sur le marché du travail en dehors. « C’est environ 800 euros par mois à la plateforme téléphonique et c’est le plus haut », précise Aude Wessbecher.

Enfin, pour celles qui ne possèdent aucun revenu, une somme indigente leur est versée. Elle s’élève à 40 euros par mois, apprend-on. Cette somme est très souvent utilisée par les prisonnières concernées pour appeler des proches.

Dans leur cellule, les détenues ont accès à un téléphone fixe pour lequel elles paient un forfait ou directement l’appel passé.

En maison d’arrêt, pas une cellule par prévenue

Si au centre pénitentiaire, le centre de détention dispose d’une cellule par détenue, ce n’est pas le cas à la maison d’arrêt. « La semaine dernière, on a eu dans une cellule double plusieurs matelas au sol. »

Tant que l’on arrive à tenir, on tient. Les cellules ont horreur du vide. Face à cette situation, le premier levier est de demander plus de places au directeur interrégional, mais le seul levier immédiat, c’est que nous avons la chance d’avoir quelques places en centre de détention.

Aude Wessbecher
Directrice de la maison pour femmes de Rennes

Le quartier de prise en charge de la radicalisation double sa capacité

Là où les places ont en revanche augmenté, c’est dans le quartier de prise en charge de la radicalisation. Il était le premier en Europe à ouvrir en septembre 2021. Doté de 16 places, il double presque sa capacité actuellement pour atteindre 29 places dans les prochaines semaines.

La prison pour femmes de Rennes comptera d'ici peu 29 places dans son quartier de prise en charge de la radicalisation.
La prison pour femmes de Rennes comptera d’ici peu 29 places dans son quartier de prise en charge de la radicalisation. (©actu Rennes)

Ce sont par ailleurs les seuls couloirs où les noms sur les portes des cellules ne sont pas visibles. « Pour la plupart, elles reviennent de la zone irako-syrienne. Trois ou quatre ne sont pas originaires de cette zone », complète la directrice.

Une chapelle dans l’église
La chapelle fait partie du bâti historique de la prison pour femmes de Rennes.
La chapelle fait partie du bâti historique de la prison pour femmes de Rennes. (© actu Rennes)

La visite se poursuit par la chapelle de la prison. De la taille d’une église, elle est l’héritage de l’histoire de ce bâtiment. Les protestantes se réunissent le samedi, tandis que les catholiques participent à la masse du dimanche matin.

Des unités de vie familiale sous-utilisées

Après un rapide passage à la bibliothèque, dont les livres proviennent du fonds municipal, la députée finit sa visite par la découverte des unités de vie familiale.

Ces trois appartements mitoyens, composés d’un séjour, de deux chambres et d’une salle de bains, se trouvent à part du bâtiment principal de la prison. Elles permettent aux femmes incarcérées de recevoir des proches en toute indépendance sur une durée de 6 à 72 heures, avec bien sûr des fouilles réalisées à l’entrée des proches. « Elles sont toutefois un peu sous-occupées, note Aude Wessbecher. Alors, on peut organiser des temps d’échanges un peu inférieurs à six heures. C’est aussi un lieu un peu plus neutre que les parloirs, notamment pour renouer le lien entre mères et enfants. »

Arrêt des « activités ludiques » : pas d’inquiétude à Rennes

Durant la visite, Marie Mesmeur en a profité pour interroger la directrice de la prison pour femmes sur l’ordre donné par Gérald Darmanin d’arrêter toute « activité ludique » en prison, après une polémique sur des soins du visage prodigués à des détenus.

Je ne suis pas inquiète sur la pertinence des activités proposées au centre pénitentiaire pour femmes de Rennes. Derrière certaines activités et sorties, il y a de vrais objectifs, en particulier pédagogiques.

Aude Wessbecher
Directrice de la prison pour femmes de Rennes

Aude Wessbehcer est aussi questionnée par la députée de la première circonscription d’Ille-et-Vilaine sur le vote du Budget 2025 et ses potentiels impacts sur l’établissement pénitentiaire : « Comme tous les services de l’État, nous sommes dans une période d’austérité. Il faut définir des priorités sur les travaux. On prévoit d’abord la somme pour le chauffage et la nourriture. Ensuite, on a des contrats de maintenance très chers. Cette maintenance est aujourd’hui curative avant d’être préventive normalement. Il y a des arbitrages à faire. »

Aude Wessbecher a fait visiter la prison pour femmes de Rennes à la députée Marie Mesmeur.
Aude Wessbecher a fait visiter la prison pour femmes de Rennes à la députée Marie Mesmeur. (©actu Rennes)Des profils psy de plus en plus nombreux

Au bout d’une visite qui aura duré près de quatre heures, l’un des éléments qui retient notre attention, c’est la problématique de l’évolution du nombre de profils avec des difficultés psychologiques et psychiatriques. « On est parfois mis à mal et un peu impuissant face à eux », dévoile Aude Wessbecher.

La directrice prend un exemple très concret d’une femme qui, tout cumulé, ne passe à chaque fois pas plus de 48 heures entre les murs de la prison. « Je n’arrive pas à gérer ce cas. Mais ce n’est pas le seul. C’est extrêmement frustrant, car ce sont des personnes en souffrance qui mobilisent beaucoup de personnel », livre-t-elle.

Les suicides sont réguliers. Le dernier date de 2024. « On essaye de s’informer au mieux des situations, mais on a un public fragile avec des femmes aux parcours de vies durs. »

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