Par
Marie Lamarque
Publié le
19 oct. 2025 à 17h26
L’affaire Viguier dans l’ombre de celle de Jubillar. Le parallèle entre les deux dossiers a été fait à de moult reprises. Et pour cause, plusieurs points concordent : pas de corps, pas d’aveux. Une femme qui disparaît mystérieusement. Le mari est dans le viseur. Mais contrairement à Jacques Viguier, soupçonné en l’an 2000 du meurtre de sa femme Suzanne, là aussi sur fond d’infidélités réciproques d’un couple à la dérive, Cédric Jubillar n’a pas bénéficié de l’acquittement.
Au terme des quatre semaines d’audience qui se sont tenues à Albi, le verdict est tombé ce vendredi 17 octobre 2025 : 30 ans de réclusion criminelle pour le peintre-plaquiste. Autre différence, majeure selon Me Georges Catala, qui fut l’avocat initial du professeur de droit il y a, aujourd’hui, 25 ans, Cédric Jubillar n’a pas pu comparaître libre. Et ce, malgré les multiples demandes de ses représentants : Mes Emmanuelle Franck, Alexandre Martin et Jean-Baptiste Alary.
La différence de classe sociale entre les deux hommes aurait-elle joué ? L’argument est aussi revenu à plusieurs occasions. Au lendemain du procès historique et ultra-médiatisé du Tarnais, Me Georges Catala livre, pour Actu Toulouse, son analyse. Entretien.
Le principal ennemi de la défense : « son client »
Actu : Bonjour Me Catala. 30 ans de réclusion criminelle. Voici le verdict qui est tombé ce vendredi. Qu’en pensez-vous ?
Me Georges Catala : C’est quand même une décision qui pourrait ne pas être satisfaisante, dans la mesure où il demeure qu’il n’y avait pas de preuve contre cet homme. La démonstration en a été faite pas des plaidoiries de très grande qualité, qui ont démonté point par point les quelques éléments accusatoires. Donc ce ne sont pas les preuves qui ont été apportées qui ont entraîné la condamnation de ce personnage. Ce qui a condamné, c’est son attitude. J’avais dit à Mes Franck et Martin que leur principal ennemi, c’était leur client. Je ne me suis pas trompé.
Que peut-on reprocher à Cédric Jubillar, selon vous ?
G.C. : Je pense qu’il n’a pas exprimé – et peut-être ne le pouvait-il pas – ce que l’on attendait de lui. C’est-à-dire, un type qui revendique l’acquittement, dans la mesure où il est innocent. Donc, pas de preuve flagrante, mais une attitude du client qui a porté atteinte à une belle qualité de défense.
Et de l’autre côté, il est quand même très difficile de considérer qu’il est tout à fait juste de condamner quelqu’un parce qu’il a une sale gueule. Je trouve qu’il a bien la tête de l’emploi. On l’a condamné pour ça.
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Cédric Jubillar lors de son procès. (©Maréva Laville / Actu Toulouse)L’entourage qui a « fait défaut » à Cédric Jubillar
Votre client, Jacques Viguier, était professeur de droit. Cédric Jubillar est peintre-plaquiste. Il a admis, devant un expert psychiatre, fumer jusqu’à 25 joints de cannabis par jour. Deux profils bien différents. Y a-t-il eu différence de traitement entre ces deux hommes parce qu’ils n’appartiennent pas à la même classe sociale, comme Me Martin l’avait déjà soulevé en 2022 ?
G.C. : Vous savez, la cour d’assises est impitoyable. L’acteur principal, c’est l’accusé. Et s’il ne se présente pas bien, si le jury sent qu’il ne fait pas partie des leurs, il a tendance à rejeter et à frapper. Dans l’affaire Viguier, il est certain que Jacques Viguier s’est présenté d’une autre façon. Et il avait surtout l’appui de sa famille. Ce qui n’a pas été le cas dans cette affaire-là. Les enfants [de Jacques Viguier] sont venus l’acquitter à l’audience, si je puis dire. Il y avait un rayonnement d’humanité, de chaleur humaine qui a fait défaut dans l’entourage Jubillar. C’est le moins que l’on puisse dire.
Sa mère l’a montré du doigt [Nadine Jubillar avait rappelé cette phrase lâchée par son fils quelques mois avant la disparition de Delphine : « Je vais la tuer, je vais l’enterrer et personne ne la retrouvera », NDLR].
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« C’était quitte ou double »
Estimez-vous, comme les avocats de la défense, que ce dossier est vide ?
G.C. : Je crois que prétendre que ce type a tué dans le huis clos d’une pièce sans rien trouver comme élément, avec la puissance de la police scientifique, avec tous les moyens d’investigation qui sont ceux de l’accusation, arriver au procès avec la sacoche vide. C’était quand même un atout pour la défense. Elle l’a exploité d’une façon magnifique. Mais il restait l’homme, il restait l’accusé. Et l’accusé ne les a pas servis.
Comment expliquer une peine aussi lourde dans ce cas : 30 ans ?
G.C. : C’est tout ou rien dans ce genre d’affaire. Il fallait plaider l’acquittement puisqu’il se prétend innocent. Mais il est certain que si les choses s’étaient présentées d’une autre façon, il y avait des choses à dire dans les circonstances atténuantes [notamment parce qu’une relation extra-conjugale s’était nouée, NDLR]. Normalement, une affaire comme celle-là, ça vaut 15 ou 20 ans maximum. Mais ici, c’était quitte ou double.
Qu’apportera un second procès ?
Les avocats de Cédric Jubillar l’ont déjà annoncé. Ils vont faire appel. Que pourra apporter un second procès ?
G.C. : Si le dossier est le même, et s’il se présente de la même façon, Cédric Jubillar prendra la même chose. Est-ce qu’il va réussir à s’améliorer pour se préparer très correctement à être ce qu’il revendique être, c’est-à-dire innocent ? Je ne sais pas. Est-ce que ce n’est pas au-dessus de ses forces d’avoir une attitude crédible. Je ne sais pas.
L’affaire Viguier, en résumé
Le dimanche 27 février 2000, Suzanne Viguier, une professeure de danse de 38 ans, disparaît mystérieusement de son pavillon du quartier de l’Ormeau, à Toulouse. Selon les explications de son amant, Olivier Durandet, ce dernier la dépose chez elle à 4h30, au retour d’un tournoi de tarot.
Le couple qu’elle forme avec son époux, Jacques Viguier, professeur de droit à l’université de Toulouse, n’est alors plus qu’une façade, en dépit des trois enfants qui ont consacré leur amour. Lui-même fréquente des maîtresses.
Rapidement, les soupçons des enquêteurs s’orientent vers le mari dont le comportement après la disparition est jugé étrange. Le « notable » nie avoir tué son épouse, en dépit d’une mise en examen pour meurtre et de neuf mois de détention provisoire. Mobile invoqué par les enquêteurs ? La jalousie. La crainte du qu’en-dira-t-on.
En première instance, le 30 avril 2009, les assises de Haute-Garonne acquittent Jacques Viguier, après dix jours de débats. Le procureur général interjette immédiatement appel. Le second procès se déroule à Albi. L’accusé est notamment défendu par Éric Dupont-Moretti, ancien ministre de la Justice. 18 jours plus tard, le 20 mars 2010, il est définitivement acquitté du meurtre de son épouse.
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