Chéri. Le mot termine ou amorce la plupart de leurs échanges. Quand les mains se caressent délicatement. Mireille Baudelet et Jacques Christophe, 82 ans tous les deux, s’aiment et ça se voit. « C’est extraordinaire d’aimer d’amour. Je ne pensais pas que c’était encore possible », confie Mireille, célibataire depuis l’âge de 36 ans, après avoir divorcé du père de ses enfants. « C’était une volonté, hein ? J’ai eu des prétendants mais cela ne m’intéressait plus ». Et d’avouer : « Je me sens parfois comme une petite fille, c’est fou ». Ces deux-là sont voisins depuis 10 ans d’un petit immeuble de la banlieue de Nancy. « Mais au début, on ne se croisait pas souvent ». Jacques, en couple depuis 35 ans, passe beaucoup de temps dans la maison de sa compagne, Adrienne, en Bourgogne. Quand cette dernière tombe malade, Mireille se rapproche et prend parfois le relais de Jacques à son chevet. Mais autant, elle apprécie Adrienne, autant Jacques l’agace.
« Il m’a réclamé un vrai baiser d’amoureux »
« Il l’infantilisait trop à mon goût », observe cette femme de caractère, ancienne assistante de direction. Adrienne succombe le 5 décembre 2023. Jacques s’enfonce dans la tristesse. « Je l’ai épaulé dans cette épreuve en étant présente », dit-elle. « Elle m’a remis sur pied », opine-t-il, les yeux embués de larmes. Quelques mois plus tard, l’amitié laisse place aux sentiments amoureux. « Après une brouille pour un motif futile, on s’est évité pendant un mois. » Chacun prenait soin de ne pas croiser l’autre dans l’ascenseur ou dans le parking. Et puis la porteuse de journaux s’est trompée, a glissé l’Est Républicain « dans la boîte aux lettres de Mireille qui a dû me le rapporter ». En juin 2024, ils tombent dans les bras l’un de l’autre. « Il m’a réclamé un vrai baiser d’amoureux. Mais a dû attendre quelques jours. Puis il est venu me rejoindre en juillet à Deauville et dans la Somme », raconte la Nordiste d’origine. Depuis, le couple ne perd plus une miette du temps précieux qui leur est accordé. Assure le quotidien ensemble, des tâches domestiques – « Jacques dessert la table, je n’étais pas habituée » – aux visites médicales. Il multiplie les escapades et les visites dans la famille et chez les amis respectifs. « On a été acceptés partout. » Projette des vacances en Ardèche, en Bourgogne et en Auvergne en mai. Se familiarisent tour à tour avec la nouvelle voiture hybride qu’ils viennent de s’offrir. Le 17 mars dernier, Mireille et Jacques se sont pacsés. Pour se protéger l’un l’autre.
« Je pensais ce bonheur désormais réservé aux autres »
Pourquoi ne pas se marier ? « Un jour peut-être… » En attendant, ils emménageront en septembre un grand appartement de 130 m2 qu’ils viennent d’acheter dans un joli quartier résidentiel de Nancy. Scrutent les petites annonces sur le Bon Coin pour chiner du mobilier. « On a vu grand pour pouvoir y rester le plus longtemps possible même en fauteuil », expliquent-ils. Pragmatiques, car oui, forcément à 80 ans on joue la montre, « la vie passe si vite, depuis qu’on est ensemble, nous sommes déjà allés à deux enterrements », ils ont prévu d’être inhumés ensemble afin de tromper l’ennui de l’éternité : « Si on s’entend aussi bien que maintenant… », glisse malicieuse Mireille.
Avant de reprendre sur le ton de l’humour toujours : « On n’aura pas d’enfant… On est tranquilles. On profite au maximum avec l’idée de vieillir ensemble. Vous savez, je trouve extraordinaire qu’il soit si gentil. Et il m’apprend tant de choses… Nous sommes des gens heureux. Je pensais ce bonheur désormais réservé aux autres. Mais non, ça existe. Vous pouvez le dire. » Et l’octogénaire de poser un regard tendre sur son amoureux aux yeux bleus. « Et, moi, je trouve qu’elle a un courage à renverser des montagnes. » Seul petit bémol exprimé par Mireille : « Il n’est pas très démonstratif ». S’il n’a pas les gestes, Jacques, « ancien gratte-papier dans les mutuelles » (sic) a le verbe. Pour exprimer ses sentiments, il n’hésite pas en notre présence à déclamer un poème d’Aragon « C’est si peu de dire que je t’aime. » Vibrant.