L’un s’est montré très curieux, l’autre pas assez. Les deux hommes ont croisé le chemin de Dahbia Benkired le 14 octobre 2022, dans les heures qui ont suivi le meurtre de Lola, 12 ans. Le premier s’appelle Karim B. et il a 32 ans. Les cheveux courts et bien coiffés, veste noire et pantalon gris, il se rappelle avoir rencontré l’accusée par un « vendredi normal », alors qu’il s’apprêtait à partir en vacances. La jeune femme, qu’il vient de croiser dans la rue, lui demande s’il peut l’aider à transporter ses valises et son imposante malle qui, ignore-t-il, contient le corps meurtri de la préadolescente. « J’ai des choses intéressantes à vendre », lui explique ensuite Dahbia Benkired. « Il y a beaucoup de gens qui vendent des choses dans ce quartier, tout et n’importe quoi », indique-t-il ce lundi à la barre de la cour d’assises. La vendeuse, elle, reste « évasive ».

Dans son esprit, il s’agissait peut-être « d’électroménager » ou d’un lot de « rasoirs ». Karim B. voit dans cette proposition l’occasion de gagner un billet. Il propose d’aller en discuter dans un café à proximité, Le Rallye. « Je m’installe, elle s’installe. » Il lui demande ce que contient cette grosse malle noire, si difficile à transporter. « Elle me dit : « regarde par toi-même ». » La situation étant « bizarre », il enfonce sa main dans sa manche, puis soulève le couvercle de la caisse. « Une grosse odeur de javel » lui prend le nez. Il voit « une couverture », et perçoit ce qui ressemble à « une tache de sang effacé ». « Pas curiosité, pour savoir si c’est dur ou pas dur, j’ai touché. J’ai senti un truc un peu mou », poursuit-il, ajoutant avoir pensé « bien après » qu’il pouvait s’agir d’une « épaule ».

« Ça, vous n’en avez jamais parlé »

Sur le moment Karim B. est « choqué ». Il préfère partir et laisser « cette personne qui n’est pas bien dans sa tête », qui semble « folle ». « J’avais l’impression que physiquement elle était là, mais mentalement elle n’était pas là, comme déconnectée. » Il se souvient encore de ce « regard froid » qui lui a donné « des frissons ». Il se rend alors dans un autre bar, situé tout près, et raconte à des copains son étrange rencontre. Il se rassure en se disant qu’il regarde « trop de films ». Lorsqu’il voit Dahbia Benkired monter dans une voiture avec ses affaires, il a le réflexe de la prendre en photo. Quelques heures après, il apprend, sur les réseaux sociaux, la disparition de Lola dans le quartier. Il se rend à proximité de l’immeuble où vivent Lola et sa famille. Il explique aux policiers présents sur les lieux avoir « des informations » à communiquer sur l’affaire. « C’est vraiment grâce à vous » que l’accusée a été interpellée, souligne le président.

Le magistrat invite la jeune femme à réagir. Une fois encore, elle donne des explications dont elle n’a jamais fait état au cours de l’instruction. Selon elle, c’est Karim B. qui l’a abordée pour lui proposer de l’argent en échange d’une relation sexuelle. C’est lui qui aurait insisté pour découvrir le contenu de la fameuse malle. « C’est n’importe quoi, lâche le témoin. C’est improbable, impossible. Je suis marié, il n’y a pas de truc comme ça. » « Ça, vous n’en avez jamais parlé. Je découvre cette histoire », souffle également le président. « C’est la vérité », soutient l’Algérienne.

« Vous n’avez pas été très curieux »

Après une courte suspension d’audience, Rachid N., 46 ans, s’avance vers la barre. Le crâne rasé, sweat à capuche noir, jean bleu, le quadragénaire était au volant du véhicule dans lequel Dahbia Benkired est monté avec sa malle et ses deux valises. Il a rencontré l’accusée en 2019, alors qu’elle travaillait dans un bar appartenant à son cousin. Parce qu’elle était « un peu à la rue », il l’avait invitée à passer une nuit chez lui et ils avaient « flirté très légèrement ». « Il n’y a pas eu de suite », explique-t-il. Le jour des faits, elle le contacte pour qu’il passe la chercher dans le 19e arrondissement. La jeune femme lui dit s’être « disputée avec sa sœur qui l’a mise à la porte ». Ils se rendent chez lui, à Asnières, dans les Hauts-de-Seine.

Le témoin, qui ne semble pas vouloir se poser trop de questions, affirme n’avoir « rien senti de particulier » durant le transport. « A aucun moment elle m’a parlé de ce qui y avait, de ce qu’elle avait fait », clame celui qui a été mis en examen dans ce dossier pour recel de cadavre mais qui a bénéficié d’un non-lieu. « On parlait travail, elle avait vraiment envie de trouver un travail stable. Je lui ai donné quelques conseils. On a parlé de tout et de rien. » Selon lui, Dahbia Benkired n’était « ni agitée, ni euphorique, comme d’habitude ». Une fois arrivé chez lui, il la laisse pendant qu’elle prend une douche et se rend chez l’épicier acheter de la vodka et des préservatifs, « au cas où ».

« Le lendemain, j’ai pété un plomb »

Plus tard dans la soirée, après avoir dîné dans un fast-food, elle lui aurait exprimé son souhait de retourner chez sa sœur, à Paris. « A posteriori, on peut dire que vous n’avez pas été très curieux », observe le président. « Je regrette encore, affirme le témoin. Mais je n’ai pas de raison, pour moi, de l’être à ce moment-là. » Le magistrat propose une nouvelle fois à l’accusée de réagir à ce témoignage. « Je souhaite vous dire que je lui ai dit dans la voiture qu’il y avait un corps dedans », déclare-t-elle. « A-t-il fait autre chose ? » lui demande le juge. « Non, je ne l’ai pas vu en tout cas », répond-elle. Les médecins qui ont examiné le corps de Lola ont affirmé, plus tôt dans la matinée, que la jeune fille avait été abusée sexuellement par « pénétration ». « Si ce n’est pas moi, c’est qui ? » s’interroge Dahbia Benkired. « C’est la question qu’on se pose. »

Dahbia Benkired prend ensuite la parole et affirme avoir pris, la veille des faits, « trois Lyrica », un médicament utilisé pour traiter certaines formes d’épilepsie. « C’est ça qui m’a mise dans cet état. Le lendemain, j’ai pété un plomb. » Là encore, le président s’interroge. « Pourquoi n’aviez-vous jamais dit que vous en preniez ? » « Parce que j’avais peur », soutient-elle. Elle explique qu’elle avait l’habitude d’en consommer lorsqu’elle se prostituait, pour se « sentir plus à l’aise ». « J’étais dans le mal, j’étais pas bien, j’avais juste envie de faire du mal à Moustapha », l’un de ses ex-compagnons.

– Le lendemain, j’ai pété un plomb.

– Vous êtes en train de nous dire que ce sont les 3 comprimés de Lyrica qui…

– Oui.

– Vous ne l’aviez jamais dit ça avant. En quoi, ça peut expliquer ce que vous avez fait à Lola ?

– Je sais pas, je n’étais pas moi-même.

Le procès se poursuit mardi avec l’audition d’autres témoins. Le verdict est attendu le 24 octobre. L’accusée encourt la réclusion criminelle à perpétuité.