C’est comme un chant du cygne, un dernier souffle créatif puissant, fidèle à sa démesure. Entre 1970 et 1972, alors âgé de 90 ans, Picasso crée une ultime série de 156 gravures. En 156 planches réalisées à l’eau-forte, à la pointe sèche, au grattoir ou en aquatinte, l’artiste y revisite toutes les obsessions et sources d’inspiration qui ont jalonné sa carrière : les nus (notamment féminins), le désir, la vieillesse, les autoportraits, et de nombreuses références aux maîtres qui l’ont précédé, à la mythologie ou au carnaval.
C’est un exemplaire de cette série des toutes dernières œuvres du maître espagnol, éditée en 50 exemplaires, que la galerie départementale 21bis a la chance d’accueillir jusqu’au 4 janvier 2026 après l’exposition consacrée aux photos d’Annie Ernaux (25 000 entrées).
Un événement exceptionnel
« Cette Suite 156, composée aujourd’hui de 155 planches en réalité car la n°7 a été égarée, n’a été montrée au public que deux fois depuis sa création : une fois à Paris en 1973, une autre en Espagne au musée Picasso de Barcelone en 2016″, introduit Baudoin Lebon, galeriste et co-commissaire.
Les gravures exposées proviennent à l’origine de la collection Henri Petiet et ont été rachetées par le commissaire-priseur David Nordmann, de la prestigieuse maison de ventes aux enchères Ader. « La mise a prix était de 355 000€. Comme il trouvait que ce n’était pas assez cher, il les a rachetées lui-même, révèle Baudoin Lebon. C’est un ami, et il a accepté de me les prêter pour les exposer. »
L’exposition « Picasso, les 156, les dernières gravures » est à voir gratuitement à la galerie 21bis jusqu’au 4 janvier. / PHOTO Cyril SOLLIER
Pour ceux qui voudraient prolonger la visite, précisons que, faute de place, quelques-unes des gravures sont aussi exposées à la galerie Parallax, 3 rue des Epinaux, jusqu’au 22 novembre 2025.
Un trait rapide, aucune contrainte
La production effrénée de Picasso à un âge aussi avancé a notamment été permise grâce au soutien des frères Crommelynck, qui avaient installé exprès leur atelier de presse à côté de la dernière maison de l’artiste, à Mougins : « Ils se sont rendus disponibles pendant deux ans pour tirer les épreuves chaque matin et préparer de nouvelles planches pour le jour suivant. »
Les planches n’obéissent à aucun ordre précis, n’ont pas de titre et seules quelques-unes sont signées, mais elles témoignent d’une explosion créative du peintre, qui s’adonne alors à une « exubérance de techniques », sans aucune contrainte : « On a voulu faire une exposition pédagogique, sans être pédante, en les regroupant par thèmes : l’atelier, la vieillesse, le modèle… », souligne Caroline Lemoine, co-commissaire.
Dans la première salle, on retrouve des clins d’œil à ses propres œuvres cubistes, à Rembrandt et à Ingres. Le trait est spontané, nerveux et jubilatoire, se faisant parfois ricanant, parfois désespéré.
« Certaines œuvres sont extrêmement claires, d’autres au contraire très sombres. On retrouve aussi plusieurs portraits et autoportraits de vieillesse, avec une certaine distance et dérision, comme une manière d’affronter la mort », précise la co-commissaire.
L’exposition « Picasso, les 156, les dernières gravures » est à voir gratuitement à la galerie 21bis jusqu’au 4 janvier. / PHOTO Cyril SOLLIER
On est frappé par la quantité de gravures de nus, tantôt érotiques et tantôt ironiques, qui rappellent combien Picasso se plaisait à défier les normes et à interroger les représentations du corps.
L’ombre de la polémique
Si ce n’est pas le propos central de l’exposition, impossible de passer sous silence les critiques contemporaines sur les relations abusives et violences psychologiques et physiques que Picasso a exercées sur ses compagnes, dont certaines mineures. Plusieurs d’entre elles ont souffert de dépression, comme Dora Maar, ou se sont donné la mort après sa disparition, comme Jacqueline Roque ou Marie-Thérèse Walter. « Il ne faut pas le cacher, clairement, il était odieux avec les femmes », confirme Caroline Lemoine. Une part trouble que l’exposition évoque sur un cartel et que trois médiateurs chargés d’accueillir le public pourront expliquer.
« C’est une grande chance d’accueillir ces gravures qui n’avaient pas été montrées en France depuis 1973, se félicite Nicole Joulia, conseillère départementale déléguée à la culture. C’est gratuit et de nombreux ateliers de médiation, pour enfants et adultes, y compris provenant de centres sociaux, sont prévus pour servir de porte d’entrée dans l’art. »
L’exposition « Picasso, les 156, les dernières gravures » est à voir gratuitement à la galerie 21bis jusqu’au 4 janvier. / PHOTO Cyril SOLLIER
Une profusion qui donne le tournis et force l’admiration. En 156 planches, Picasso signe une œuvre testamentaire, libre et indomptable, qui continue de brûler d’un feu intact.
Jusqu’au 4 janvier 2026, du mercredi au dimanche, de 11h30 à 18h30, 21bis, cours Mirabeau. Gratuit. Ateliers de médiation et création les mercredis, samedis et dimanches entre 14h et 16h. Renseignements et inscriptions à [email protected] ou au 04 13 31 68 36.