Ce lundi matin à Sucy-en-Brie (Val-de-Marne), Jean Castex n’était pas peu fier d’exposer aux journalistes présents et à Valérie Pécresse, présidente d’Île-de-France Mobilités, la pose de la dernière semelle Wabtec qui équipe désormais tous les trains du RER A. Une séquence sur la qualité de l’air dans les couloirs des transports d’Île-de-France qui devrait être sa dernière sortie publique en tant que président de la RATP.

À la question que nous lui avons posée directement, il a répondu : « Normalement oui ». Car sa future destination n’est un secret pour personne. Choisi par Emmanuel Macron et auditionné par le Sénat le 6 octobre, il prendra bientôt les rênes de la grande sœur du ferroviaire, la SNCF. Au sujet du RER B, partagé par les deux entreprises, il s’est gardé de commenter la partie SNCF du réseau, arguant ne pas être concerné. « Pas encore », a-t-il ajouté en souriant.

Arrivé en pompier de service pour les JO de Paris 2024

La pose de cette dernière semelle, destinée à réduire les émissions de particules dans les sous-sols, sonne donc comme l’achèvement d’une de ses missions à la tête de la régie. Une heureuse coïncidence pour celui qui prépare déjà ses cartons et dont on peut désormais tirer un bilan de l’action.

En 2022, quelques mois après avoir été quitté Matignon, où il avait été nommé comme pompier de service en pleine crise du Covid-19, il prenait la présidence de la RATP pour une nouvelle mission désespérée : redresser l’entreprise de transport et la préparer pour les Jeux olympiques de Paris 2024.

À son arrivée, il y trouve un service fortement dégradé, une grogne sociale importante en raison de l’ouverture à la concurrence, un absentéisme endémique, et ce qu’il appelle « la grande démission ». Des vagues de départs, notamment de conducteurs de bus.

Une fine connaissance des négociations sociales

Connaisseur des rapports sociaux, Jean Castex négocie en dix-huit mois des accords – hausses de salaires, aménagement du temps de travail, aides au logement – et lance de grands plans de recrutements qui remettent l’entreprise sur les rails. Mission réussie. Pendant l’événement, touristes et Parisiens bénéficient de transports qui n’ont jamais été aussi fluides (grâce, il faut le dire, à un déploiement de moyen inédit). Une réussite dont se targue l’intéressé. « Si ça n’avait pas été le cas, imaginez ma position devant vous aujourd’hui. D’ailleurs, je ne serais peut-être même pas là », concède-t-il avec l’accent de Prades, sa commune des Pyrénées-Orientales, qu’il a réussi à ne jamais perdre.

Ce succès, il le doit aussi à son sens de la diplomatie, qu’il justifie aisément : « Quand vous refusez tout, on vous traite de diable. Quand vous accordez quelque chose, on vous reproche d’être dépensier. J’ai toujours pensé qu’il fallait savoir trouver un équilibre. J’ai bien conscience de la difficulté pour les agents qui ouvrent les stations de trouver un logement à proximité de leur lieu de travail, par exemple. Aujourd’hui, nous avons deux fois plus de personnes logées avec RATP Habitat. »

La « transparence » pour credo

C’est sans doute cette méthode qui lui a valu d’être apprécié des équipes. Il s’est permis quelques sorties publiques pour participer à l’orientation des voyageurs ou aux campagnes de communication. Il n’a pas non plus hésité à se rendre en station ou sur les sites de maintenance, pour saluer les plus de 70.000 collaborateurs de la RATP, usant de ses franches poignées de main.

Un agent embauché il y a plus de dix ans nous le confirme : « Il est très exigeant, mais il est clair dans ce qu’il dit. Ça aide les gens à savoir où on va. Et puis il joue beaucoup de sa sympathie. D’accord avec ses décisions ou pas, c’est quand même plus agréable de travailler avec quelqu’un comme ça. » Même le syndicat FO aura demandé sa reconduction à la tête de la régie.

C’est l’une des recettes que Jean Castex a toujours voulu appliquer : « la transparence ». « Avec les médias comme avec les employés, moins vous parlez, plus vous donnez l’impression de vouloir cacher quelque chose. Alors j’ai dit à tout le monde qu’il fallait ouvrir l’entreprise à l’extérieur. Communiquer sur les travaux, sur les incidents, sur les projets. J’ai encouragé les directeurs de ligne à aller voir les entreprises, les élus des villes concernées. Qu’ils fassent de la pédagogie dans les bulletins municipaux. »

Une entreprise redressée

Les réussites dont il est le plus fier sont pourtant plutôt passées inaperçues. Pêle-mêle, il cite le déménagement des aménagements sur certains sites de maintenance qui induisaient du travail de nuit ou des délocalisations. « Vous en avez entendu parler ? Non, parce que ça s’est très bien passé. » « L’ouverture à la concurrence, ça a été “un fin bordel”. Et pourtant la plupart des usagers ne se sont pas aperçus de la transition [elle est encore peu effective] » ajoute-t-il. Mais surtout, sa grande fierté vient des « 450,000 CV » que la RATP a reçus, selon lui, depuis son arrivée : « La preuve que l’entreprise attire encore malgré la fin des régimes spéciaux de retraite. »

Son passage sous terre n’aura toutefois pas été sans quelques turbulences. Au niveau financier d’abord. Sous sa présidence, la RATP a affiché des pertes en 2023 comme en 2024. La régie les explique en partie par le choc inflationniste qui a suivi l’invasion russe en Ukraine et un bond de la facture énergétique.

Quelques fritures sur la ligne tout de même

Plusieurs syndicats (CGT et SUD-Rail notamment) et représentants du personnel ont, à de nombreuses reprises, dénoncé des licenciements abusifs dans le cadre de l’ouverture à la concurrence. Une ouverture qui aura été douloureuse pour l’entreprise, tant sur le plan des personnels qu’en termes de marché : la RATP a perdu des dizaines de lignes (environ 30 % du réseau) au profit de ses concurrents Keolis, ATM ou Transdev.

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L’ancien Premier ministre pourra se consoler avec quelques dernières bonnes nouvelles. Après la cession inespérée de ses lignes londoniennes, « un gouffre financier », la régie a enregistré un premier semestre 2025 bénéficiaire. Et, petite cerise sur le gâteau de départ, l’obtention de 100 % des lignes de bus dans Paris intra-muros.