Titre : Les deux visages du monde
Auteur.ice : David Joy
Editions : 10/18
Date de parution : 02 octobre 2025
Genre du livre : Roman
Toya Gardner est une jeune artiste afro-américaine. De retour dans sa Caroline du Nord natale après des années à Atlanta, elle décide de bousculer l’ordre établi en dénonçant le passé esclavagiste de sa région. En parallèle de ce mouvement de révolte, un policier découvre dans la voiture d’un suprémaciste blanc un carnet listant des notables locaux membres du Ku Klux Klan. Entre roman social et polar, David Joy tente l’équilibre mais … trébuche en chemin.
Personne ne le niera : l’intention de David Joy ne souffre d’aucune ambiguïté. A savoir, mettre en lumière le racisme structurel qui règne encore en Amérique profonde. Il ambitionne ici d’examiner les héritages de l’esclavagisme et de la ségrégation qui continuent d’empoisonner les rapports entre communautés. Le contexte choisi par l’auteur – cette petite ville des Appalaches où les apparences de bonne entente masquent mal les non-dits et les tensions – constitue son terrain d’étude pour explorer ces problématiques. Nous sommes bien d’accord sur ce point historique.
C’est le projet artistique de Toya (elle creusera symboliquement des tombes sur un ancien cimetière afro-américain déplacé pour laisser place à l’extension du campus universitaire), qui cristallise les enjeux du récit. Sa provocation a pour objectif de lever le voile de respectabilité et de ce semblant d’amnésie collective qui semble avoir touché la communauté blanche. Simultanément, un policier, Ernie, découvre par hasard des costumes du KKK et un carnet compromettant. Une pièce de plus pour faire exploser l’hypocrisie ambiante.
Toutefois, le roman souffre d’un défaut majeur : sa lourdeur didactique. Les dialogues fonctionnent moins comme des échanges authentiques que comme des éléments porteurs d’un message que l’auteur souhaite absolument faire passer. Peu subtile, cette approche pédagogique transforme certaines scènes en cours magistraux sur le racisme institutionnalisé, la culture du silence et la complicité passive. Pour tout lecteur un tant soit peu conscient des réalités historiques liées à l’esclavage et au racisme américain, la morale de l’histoire se dessine avec une clarté presque gênante et ce, assez rapidement.
L’intrigue, qui aurait dû tenir le lecteur en haleine, s’assimile finalement à un pétard mouillé : beaucoup de mise en place pour une déflagration décevante. C’est plus un roman social qui utilise les codes du genre policier comme prétexte à son propos militant. Le suspense s’évapore progressivement.
Ceci dit, la lecture a été très simple et facile. Il serait en effet vraiment injuste de ne pas reconnaître la plume de David Joy qui reste fluide et immersive, facilitant la lecture malgré les longueurs structurelles. Les personnages sont nuancés et plutôt crédibles. Par exemple, Toya, loin d’être une simple militante caricaturale, se révèle complexe dans ses doutes et ses déterminations. Ou encore, le shérif Coggins, ami de longue date de la grand-mère de Toya, qui incarne ces hommes blancs qui ne se pensent pas racistes tout en défendant l’ordre établi et les symboles confédérés. Chacun porte ses contradictions, ses aveuglements volontaires ou involontaires et c’est probablement cette approche humaniste qui constitue la plus grande réussite du roman : montrer que le racisme structurel ne se résume pas à des actes de malveillance explicite mais s’enracine dans le silence, l’inaction et le confort des privilèges non questionnés.
Globalement, Les Deux Visages du monde se révèle être un ouvrage frustrant par son incapacité à choisir véritablement son camp. Ni tout à fait polar réussi, ni essai déguisé pleinement assumé, il oscille entre deux ambitions sans parvenir à satisfaire complètement ni l’une ni l’autre. Les lecteurs en quête d’un thriller palpitant seront déçus par la mollesse de l’intrigue et l’absence de rythme. Ceux qui recherchent une réflexion approfondie sur le racisme systémique regretteront sans doute le caractère démonstratif et peu subtil du propos.
Finalement, Les Deux Visages du monde reste une lecture agréable mais sans plus. Un roman qui porte un message important mais qui aurait gagné à choisir plus clairement son genre.