L’arrivée, lundi 13 octobre, d’un nouveau groupe de migrants ouest-africains en provenance des États-Unis fait monter la tension au Ghana. Alors même que les autorités ghanéennes communiquent peu, l’arrivée de cette énième vague d’expulsés fait réagir les organisations de la société civile. Certaines sources évoquent l’arrivée de deux premiers groupes les 6 et 19 septembre dernier. À ce jour, les autorités ghanéennes n’ont communiqué aucun chiffre officiel. Selon Oliver Barker-Vormawor, l’avocat mandaté par les organisations de la société civile pour défendre les migrants déportés, quatorze d’entre eux seraient arrivés lors de la dernière rotation, portant le total à quarante-deux depuis le mois dernier.
En effet, ces nouveaux migrants auraient été embarqués à bord d’un Boeing 767-200 en provenance de Baltimore aux États-Unis. Les organisations de la société civile sont vent debout contre ce qu’elles qualifient de « détention anticonstitutionnelle et illégale ». Elles estiment que l’accord de déportation des migrants ouest-africains conclu en septembre dernier entre le Ghana et les États-Unis est une violation de la Constitution et des conventions en matière des droits humains ratifiées par leur pays.
Des conditions de détention dénoncées
Selon Democracy Hub, l’une des organisations de la société civile ghanéenne militant pour la fin de cet accord de déportation, les migrants seraient détenus à leur arrivée au Ghana dans « des conditions déplorables et inhumaines durant des semaines sans aucune charge retenue contre eux, sans un accès à des avocats ».
Une fois arrivés sur le territoire ghanéen, les migrants sont directement conduits au camp d’entraînement militaire de Bundasy situé dans la localité de Dangme West, à environ 70 km de la capitale ghanéenne. Les médias tant nationaux qu’étrangers n’ont pas pu avoir accès au lieu de détention provisoire des migrants depuis le début d’exécution dudit accord de déportation.
Une opposition vent debout contre le gouvernement
Les critiques fusent de partout et s’invitent aussi dans l’arène politique. Pour le Nouveau Parti patriotique (NPP), le principal parti de l’opposition, l’exécution de cet accord sans l’approbation du Parlement constitue une flagrante violation de la Constitution.
« L’exécution de cet accord avec les États-Unis par le gouvernement sans la ratification du Parlement constitue une violation constitutionnelle directe », s’est plaint Samuel Jinapor, porte-parole du principal parti de l’opposition ghanéenne. Par ailleurs, il accuse les autorités de ne pas respecter l’État de droit.
Pourtant, les autorités ghanéennes continuent d’évoquer l’aspect solidaire et humanitaire qui les oblige à porter assistance à ces migrants ouest-africains expulsés des États-Unis. Alors que les rumeurs font état de la volonté de l’administration Trump d’expulser Kilmar Abrego Garcia, un immigré Salvadorien devenu la figure de proue de la lutte contre la politique d’expulsions massives, le ministre ghanéen des Affaires étrangères, Samuel Okudzeto Ablakwa, a déclaré dans un post le 10 octobre dernier que le Ghana n’acceptera pas sur son sol un migrant non africain.
« Cela a été directement et sans ambiguïté communiqué aux autorités américaines. Lors de mes échanges avec des responsables américains, j’ai clairement indiqué que notre accord d’accepter un nombre limité d’Ouest-Africains non criminels, au seul nom de la solidarité africaine et des principes humanitaires, ne serait pas élargi », a-t-il expliqué.
Un recours déposé devant la Cour suprême
Face à cette situation inédite qui alimente les débats, un groupe d’avocats commis par les organisations de la société civile a déposé cette semaine une plainte devant la Cour suprême, la plus haute juridiction du pays, pour obtenir la suspension du tant controversé accord de déportation.
Certains experts en droit international dénoncent des manquements graves dans la conduite de cet accord. « Le Parlement est lié par certains accords internationaux, tels que la Convention contre la torture, dont le Ghana est partie, et certains accords, notamment la Convention sur les réfugiés, qui inclut le principe de non-refoulement. Cette convention stipule que vous ne pouvez pas expulser quelqu’un vers un pays où la personne pourrait avoir déjà subi la torture », a confié Kwadwo Appiagyei Atua, professeur de droit international à l’université du Ghana.
Des transferts obscurs vers le Togo
Plusieurs migrants ouest-africains avaient déclaré redouter des représailles des autorités de leurs pays d’origine une fois de retour chez eux. L’un des migrants d’origine nigériane expulsé vers le Ghana en septembre dernier avait affirmé à la BBC qu’il était désormais coincé dans un hôtel au Togo, après que lui et cinq autres personnes ont été secrètement transférés vers ce pays voisin du Ghana par des soldats ghanéens.
« Ils ne nous ont pas fait rentrer au Togo par la frontière principale, mais par la porte de derrière. Ils ont payé la police à l’entrée là-bas et nous ont expédiés au Togo », a-t-il déclaré sous le couvert de l’anonymat.
Les autorités togolaises n’ont jusqu’à présent pas commenté l’entrée de ces migrants – dont trois Togolais – en septembre dernier sur leur territoire. Cependant, leur arrivée sur le sol togolais dans des conditions jusque-là obscures suscite beaucoup d’inquiétudes.
« Nous avons reçu un Nigérian dont je préfère taire le nom. Il n’avait même pas de pièces d’identité. Il est obligé d’emprunter les téléphones portables pour appeler les siens afin de demander de l’aide. Il était apparemment sous le choc après avoir été largué au Togo. Cette situation est vraiment déplorable », confie Paul De Souza, gérant d’un petit hôtel situé au quartier Kodjoviakopé, à proximité de la frontière entre le Togo et le Ghana.
Un verdict très attendu
De son côté, le groupe d’avocats qui a engagé auprès de la Cour suprême la procédure de suspension dudit accord de déportation vers le Ghana espère que le droit sera dit en prenant en compte le respect des droits fondamentaux de ces migrants devenus « persona non grata » sous l’administration Trump.
Pour la défense de ces migrants, l’arrangement de cet accord de déportation manque de transparence. Pis, selon les avocats, les personnes expulsées sont envoyées vers des pays tiers où elles n’ont aucun lien et sont privées de leur droit à une procédure régulière. D’où la nécessité de suspendre complètement cet accord afin d’en réévaluer les contours.
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« Nous restons optimistes, car les migrants n’ont commis aucun délit au Ghana pour être détenus dans ces conditions », reconnaît Oliver Barker-Vormawor, l’un des avocats de la défense des migrants. Pour l’heure, le compte à rebours a été enclenché en attendant le verdict de la Cour suprême le 22 octobre prochain.
Les États-Unis ont expulsé depuis juillet dernier plusieurs migrants reconnus coupables de crimes graves, selon l’administration Trump, vers des pays africains comme le Soudan du Sud, le Rwanda et le Ghana. Ces vagues de déportation s’effectuent à la suite des accords bilatéraux conclus entre ces pays et les États-Unis. Toutefois, cette pratique suscite de vives critiques dans les pays où ces migrants sont reconduits.
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