Depuis qu’il a été lancé en 2021, le télescope spatial James Webb (JWS) a déjà bousculé plusieurs dogmes cosmologiques (chronologie de formation des galaxies et des trous noirs, éléments chimiques lourds déjà présents dans l’Univers primordial, remise en question du modèle ΛCDM, etc.), mais cette dernière découverte fait certainement partie des plus déroutantes.

Le 17 septembre, une équipe d’astronomes a fait état, dans un article publié dans la revue Nature Astronomy, d’un point rouge (« little red dots ») à peine perceptible dans l’immensité cosmique. Un gigantesque trou noir déjà « adulte », baptisé J1007_AGN, qui ne devrait même pas exister, puisqu’il a été observé alors que l’Univers n’était âgé que de 700 millions d’années.

En effet, aucun de nos modèles cosmologiques n’aurait pu prévoir que notre Univers, alors très jeune, ait eu le temps de donner naissance à un monstre gravitationnel de plusieurs centaines de millions de soleils. Si le Big Bang s’est déroulé comme prévu, comment expliquer qu’un objet si mature ait pu apparaître si vite ? À cet égard, il est probable que la chronologie que nous avons tracée pour raconter les débuts du cosmos était peut-être trop approximative.

Un trou noir qui a grandi trop vite ?

Les astronomes ont effectivement repéré plusieurs de ces « little red dots » (LRD) dans les images rapportées par JWST, mais J1007_AGN s’en démarque complètement. Pour bien comprendre le problème, imaginez un nourrisson de 700 millions d’années (l’Univers) qui aurait déjà atteint la taille et la masse d’un adulte (J1007_AGN). Il est strictement impossible, selon les lois de la physique, qu’un trou noir ait atteint une telle masse en si peu de temps.

J1007_AGN fait partie des trous noirs supermassifs ; sa masse est estimée à 500 millions de masses solaires et il engloutit tout ce qui l’entoure en libérant une énergie colossale. Gaz, poussières, étoiles entières : tout y passe, mais cet appétit a normalement une limite, appelée limite d’Eddington.

Plus un trou noir attire de matière, plus cette matière s’échauffe et émet de la lumière. Lumière qui exerce à son tour une pression par radiation, qui devrait repousser la matière entrant dans le trou noir. Au-delà d’un certain seuil, un trou noir ne peut plus « manger » plus vite qu’il ne rayonne. Selon les modèles, même en avalant au rythme maximal autorisé par cette limite, il aurait fallu plusieurs milliards d’années à J1007_AGN pour qu’il atteigne sa masse.

Il ne lui aura fallu que 700 millions d’années pour devenir un tel monstre, un laps de temps si court à l’échelle de l’Univers qu’il contredit tout ce que la physique moderne peut expliquer.

Comment peut-il exister dans ce cas ? Deux pistes sont avancées par les chercheurs pour justifier son existence. La première, c’est que J1007_AGN serait né d’un nuage de gaz primordial, qui se serait contracté sous l’effet de sa propre gravité. La seconde hypothèse suppose que J1007_AGN a traversé une phase d’accrétion continue, absorbant de la matière sans interruption, et ce bien au-delà de la limite d’Eddington.

Quelle que soit l’explication, l’existence même de ce corps céleste nous obligera à revoir entièrement la temporalité de la formation des structures découlant du Big Bang ; elle nous laisse à penser que le cosmos s’est construit bien plus rapidement que nous ne l’avions théorisé. Notre représentation de l’Univers primordial était comparable à celle d’un espace en lente gestation, un brouillard saturé d’hydrogène dans lequel la gravité commençait à peine à œuvrer.

J1007_AGN nous force donc à le concevoir autrement : comme un système cosmique beaucoup plus efficace dans la conversion de la matière en énergie, où les taux d’accrétion et la densité baryonique dépassaient largement ceux prévus par le modèle ΛCDM.

Quasars et galaxies : une histoire inversée ?

Autour de J1007_AGN, les astronomes ont repéré huit galaxies voisines situées à des distances similaires, formant une surdensité d’environ trente fois supérieure à la moyenne. Une telle concentration suggère que ce trou noir et ces galaxies appartiennent à une même structure cosmique, un vaste halo de matière noire d’approximativement 10¹² masses solaires, soit l’équivalent de la masse de centaines de milliards d’étoiles. Un environnement caractéristique des quasars, des noyaux galactiques extrêmement lumineux alimentés par un trou noir supermassif en pleine phase d’accrétion.

Là encore, pour les astronomes, c’est un paradoxe profondément dérangeant sur le plan cosmologique. Selon nos modèles établis depuis près de 70 ans, les galaxies sont les premières à naître ; elles sont suivies par les trous noirs supermassifs, qui se forment en s’alimentant de la matière environnante. Dans le cas de J1007_AGN, c’est exactement l’inverse : il est au centre, déjà géant et formé, et les huit galaxies sont rassemblées autour de lui. « Cela pourrait signifier que les trous noirs ont précédé la formation des grandes structures galactiques », expliquent les auteurs.

Pour tenter d’expliquer cette anomalie, les chercheurs avancent que les LRD dont fait partie J1007_AGN seraient en réalité une phase précoce et cachée de l’évolution des quasars. Des trous noirs supermassifs en pleine croissance, encore enfouis dans un cocon de gaz et de poussière qui masque la lumière qu’ils émettent.

Durant cette période, ils resteraient quasiment en activité en permanence ; ils passeraient près de 100 % de leur temps à absorber de la matière, contre seulement 1 % pour les quasars visibles dans l’ultraviolet, dont les phases d’accrétion sont brèves et intermittentes.

Si c’était le cas, les quasars que nous observons aujourd’hui seraient la phase finale et visible d’une phase de croissance bien plus longue. Durant l’essentiel de leur existence, les trous noirs auraient grossi dans l’obscurité, noyés dans la poussière, avant que leur rayonnement ne perce enfin ce cocon pour illuminer l’Univers.

L’équipe à l’origine de la découverte se garde de toute proclamation : l’observation d’un seul objet comme J1007_AGN est insuffisante pour remettre entièrement en question nos modèles cosmologiques. En revanche, peut-être que ceux-ci ne sont plus suffisants ; en tout cas, ils ne le sont pas pour expliquer pleinement l’existence de ce trou noir. Quelque part, c’est la preuve que notre cadre théorique est, en partie, incomplet, comme s’il manquait une étape dans la chronologie du Big Bang que nous avons établie. Entre la naissance du cosmos et celle des premières galaxies, peut-être qu’une période intermédiaire a existé, durant laquelle ces LRD ont été des foyers gravitationnels embryonnaires, autour desquels la matière s’est agrégée avant de former les premières galaxies. Si tel était vraiment le cas, il faudrait inverser la hiérarchie cosmique comme nous la concevons aujourd’hui : les galaxies n’auraient pas nourri les trous noirs ; ce sont eux qui leur auraient donné naissance.

  • Le télescope James Webb a identifié un trou noir colossal, J1007_AGN, déjà formé seulement 700 millions d’années après le Big Bang ; une énigme pour la physique actuelle.
  • Sa masse et sa croissance fulgurante défient les modèles connus : il semble avoir évolué bien plus vite que ce que les lois de l’accrétion autorisent.
  • Cette découverte laisse entrevoir un scénario où les premiers trous noirs auraient précédé les galaxies, bouleversant la chronologie admise de la formation cosmique.

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