Après avoir passé dix ans dans une prison sibérienne pour raisons politiques, Mikhaïl Khodorkovski, autrefois magnat du pétrole avec son entreprise Ioukos puis devenu leader de l’opposition russe, vit désormais à Londres. Interrogé par le quotidien britannique The Times, il a été surpris de figurer sur une liste de personnes accusées par le Kremlin d’avoir fomenté un coup d’État. Au total, vingt-deux politiciens, hommes d’affaires ou militants en exil ont été inculpés par le FSB, les services secrets russes.
Aux côtés de Mikhaïl Khodorkovski, l’ancien Premier ministre Mikhaïl Kassianov ou encore le dissident russo-britannique Vladimir Kara-Mourza, libéré de prison en août 2024. Tous appartiennent au Comité russe contre la guerre, qui fédère les opposants au régime. Selon le FSB, Mikhaïl Khodorkovski agirait en sous-marin pour renverser le gouvernement. L’homme d’affaires soutiendrait même des unités paramilitaires ukrainiennes et recruterait en Russie. Selon l’intéressé, ces accusations sont mensongères et témoignent de l’inquiétude croissante du président Vladimir Poutine autour de sa succession.
«Je ne dispose d’aucune information privilégiée, mais ces accusations montrent qu’ils s’inquiètent de la transition du pouvoir après Poutine», déclare au Times celui qui fut un temps l’homme le plus riche de Russie. Depuis quatre-vingts ans, tous les dictateurs ont quitté le pouvoir à l’âge de 70 à 80 ans. Poutine en a 73, il commence à y penser.»
Ce sujet est tabou, mais pas totalement nié par Moscou. Interrogé en mai par la chaîne de télévision Rossiya 1, Vladimir Poutine a admis «réfléchir constamment» à la personne qui le remplacera, affirmant «étudier plusieurs candidats». En théorie, la Constitution russe prévoit qu’en cas de décès ou d’incapacité du président, le Premier ministre –actuellement Mikhaïl Michoustine– assure l’intérim. Mais pour les analystes, ce scénario ouvrirait une période d’instabilité politique et à une guerre de succession entre prétendants au pouvoir.
Mikhaïl Khodorkovski y voit, lui, la seule opportunité pour les défenseurs de la démocratie: «Si nous manquons cette occasion, il y aura une nouvelle période de consolidation du régime. Dans l’entourage du président, personne n’a intérêt à poursuivre la guerre. Certains la soutiennent uniquement parce qu’elle reflète les désirs de Poutine.»
Sa succession, une corde sensible pour Vladimir Poutine
Au début du mois d’octobre, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE) a annoncé la création d’une «plateforme de dialogue avec les forces démocratiques russes en exil». Une initiative qui, selon Mikhaïl Khodorkovski, touche un point sensible au Kremlin. «Jusqu’à récemment, l’opposition était fragmentée, ce qui convenait parfaitement au régime. Mais depuis le début de la guerre, nous avons créé des organes qui l’ont largement consolidée. Dès que la transition du pouvoir commencera –et elle commencera à un moment donné– cette plateforme représentera un certain danger, c’est un véritable pôle alternatif.»
L’ancien PDG de Ioukos estime d’ailleurs que l’Occident représente environ 15% d’influence dans le jeu politique russe, un poids équivalent à celui des politiciens proeuropéens en Russie. «Le véritable art politique consistera à tirer parti de ces 30% pour exercer une influence significative.»
Reste que, pour l’heure, le scénario le plus probable demeure celui d’une succession verrouillée: un proche du président russe serait désigné, adoubé par l’appareil d’État et élu à l’issue d’un scrutin sous contrôle. Les noms qui circulent? Alexeï Dioumine, 53 ans, ancien garde du corps de Vladimir Poutine devenu secrétaire du Conseil d’État, ou Mikhaïl Michoustine, 59 ans, Premier ministre technocrate.
Si le numéro un russe décidait de partir volontairement, il pourrait désigner l’un de ses «enfants du Kremlin» –les descendants de fidèles alliés. On pense à Boris Kovaltchouk, 47 ans, chef de la chambre des comptes et fils du banquier Iouri Kovaltchouk, «le portefeuille de Poutine», ou Dmitri Patrouchev, 48 ans, vice-Premier ministre et fils de Nikolaï Patrouchev, pilier de la sécurité russe.