Dans ce documentaire sélectionné à Visions du Réel, Charlotte Nastasi et Emilie Cornu filment la « Road 190 », une route de soixante kilomètres reliant la prison de Livingston à Huntsville, lieu où l’injection létale est administrée. Un regard sur le microcosme carcéral et ses environs.
Depuis sa cellule de la prison de Livingston au Texas, Mabry, un condamné à mort, imagine le dernier trajet qui l’amènera un jour au lieu de son exécution. Outre cette terrible symbolique, les soixante kilomètres qui composent la Route 190 sont aussi composés de magnifiques paysages, d’une nature vibrante et de personnes qui y habitent et qui y travaillent. Toutes sont marquées par l’omniprésence carcérale.
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Une rencontre décisive
Amies de longue date, la réalisatrice Charlotte Nastasi et la criminologue Emilie Cornu se sont lancées dans un projet il y a cinq ans: celui de s’intéresser aux échanges épistolaires entre des femmes libres et des détenus, aux Etats-Unis. « En parlant avec ces femmes, on s’est rendu compte qu’il nous manquait le point de vue des hommes incarcérés, ceux qui recevaient ces lettres », explique Charlotte Nastasi dans l’émission Vertigo du 15 octobre.
Scène tirée du documentaire « Road 190 » d’Emilie Cornu et Charlotte Nastasi. [Outside the box]
« On a donc choisi d’écrire à une prison du Texas, parce que le couloir de la mort c’est là où les conditions sont les plus terribles. On a commencé à parler avec trois détenus et l’un d’entre eux c’était Mabry. Dans ses premières lettres, il nous parlait de son quotidien, de ses rêves, de l’espoir qu’il avait encore de sortir un jour de cette prison. Et il nous parle de la Route 190, de la signification de ce trajet, notamment pour lui qui est encore en train d’attendre une date d’exécution. Quand on a lu ces mots, on s’est dit qu’il y avait quelque chose à faire et qu’il fallait voir ce qui se passe au bord de cette route », poursuit la réalisatrice.
Un double regard
Après deux ans d’échanges avec Mabry, les deux femmes partent pour le Texas et sa fameuse « Road 190 ». Pendant trois ans, Charlotte Nastasi et Emilie Cornu rencontrent les habitants du coin et leur posent des questions. « On a sillonné cette route en voiture et on s’arrêtait dans le bar du coin, chez le taxidermiste, acheter du poisson. On arrivait et on leur demandait: ‘Qu’est-ce que ça fait de vivre dans cet endroit où il y a le couloir de la mort et la chambre d’exécution, mais aussi huit prisons autour de vous?’ Et en fait, la réponse était toujours un peu la même. ‘Cela ne fait rien du tout. On est habitué à ça’, explique Charlotte Nastasi. Et donc on s’est dit qu’en les filmant dans leur quotidien, dans leurs habitudes, on pourrait faire ressortir justement cette obsession à la sécurité, ce rapport à la mort, cette peur de l’autre ».
>> A écouter, l’interview de Charlotte Nastasi et Emilie Cornu dans Vertigo : Les invitées : Charlotte Nastasi et Emilie Cornu « Road 190 » / Vertigo / 18 min. / le 15 octobre 2025
Un regard, sans jugement, partagé par Emilie Cornu. « En tant que criminologue, j’avais envie de raconter quelque chose par rapport à ça, par rapport à cette humanité que moi je vois chez les personnes en détention, mais qui leur est souvent ôtée pour les gens qui ne les voient pas. Donc, ça, c’était ma motivation première. Après, j’ai aussi la conviction qu’il faut abolir la peine de mort, alors en faisant ce projet, ça me donnait l’impression de pouvoir apporter ma pierre à l’édifice de l’idée abolitionniste ».
Des propos recueillis par Anne Laure Gannac
Adaptation web: Sarah Clément
« Road 190 », de Charlotte Nastasi et Emilie Cornu. A voir dans les salles romandes depuis le 15 octobre 2025.