Le rapport du marché du travail du mois d’octobre publié le 14 octobre (incluant les données à fin août et des estimations préliminaires de l’emploi salarié pour le mois de septembre) suggère une poursuite du processus progressif de réduction des tensions, débuté il y a trois ans.
En ligne avec notre prévision, le taux de chômage des personnes âgées de plus de 16 ans progresse à 4,8% sur les trois mois à fin août, contre 4,7% en juillet et 4,1% il y a un an. Le taux de chômage atteint un plus haut depuis mai 2021.
L’emploi selon la Labour Force Survey (LFS) s’inscrit en légère baisse sur les trois derniers mois à fin août (-22 000 par rapport aux trois mois à fin juillet). C’est une première depuis le mois de mars. Le taux de croissance de l’emploi affiche ainsi un ralentissement pour le troisième mois consécutif à 1,4% sur un an, contre un pic à 2,3% en mai. Ce rythme de croissance demeure relativement élevé et supérieur à sa moyenne de long terme. Néanmoins, le taux d’emploi baisse à 75,1%, contre 75,2% en juillet et demeure inférieur à son niveau d’avant-Covid (76,5%).
L’office des statistiques nationales (ONS) note que les résultats de la LFS sont toujours entourés d’incertitude en raison d’une faiblesse du taux de réponse à l’enquête, ce qui rend leur interprétation difficile et nécessite la prise en compte d’indicateurs alternatifs. Les données de l’administration fiscale et douanière (HMRC), notamment, seraient plus fiables que la LFS pour juger de l’état du marché du travail, bien que ces données n’intègrent pas les auto-entrepreneurs. Contrairement à la LFS, ces données montrent une détérioration de l’emploi depuis environ un an, ce qui est également compatible avec les enquêtes auprès des entreprises dans le secteur privé telles que les PMI (enquêtes auprès des directeurs d’achat). Les emplois salariés enregistrés auprès de l’administration fiscale enregistrent une chute de 10 000 au mois de septembre (estimation préliminaire), et de 100 000 sur un an (-0,3%). En revanche, en raison d’un rebond au mois d’août, les emplois salariés sont stables sur les trois derniers mois. Il y a 30,3 millions d’emplois salariés en septembre, selon l’estimation préliminaire, en baisse de 0,4% par rapport au plus haut d’octobre 2024.
Si l’emploi s’infléchit, ce n’est pas encore dû à une hausse des licenciements. Ils sont stables à des niveaux bas et inférieurs à leurs niveaux de début de l’année.
Cela suggère qu’à ce stade les conditions sur le marché du travail ne sont pas encore détériorées au point de conduire à des hausses des suppressions de poste. En revanche, la demande de main-d’œuvre continue de diminuer. Le nombre de postes vacants baisse à 717 000 sur la période de juillet à septembre (-9 000 par rapport aux trois mois à fin juin), un niveau inférieur à ceux d’avant-Covid et en baisse de 45% par rapport au pic de 2022. Il y a désormais 2,4 chômeurs par poste vacant, au plus haut depuis mars 2021 et contre un plus bas à 1 au T2-2022.
Fait intéressant, les enquêtes Business Insight de l’ONS suggèrent que le développement de l’IA ne serait pas sans conséquence pour l’emploi. Environ un quart des entreprises interrogées utilisent une forme d’IA en septembre, une proportion en hausse constante depuis septembre 2023. En outre, 4% de ces entreprises envisagent de réduire leurs effectifs en raison de l’utilisation de ces technologies. Cette proportion augmente à 7% pour les entreprises qui prévoient d’adopter une technologie d’IA dans les prochains trois mois.
Côté offre, la population inactive remonte légèrement sur les deux derniers mois (+42 000), interrompant sa tendance baissière observée depuis le T2-2024. Ce rebond est largement dû à la poursuite de la hausse du nombre de personnes inactives à cause d’une maladie de longue durée (leur nombre dépasse désormais 2,8 millions, soit 5% de la population en âge de travailler). Une baisse des inactifs étudiants et des personnes restant à la maison pour des raisons familiales semble expliquer l’essentiel du recul de la population inactive depuis un an.
Le taux de participation progresse 63,9% sur les trois mois à fin août, en hausse de 1,1 point de pourcentage depuis 2023. Il se situe à son plus haut depuis le début de la pandémie en février 2020.
La combinaison d’une hausse du taux de participation et d’une baisse de la demande de main-d’œuvre diminue les tensions sur les salaires. La croissance des salaires a reculé à 4,7% sur les trois derniers mois à fin août, contre 4,8% sur les trois mois à fin juillet et près de 6% en début d’année. Cette modération est le fait du secteur privé : la croissance des salaires y diminue à 4,4%, contre 4,7% en juillet et près de 6% en début d’année. Dans le secteur public, en revanche, les salaires accélèrent à 6% sur un an, contre 5,6% précédemment.
Selon l’ONS, des hausses de salaires étant intervenues en 2025 au lieu de 2024 expliqueraient cette accélération, mais la hausse du salaire minimum national (National Living Wage) de 6,7% en avril dernier a sans doute joué un rôle significatif. Après le secteur public, ce sont les secteurs de la vente au détail, de l’hôtellerie et de la restauration qui enregistrent la plus forte croissance des salaires. L’emploi de main-d’œuvre peu qualifiée, et donc faiblement rémunéré, y est le plus utilisé.
Corrigée de l’inflation des prix à la consommation (indice CPI), la croissance des salaires réels a continué de diminuer. Elle atteint 1% sur un an, au plus bas depuis deux ans. Elle devrait baisser fortement d’ici la fin de l’année, avec la poursuite de la modération des salaires, tandis que l’inflation restera élevée.
Selon l’enquête des Agents de la BoE sur les salaires (BoE’s Agents Pay survey), les accords salariaux sont en baisse, ce qui conforte les prévisions de poursuite de la modération de la croissance des salaires (à 3,75% en 2025 et à 3,25% en 2026 dans le privé, selon les anticipations de la BoE).
Cette modération devrait conduire à son tour à une baisse de la croissance du coût du travail et à un recul de l’inflation dans les services. La croissance des salaires reste toutefois élevée et la BoE demeure vigilante quant au risque que l’inflation élevée (en hausse à 3,8% en août pour le CPI) puisse conduire à davantage de pressions haussières dans le processus de fixation des prix et des salaires des entreprises.
Notre opinion – Le taux de chômage évolue globalement en ligne avec la loi d’Okun (sa relation historique avec la croissance du PIB) : le ralentissement de l’économie britannique a conduit à une hausse progressive du taux de chômage depuis un plus bas de 3,6% au T2-2022 à 4,7% au T2-2025. Il se situe au-dessus de son niveau d’équilibre de moyen terme (estimé à environ 4,5% par la BoE) et devrait augmenter encore légèrement dans les prochains mois (à 4,9% anticipé d’ici la fin de l’année), puisque la croissance est sur le point de ralentir en raison du contrecoup des droits de douane.
La hausse du taux de chômage a jusqu’à présent été surtout due au retour sur le marché du travail d’une partie des inactifs de la période post-Covid, notamment parmi les étudiants. C’est un développement positif pour les perspectives de croissance de long terme. Cependant, cette tendance semble s’être interrompue récemment. Le nombre d’inactifs en raison de maladie de longue durée reste élevé et est reparti à la hausse récemment.
C’est désormais la faiblesse de la demande de main-d’œuvre, et non l’amélioration côté offre, qui explique la hausse du taux de chômage. La hausse du salaire minimum légal (National Living Wage) et des contributions patronales en avril pèsent sur l’emploi, dans un climat des affaires détérioré en raison des droits de douane américains et des difficultés budgétaires du gouvernement. Les données d’enquêtes PMI de septembre suggèrent une accélération du rythme de contraction de l’emploi, en particulier dans les services, sur fond d’affaiblissement de la demande. Celui-ci est lié à un recul des exportations, à une baisse de la confiance des ménages et à des reports des décisions d’achats des entreprises dus à l’incertitude politique en amont du budget de l’automne. D’autres enquêtes suggèrent également des baisses des effectifs en lien avec l’adoption par les entreprises de technologies de l’intelligence artificielle, un processus qui concerne encore une faible part des entreprises, mais qui est voué à se poursuivre.
Quelles implications pour la politique monétaire ? La hausse de l’excès de capacités inutilisées sur le marché du travail n’est pas encore suffisamment forte pour faire changer d’avis les membres les plus hawkish du comité de politique monétaire (MPC). En revanche, il est de nature à rassurer la majorité du MPC, dont la tonalité des discours est devenue plus agressive depuis août. La détente du marché du travail se poursuit et pèse sur la croissance des salaires. Ainsi, la probabilité de voir se matérialiser le risque d’une boucle prix-salaires, qui menacerait le scénario de baisse soutenable de l’inflation à la cible de 2% à moyen terme, diminue.
Néanmoins, la banque centrale devrait mettre en pause au T4-2025 son processus d’assouplissement monétaire. Cela est justifié par l’inflation toujours trop élevée, en particulier dans les services (4,7% en août), et par la hausse des anticipations d’inflation des ménages, suscitant des craintes au sein du MPC d’effets de second tour sur les salaires. L’inflation britannique demeure la plus élevée parmi les pays du G7. Elle devrait augmenter temporairement à court terme (4,1% anticipés en septembre), avant de rechuter en 2026 en dessous de 3%, en raison d’effets de base au printemps. L’année prochaine, la BoE devrait donc pouvoir poursuivre son cycle de baisses de taux grâce à la modération anticipée de la croissance des salaires qui devrait finir par faire reculer l’inflation dans les services. Nous anticipons deux baisses du taux directeur au premier semestre de l’année prochaine, qui passerait de 4% à 3,5%.
Article publié le 17 octobre 2025 dans notre hebdomadaire Monde – L’actualité de la semaine