Malgré le choc et la déception qu’ils entraînent, les derniers éléments rendus publics dans l’affaire Epstein laissent peu de place au doute. Non seulement Élisabeth II avait connaissance de certaines des dérives de son fils Andrew, mais la reine a même fait tout son possible pour le préserver du scandale.

Au lendemain du renoncement du prince à faire usage de son titre de duc d’York, le Mail on Sunday dévoilait un e-mail d’Andrew adressé à Ed Perkins, le secrétaire de presse de la reine, daté de début 2011. À quelques heures de la publication du témoignage Virginia Giuffre, qui accusait le prince d’agression sexuelle alors qu’elle n’avait que 17 ans – un propos appuyé par une photo d’eux -, Andrew informait Perkins qu’il avait demandé à son officier de protection personnel, un agent payé par le contribuable, de mener des recherches pour trouver des éléments compromettants pouvant discréditer son accusatrice. 

Quatorze ans plus tard, la révélation de ce courriel vient d’entraîner l’ouverture d’une enquête de la part de Scotland Yard. En effet, les officiers de protection royaux sont tenus de rapporter ce genre d’incident auprès de leur hiérarchie, au sein de la Metropolitan Police de Londres. L’enquête exhumera-t-elle des traces de cette demande dans les archives des autorités ? De la même façon, si Ed Perkins, l’un des plus proches collaborateurs de Sa Majesté, a été mis au courant de la manœuvre d’Andrew, alors comment la reine aurait-elle pu l’ignorer ? 

Un jubilé préservé puis après elle, le déluge

Début 2022, menacé par Virginia Giuffre d’un procès au civil aux États-Unis, Andrew remettait à la reine ses titres militaires et ses parrainages royaux. S’il a toujours nié les faits, et assuré même trois ans plus tôt à la BBC n’avoir aucun souvenir de cette jeune femme, Andrew s’engageait par ailleurs à verser une somme estimée à 12 millions de livres sterling à Virginia. Un accord destiné à éviter une action en justice, qu’il n’aurait pu conclure sans l’aide financière de sa mère la reine. La souveraine aurait alors pioché dans sa cassette personnelle, alimentée par les revenus du duché de Lancastre.

Comme le raconte la victime du trafic d’Epstein dans son autobiographie posthume, Nobody’s Girl, A Memoir of Surviving Abuse and Fighting for Justice, cet accord contenait aussi une clause de confidentialité qui lui interdisait d’évoquer l’affaire pendant un an. Objectif : épargner le jubilé de platine de la reine, qui n’était pas sans se savoir mourante. Cet accord garantissait d’une certaine manière à Sa Majesté que le déluge ne s’abatte qu’après elle. Nous y sommes.

« La reine était complice »

« Andrew était le talon d’Achille d’Élisabeth II. Elle a agi comme une mère au lieu d’agir comme la souveraine », nous confiait en août déjà Andrew Lownie. Après quatre ans d’enquête, l’historien britannique publiait Entitled : The Rise and Fall of the House of York, ouvrage dans lequel il décrypte l’ascension suivie de la chute vertigineuse du (désormais ex) couple d’York. Pour Lownie, Andrew a grandi avec un sentiment d’impunité parce que sa mère l’adorait. Aveuglément. 

La reine et son fils Andrew aux Badminton Horse Trials, en 1973.La reine et son fils Andrew aux Badminton Horse Trials, en 1973. © Tim Graham Photo Library/Getty Images

« Il restait son préféré malgré tout. La reine pensait que les affaires pouvaient être enterrées plutôt que traitées. En vieillissant, elle ne voulait plus de conflits. Alors, elle a préféré mettre la tête dans le sable en espérant que le problème disparaîtrait. Elle était sa grande protectrice. » Dans une nouvelle interview au Times, l’auteur ajoute à propos des dernières révélations en date : « C’est ce qui m’a choqué, la dissimulation du Palais. Ils savaient pertinemment ce qui se passait. Ça ne va pas plaire, mais la reine était complice. J’ai d’abord pensé qu’elle se mettait simplement la tête dans le sable. Mais je suis de plus en plus convaincu qu’elle savait pertinemment ce qui se passait et qu’elle l’a laissé faire. »

Les cadets, éternels maillons faibles des familles royales

Pourquoi la reine Élisabeth avait-elle tant de clémence pour son deuxième fils ? Né en 1960, Andrew est son troisième enfant mais le premier à naître après son accession au trône. Le premier dont elle se soit vraiment occupée dans son enfance, comme une mère. Andrew la faisait rire, une qualité à laquelle la reine était très sensible. Peut-être lui rappelait-il aussi le destin malheureux de sa propre sœur cadette, la princesse Margaret… Élisabeth savait combien il est difficile de vivre dans l’ombre d’un monarque ou d’un aîné, et ne s’est jamais pardonnée d’avoir ruiné la vie amoureuse de sa sœur. Alors, avec l’âge, elle a tenté de se montrer plus souple avec d’autres « spares », son fils Andrew et son petit-fils Harry.

Une théorie soutenue par l’historien Robert Hardman. « Les gens se demandent pourquoi la reine a été si indulgente envers Andrew ou Harry. Je pense que c’est parce qu’elle voyait en eux le reflet de son père, qui était lui aussi un « remplaçant », et qu’elle éprouvait une grande sympathie pour sa sœur Margaret, qui n’a jamais réussi à trouver sa place dans la vie » explique-t-il dans un podcast.

Et maintenant, que va devenir Andrew ?

Ce mercredi 22 octobre, la député de York Central Rachael Maskell doit présenter devant la Chambre des communes un projet de loi qui donnerait au roi Charles III le pouvoir de révoquer la pairie et le titre de duc d’York au prince Andrew. Le monarque pourrait le faire de sa propre initiative, sur recommandation d’une commission parlementaire ou à la demande de la personne qui détient le titre.

Par ailleurs, le chef du Parti libéral démocrate a demandé la création d’une commission d’enquête sur le Crown Estate et la convocation du prince Andrew pour témoigner des conditions de son bail pour occuper le Royal Lodge. L’avenir pourrait bien réserver quelques nouveautés du côté de la monarchie britannique.

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