Fabio Quartararo arrive à pied, marchant sur le sable de Smiths Beach, la plage voisine du circuit de Phillip Island. Il vient de passer une semaine à Gold Coast, où il a adopté le rythme de vie local : se lever tôt, s’entraîner sous le soleil, manger et se promener, et se coucher à la tombée de la nuit.

Bien qu’il se batte depuis plusieurs années avec une Yamaha dans laquelle il a de plus en plus de mal à avoir confiance, le champion du monde 2021 semble détendu lors de cette interview qu’il accorde à Motorsport.com, au bord de la mer de Tasmanie. À l’heure où il est en train de décider de son avenir au-delà de son contrat dont l’échéance est fixée pour 2026, cette tranquillité est probablement le signe le plus inquiétant pour le constructeur japonais.

Fabio, tu es arrivé en MotoGP de manière assez inattendue. Y a-t-il quelque chose qui te manque du Fabio plus anonyme que tu étais avant ?

Je ne pense pas. Mon arrivée en MotoGP a été un peu improvisée. Je l’ai fait à un moment où Petronas cherchait un pilote, et il y en avait beaucoup mais j’ai pu faire les deux meilleures courses de ma vie en Moto2, et c’est ça qui m’a permis de faire le grand saut.

Ta vie a basculé grâce à cette opportunité. Penses-tu parfois à ce qui se serait passé si ça n’était pas arrivé ?

C’était ma deuxième année en Moto2, j’étais de plus en plus rapide. La saison suivante, j’aurais pu être plus compétitif, mais on ne sait jamais. Quand l’occasion de courir en MotoGP se présente, il faut la saisir. L’année suivante, le moteur Triumph est arrivé, et je ne m’y serais peut-être pas adapté aussi rapidement.

Ton cercle d’amis proches a-t-il beaucoup changé ? As-tu gardé tes amis d’enfance ou de l’école ?

Je n’ai pas d’amis d’école, parce que je n’y suis pas beaucoup allé et qu’à 14 ans, je suis parti vivre à Alicante avec celui qui était alors mon agent. Ça m’a fait mûrir plus vite. Mon meilleur ami a cinq ans de plus que moi, et je suis toujours entouré de personnes plus âgées. Depuis que je suis en MotoGP, j’ai appris à restreindre mon cercle de confiance. Quand on commence à obtenir de bons résultats, à gagner de l’argent, etc., on se fait beaucoup de nouveaux amis. Je sais très bien qui m’aime pour ce que je suis, et non pour ce que j’ai.

Fabio Quartararo en interview avec Motorsport.com

Fabio Quartararo en interview avec Motorsport.com

D’après ce que l’on voit sur tes réseaux sociaux, on a l’impression que tu prends beaucoup soin de tes proches. Tu es encore jeune, tu as 26 ans, mais est-ce que fonder une famille fait partie de tes projets d’avenir ?

Je suis très attaché à ma famille parce que je la vois peu. Et il est clair que je veux fonder une famille, mais je ne le recherche pas non plus. Quand la bonne personne se présentera, quand je la trouverai, ce sera le moment de franchir le pas. Et ce n’est pas une question d’âge. Si elle se présente demain, tant mieux ; sinon, j’attendrai le bon moment.

En 2022, j’étais sur le point de quitter Yamaha, mais je venais de remporter le titre en 2021 et j’étais en tête du championnat, alors je ne l’ai pas fait.

Yamaha t’a donné l’opportunité de faire tes débuts en MotoGP. Dans quelle mesure cela a-t-il pesé dans la dernière prolongation de ton contrat ?

En 2022, j’étais sur le point de quitter Yamaha, mais je venais de remporter le titre en 2021 et j’étais en tête du championnat, alors je ne l’ai pas fait. Ensuite, la prolongation jusqu’en 2026 a été due au fait que je me fiais à ce que j’avais vu de l’évolution de la moto, à ce que je pensais qu’il allait se passer cette année.

Et ça ne s’est pas passé comme je l’avais prévu, on ne s’est pas améliorés. J’espère que la moto de 2026 sera meilleure. Plus qu’une question de leur devoir quelque chose, il s’agissait d’évaluer le pour et le contre. La chance que j’ai donnée à Yamaha pour ces deux années était clairement la dernière. Je dois dire qu’il y avait aussi une part d’ego de ma part, car je voulais revenir au sommet avec cette moto.

On a déjà eu cette conversation auparavant et, malheureusement pour les deux parties, la situation n’a pas beaucoup changé depuis un an. Que doit faire Yamaha pour que tu ne partes pas ?

Ils doivent trouver une solution.

La chance que j’ai donnée à Yamaha pour ces deux années était clairement la dernière.

Est-ce qu’il reste encore du temps pour ça ?

Il reste peu de temps, très peu. J’espère que Yamaha réussira en quelques mois ce qu’ils n’ont pas réussi à faire en plusieurs années. Car moi non plus, je n’ai plus beaucoup de temps, c’est évident. Je n’ai plus beaucoup de temps pour réaliser mes rêves.

Le marché s’ouvre de plus en plus tôt. Est-ce que ça bouge déjà ?

Plutôt que de commencer à bouger, je réfléchis intérieurement à ce que je voudrais, à ce que je serais prêt à faire. Mais il est certainement prématuré de parler déjà de cet avenir. Le fait est qu’effectivement, le marché commence à bouger de plus en plus tôt et il ne faut pas dormir.

Ses performances en qualifications ne suffisent pas à satisfaire Fabio Quartararo.

Ses performances en qualifications ne suffisent pas à satisfaire Fabio Quartararo.

Photo de: Gold and Goose Photography / LAT Images / via Getty Images

Certains pilotes, et pas seulement en moto, affirment être en paix avec eux-mêmes et avec ce qu’ils ont déjà accompli dans le cas où ils devaient prendre leur retraite. C’est le cas, par exemple, de Marc Márquez, qui le disait déjà avant de remporter son dernier titre, ou de Fernando Alonso. Toi, si tu devais prendre ta retraite maintenant, avec le palmarès que tu as aujourd’hui, serais-tu satisfait ou bien est-ce qu’il te resterait des choses à accomplir ?

Il me resterait beaucoup de choses à accomplir. Je suis vraiment heureux, car le plus grand rêve de ma vie a toujours été d’être pilote de MotoGP et de remporter le championnat, et j’y suis parvenu. Mais je ne suis pas satisfait de ce que j’ai accompli compte tenu du potentiel que j’ai actuellement.

Je sais que je suis bien meilleur aujourd’hui qu’en 2021, quand j’ai été champion. Et après ces trois années où j’ai traversé des moments vraiment difficiles, je sais ce que j’ai appris et ce que c’est que de se battre tout en ayant une moto qui n’est pas à la hauteur. Je suis un gagnant et je sais ce qu’il me reste à accomplir avant de prendre ma retraite et de m’estimer satisfait.

 

Je n’ai plus beaucoup de temps pour réaliser mes rêves.

Ce qui est évident, c’est que chaque fois que tu as eu l’occasion de démontrer ton talent, tu l’as fait. En te mesurant aux autres pilotes Yamaha, as-tu eu le sentiment que tu étais un peu seul à mener l’équipe ?

Ce n’est pas que je me suis senti seul, mais sur un tour, j’ai pu faire beaucoup mieux qu’eux. Ça a toujours été mon point fort, dès ma première année en MotoGP. Très souvent, en qualifications, j’ai terminé troisième ou cinquième, et je sais exactement où je perds : ça peut être au niveau du moteur, du grip ou d’autres choses qui ne dépendent pas directement de moi. En course, j’ai toujours donné le maximum. On a vu qu’en Indonésie, Álex a réussi à être deuxième [à un moment de la course], mais ce qui compte, c’est comment ça se termine, or on savait déjà qu’avec les pneus que l’on a, on ne peut pas pousser davantage.

Fabio Quartararo défend de nouvelles méthodes chez Yamaha.

Fabio Quartararo défend de nouvelles méthodes chez Yamaha.

Photo de: Gold and Goose Photography / LAT Images / via Getty Images

Comment la gestion au sein de Yamaha, et la communication avec toi en particulier, ont-elles changé avec le remplacement de Lin Jarvis par Paolo Pavesio ?

Je ne parle pas beaucoup avec Paolo. Les personnes qui m’intéressent sont celles qui sont dans le box. Je parle davantage avec les ingénieurs qu’avec lui. Lors d’une de mes visites au paddock de Formule 1, j’ai vu des choses très intéressantes que l’on n’exploite pas. On a organisé une réunion, changé certains systèmes, et je pense que ça s’est plutôt bien passé.

Sans entrer dans les détails, que tu ne préciseras évidemment pas, s’agissait-il de questions opérationnelles ou plutôt techniques ?

Pas de problème, je peux entrer dans les détails. Il s’agissait en réalité d’augmenter la quantité d’informations dont dispose le pilote, qui est beaucoup plus importante en Formule 1. Par exemple, sur les pneus. On savait qu’on n’avait pas le potentiel de se battre pour la victoire, mais si on peut terminer cinquièmes au lieu de huitièmes, il faut essayer d’en profiter. Et pour ça, je dois disposer d’un maximum d’informations sur ce pneu, afin de savoir où je peux pousser, où je dois être plus attentif à la température. C’est ce que l’on ne faisait pas et on doit encore y travailler.

Tu fais référence à la gestion de la course quand elle est en cours ?

Exactement. Avoir un rapport sur le comportement des pneus tendres et des pneus durs, dans quels virages je dois pousser plus ou moins. Ce n’est pas quelque chose que je savais, et on s’est améliorés depuis le mois de mai.

Est-ce que tu reçois certaines de ces informations pendant la course ?

Je les reçois plutôt avant la course. Par exemple, en Indonésie, je savais déjà que je ne pouvais pas pousser autant qu’Álex [Rins]. Si je l’avais fait, on aurait sûrement été deuxième et troisième [ponctuellement], mais ensuite on aurait fini neuvième et dixième. J’ai préféré rester à ma place et terminer plus haut. Dans le passé, j’aurais probablement fait comme Álex et j’aurais terminé aussi loin que lui.

Et cette manière de travailler a-t-elle également été appliquée par Yamaha de l’autre côté du stand ?

J’ai donné l’idée ; ensuite, si les patrons pensent que c’est vraiment utile, ils l’appliquent aux autres pilotes, ce qui est, je pense, ce qu’ils font.

Que penses-tu de ce qu’a fait Marc Márquez ? Par rapport au fait qu’il se soit remis en question, qu’il ait renoncé à la dernière année d’un contrat très lucratif pour rejoindre une équipe satellite et sortir comme il l’a fait du tunnel dans lequel il était.

Je pense que lors de la dernière année de Marc chez Honda, on voyait déjà que la moto était trop importante et qu’il n’avait pas envie de se blesser davantage. J’ai vu un documentaire qui montrait le Sachsenring, où il avait gagné huit fois de suite et où, cette année-là, il n’avait même pas pu terminer la course à cause de ses nombreuses chutes. Pour moi, ce qu’il a fait est exemplaire. En deux ans, il est passé du fait de ne rien pouvoir faire à cause de la moto, au fait de gagner des courses la saison dernière, puis le titre mondial, haut la main, en 2025. En tant que pilote et en tant que personne, ce qu’il a accompli est spectaculaire.

Fabio Quartararo demande à Liberty Media de penser au bien-être des pilotes.

Fabio Quartararo demande à Liberty Media de penser au bien-être des pilotes.

Photo de: Gold and Goose Photography / LAT Images / via Getty Images

Il y a deux ans, tu n’avais certainement pas la situation financière que tu as aujourd’hui. L’exemple de Márquez ne t’incite-t-il pas à essayer quelque chose de nouveau ?

Les gens ont beaucoup parlé de mon dernier contrat, pour 2025 et 2026. Mais les chiffres des deux années précédentes ne sont pas très éloignés. Je ne suis pas resté chez Yamaha uniquement pour l’argent. Marc a quitté Honda à un moment où les autres équipes officielles avaient des contrats avec leurs pilotes. Mais bien sûr, le fait qu’il ait obtenu la meilleure moto sans tenir compte de l’aspect financier est une source d’inspiration.

Qu’ont remarqué les pilotes avec l’arrivée de Liberty ?

Pour l’instant, des choses qui nous nuisent. On n’a pas remarqué grand-chose de positif. Être en Indonésie, à l’avant de la grille, avec la fermeture éclair de la combinaison fermée par 50°C.

Avec l’arrivée de Liberty, pour l’instant, on a remarqué des choses qui nous nuisent.

Vas-tu essayer d’obtenir que certaines modifications soient apportées à ces protocoles ?

Il y a des courses où ça ne pose aucun problème. Être ici, en Australie, avec une combinaison fermée, ça n’a aucune incidence, on est bien. Mais ce serait bien qu’ils réfléchissent à ce que ressent le pilote pendant ces 40 minutes, avec la chaleur dégagée par la moto. Ils pourraient peut-être modifier un peu le programme.

Ce serait bien qu’ils pensent aux pilotes. C’est comme le nombre de personnes présentes dans le paddock. On ne voit pas ça en Formule 1. Je pense que ça devrait être beaucoup plus exclusif. Les pilotes de F2 et de F3 sont séparés. Ça doit changer un peu.

Il y a un an, tu as décidé de changer de manière d’être représenté, tu t’es séparé de ton manager et tu t’es associé à Thomas Maubant, qui est ton ami et ton assistant sur les courses. N’est-ce pas un peu vertigineux d’aborder ainsi la période du marché qui s’annonce ?

On est des hyènes, rien ne nous échappe. Quand on a mis ça en place, je devais négocier les contrats de 2024, alors on a de l’expérience. J’apprécie davantage la confiance que j’ai en lui que son expérience. Je sais ce dont il est capable et ce qu’il fera. Je n’ai donc aucun doute qu’il choisira la meilleure option.

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