La réputation de Rennes s’est-elle dégradée ces dernières années et, si oui, quelles en sont les conséquences ? En octobre, Le Mensuel de Rennes posait le débat. Or il se pourrait que la capitale bretonne soit surtout « face à ce que rencontrent la plupart des grandes villes françaises, souvent traitées sous l’angle médiatique autour des phénomènes d’insécurité », estime Christophe Alaux, agrégé de sciences économiques et sociales et dirige l’Institut de Management Public et Gouvernance Territoriale d’Aix-Marseille université. Directeur de la chaire « attractivité et nouveau marketing territorial », il interroge par ailleurs l’impact des classements.
Le Mensuel : Rennes souffre-t-elle d’une mauvaise réputation ?
Christophe Alaux : Non, à mon avis, Rennes ne souffre pas d’une mauvaise réputation. C’est juste qu’elle fait face à ce que rencontrent la plupart des grandes villes françaises, souvent traitées sous l’angle médiatique autour des phénomènes d’insécurité. Les grandes villes sont les territoires qui sont perçus, en France, comme les moins sûrs. Dès qu’on arrive sur des échelles de département ou de région, il n’y a aucune perception d’insécurité. Ces grandes villes vont avoir une image plus négative à cause des faits divers mais ça ne les empêche pas d’attirer habitants et touristes. En ce qui concerne les soldes migratoires, on voit que les grandes villes ne représentent que 17 % des endroits où les Français déclarent qu’ils voudraient vivre. Ils ont tendance à préférer les mêmes territoires que ceux où ils partent en vacances.
Quelle part de la réputation relève de la perception et quelle part peut être mesurée factuellement ?
Ce qui est déterminant, c’est la perception des gens. Le problème, c’est qu’on a beaucoup d’études sur la perception externe et peu sur la perception interne, face à laquelle les chiffres pèsent peu. A l’extérieur, on peut avoir parfois une représentation très négative de territoires où on n’est jamais allé, car nos images proviennent d’un traitement médiatique qui retient plutôt le spectaculaire. On sait en revanche peu de choses sur comment les habitants de Rennes perçoivent leur ville, notamment sur le terrain de l’insécurité, de telle manière qu’on pourrait comparer à d’autres communes.
La façon dont les habitants perçoivent leur ville joue aussi sur leur qualité de vie…
La bonne donnée, pour moi, serait le sentiment de sécurité. Et là, nous aurions besoin de savoir la perception de ceux qui vivent sur le territoire. Notre chaire « attractivité et nouveau marketing territorial » commence à développer ce genre d’études. C’est difficile d’apprécier l’avis de gens extérieurs qui peuvent venir deux jours quelque part sans y vivre au quotidien.
Quels indicateurs observer ?
On a une trentaine d’indicateurs. Comme celui de la qualité de vie, qui est très large. Mais aussi ceux de la préservation de l’environnement, de la facilité de se déplacer ou de se loger… Après viennent le patrimoine ou l’offre de loisirs. Enfin, on a créé un nouvel indicateur, « l’heureuseté ». On demande à 3 200 Français de répondre, sur une échelle de 1 à 10, à la question « Suis-je heureux de vivre ici ? » Au niveau de la France on a un score moyen de 7,4/10.
Bonne et mauvaise réputations peuvent-elles coexister ? Par exemple, New York a pu être vue comme un moteur de la croissance économique tout en souffrant d’une stigmatisation liée à la criminalité.
Il existe un noyau dur dans l’image d’un territoire. Je ne sais pas si la question de la sécurité peut faire basculer ce noyau si elle atteint un score très négatif. Néanmoins, nos études montrent que lorsque les gens perçoivent une insécurité dans une ville-centre, ils ont une plus forte propension à s’installer dans le périurbain.
Certains universitaires, comme Michel Grossetti, qualifient l’attractivité territoriale de « mythe ». Est-ce votre opinion ?
Ces chercheurs travaillent dans le domaine des sciences géographiques, à l’aide de statistiques et de cartes. Moi qui suis en sciences de la gestion, je vais interviewer des managers, des élus, des habitants ou des touristes avec des méthodes d’enquête scientifique. Ces universitaires voient l’attractivité sous le prisme des métropoles. Or des territoires ruraux comme la Manche ou l’Aveyron ou le Lot travaillent eux aussi l’attractivité. Des démarches basées sur l’humain se mettent en place et fonctionnent, comme accompagner des gens dans leur installation. Tout le monde ne réussit pas, mais l’attractivité est loin d’être un mythe, même si le terme est assez clivant. Cela dit, une métropole attire déjà des talents par elle-même. A-t-elle besoin d’en faire plus ?
Aujourd’hui, la porte d’entrée de l’attractivité se situe autour des questions développement durable, que ce soit pour les investisseurs ou l’événementiel. Ce n’est pas du greenwashing. Les agences d’investissement évaluent l’implantation de leurs projets par rapport à des labels, notamment.
Les classements qui fleurissent dans la presse ont-ils un véritable effet sur l’attractivité ?
Ça fait plaisir aux élus et vendre du papier, mais d’un point de vue scientifique, classer des territoires… Quel intérêt ? Notre chaire a créé « la boussole de l’équilibre territoriale », dont l’intérêt est de considérer un ensemble d’indicateurs. Les classements en sont un parmi d’autres. L’attractivité est une notion d’équilibre : on attire des ressources sur un territoire tout en gardant celles qu’on a déjà. L’objectif n’est pas, par exemple, d’attirer des touristes tout en faisant fuir les habitants. Ceci dit, tous les classements ne se valent pas. Nous prenons en compte celui d’Arthur Loyd et le Global Destination Sustainability Index, qui montre le développement durable dans une destination touristique.
Encore une fois, ces données sont à combiner avec la perception que les gens ont d’un territoire et la stabilité des réponses. Si on regarde la progression des endroits où les gens déclarent spontanément qu’ils voudraient vivre, la Bretagne truste depuis des années la 1re position. Elle est citée 400 fois sur 3 200 en 2024, tandis que Rennes l’est 27 fois. Cela montre que la Bretagne est une marque extrêmement forte.