© Denis Trossero – La bâtonnière de Marseille, Marie-Dominique Poinso-Pourtal (au micro), et son vice-bâtonnier étaient venus, le 3 septembre, soutenir les confrères marseillais pointés du doigt par le média Frontières.
Le 3 septembre dernier, l’audience avait été marquée par une très abondante présence de robes noires. Au premier rang, la bâtonnière de Marseille, Marie-Dominique Poinso-Pourtal, mais aussi le vice-bâtonnier Jean-Michel Ollier. Autour d’eux, au rez-de-chaussée du tribunal judiciaire de Marseille, une bonne cinquantaine d’avocats venus assister à ce procès à la haute valeur symbolique, de l’aveu de ces mêmes robes noires.
Au cœur du débat, le droit ou non de pointer du doigt un avocat dans le combat qu’il mène pour une cause ou pour une autre. Trois jeunes avocats marseillais avaient été ciblés, le 8 juillet 2024, au lendemain des législatives, présentés comme appartenant à la « dream team », un groupe informel constitué d’avocats volontaires pour défendre des manifestants ou des clandestins placés en garde à vue. Sur le réseau X (ex-Twitter), on pouvait ainsi lire :
« Avant même que les casseurs antifas ne dégradent plusieurs villes de France, trois avocats se rendent disponibles pour représenter les personnes interpellées ».
Un délit créé après la mort de l’enseignant Samuel Paty en 2020
Dès lors, les avocats cités avaient reçu des messages peu amènes en cascade : « Il faut changer de métier, ma chérie, car si vous êtes avocate, c’est grâce à la France » et ces autres, les apostrophant directement : « Racolage interdit par les avocats » ou « Défenseurs de ceux qui brisent la France et ses institutions »
Les avocats avaient déposé plainte auprès du procureur de Marseille, mais leur plainte avait finalement été classée sans suite. Du coup, ils avaient assigné directement devant le tribunal le directeur de la publication de « Frontières », Erick Tegner, 32 ans, pour « divulgation d’information personnelle permettant d’identifier ou de localiser une personne et exposant à un risque direct d’atteinte à la personne ».
Un délit nouveau inscrit dans le Code pénal par la loi du 24 août 2021, votée après l’attaque terroriste et la décapitation le 16 octobre 2020, de l’enseignant Samuel Paty dans son collège de Conflans-Sainte-Honorine (Yvelines).
Au procès, Me Vincent Pénard, pour le Conseil national des barreaux (CNB), avait refait le chemin de croix de ces trois « auxiliaires de justice » qui s’étaient juste mis à disposition des interpellés. Le Syndicat des avocats de France (SAF) et les trois avocats ciblés s’étaient également constitués parties civiles.
La défense : « une assignation imprécise »
En défense, Me Frédéric Pichon, pour le mis en cause, avait soutenu « l’imprécision de l’assignation », afin que celle-ci soit déclarée nulle.
« J’ai eu peur pour mon enfant ce jour-là, peur qu’ils aillent retrouver mon enfant à la crèche », avait indiqué à la barre l’un des avocats ciblés. « Je cherche juste à défendre tout le monde, avec mon humanité et mon humilité, avait expliqué un de ses pairs. Je fais ce métier sans considération d’opinion ni de race. Je suis là pour les défendre tous. » Le dernier avait déploré « un effet de meute extrêmement déstabilisant ».
© D.T – Me Vincent Pénard (à gauche) avait porté la voix du Conseil national des barreaux (CNB).
« A partir du moment, où vous vous manifestez publiquement pour une cause, c’est que vous assumez complètement », leur avait répondu Me Pichon, en défense.
« Est-ce que la ligne jaune a été franchie ? »
« Est-ce que la ligne jaune a été franchie? » demandera l’une des parties civiles. Dans leur décision rendue mercredi 22 octobre, les juges du tribunal correctionnel de Marseille considèrent que l’élément matériel de l’infraction est bien constitué, « compte tenu de la diffusion des noms et de la profession des parties civiles ». Mais il estime que l’élément intentionnel est « insuffisamment caractérisé ». L’infraction, ajoutent les juges, « nécessite un dol spécial », en l’occurrence la référence à « une dangerosité connue ». « La seule diffusion ne caractérise pas la volonté d’exposer les parties civiles à une atteinte directe », observe le tribunal.
Les avocats disposent d’un délai de dix jours pour faire appel de ce jugement.