ALAIN JOCARD / AFP
Marine Le Pen et Jean-Philippe Tanguy photographiés à l’Assemblée nationale le 15 octobre (illustration)
POLITIQUE – Les lepénistes le savent. Pour accéder au pouvoir, la crédibilité économique n’est pas une option. Et ce n’est pas Marine Le Pen, qui est passée de la fantasque sortie de l’euro en 2017 à l’orthodoxie budgétaire honteuse en 2025, qui dira le contraire. Ce jeudi 23 octobre, le RN présente donc son contre-budget, comme c’était déjà le cas l’an passé à la même période.
L’occasion pour le parti d’extrême droite de chasser, autant que possible, la mauvaise réputation dont il souffre sur le plan économique. Sur le fond, les principales orientations du RN en la matière sont connues. Il s’agirait d’aller chercher 100 milliards d’euros d’économie (oui oui) en cinq ans, avec l’objectif de faire passer, à terme, le déficit sous la barre des 3 % du PIB. Un seuil fixé par nos engagements avec l’Union européenne et que Marine Le Pen qualifiait de « viol démocratique » en 2012.
Sur le fond, le RN entend faire porter l’effort prioritairement sur les dépenses publiques. Comment ? En supprimant 80 agences ou opérateurs de l’État, en baissant le nombre de fonctionnaires ou instaurant la préférence nationale, notamment du côté de certaines aides sociales bénéficiant aux immigrés. Selon Le Monde, le RN estime à 25 milliards les économies qui pourraient être réalisées en actionnant le seul levier « immigration » de son plan.
Des économies surévaluées
La baisse de la contribution française à l’Union européenne ? 10 milliards. La lutte contre la fraude sociale et fiscale ? 15 milliards. Une meilleure organisation de l’État ? Entre 10 et 30 milliards d’économies. Sur le papier, le parti lepéniste dit avoir trouvé la formule permettant à la France de sortir de la spirale du déficit. Et en y regardant de plus près ? Pas vraiment. Et pour deux raisons.
La première, assez gênante pour le sérieux revendiqué, est que les économies envisagées par le RN apparaissent largement surévaluées. « Plusieurs évaluations ne me semblent pas raisonnables. En matière d’immigration, un rapport du Conseil d’analyse économique avait estimé en 2021 que l’impact de l’immigration sur les finances publiques se situait entre une perte de 0,5 % du PIB (– 15 milliards d’euros) et un gain de 0,5 % du PIB (+ 15 milliards d’euros). Même en retenant l’analyse la plus pessimiste (un coût net de 15 milliards), je ne vois pas comment arriver à un gain net de 25 milliards d’euros », juge dans une interview au Monde François Ecalle, ancien magistrat à la Cour des comptes et fondateur de Fipeco.fr, un site d’information sur les finances publiques.
Autre problème, certaines mesures préconisées, comme la préférence nationale pour certaines prestations sociales se heurtent à la Constitution. Les Sages se sont déjà prononcés sur le fond de ces mesures, qui figuraient initialement dans la Loi immigration de 2023 (laquelle a été largement retoquée par le Conseil constitutionnel). On peut aussi citer le rendement (très) incertain de la baisse de la contribution de la France à l’UE. Si effectivement un gouvernement arrivait après d’âpres négociations à obtenir à un rabais (ce qui est loin d’être évident), difficile d’affirmer à l’avance que les économies réalisées seraient de l’ordre de 10 milliards. Et qu’il faudrait donc les compter comme acquises pour bâtir un budget.
« L’ensemble paraît peu soutenable »
Au-delà des économies, la partie recettes fait également tiquer. Car le RN propose des baisses de TVA, que ce soit sur l’énergie ou les produits de première nécessité, afin de relancer la consommation. Soit près de 20 milliards de manques à gagner pour l’État en termes de recettes, qui ne seraient compensés par aucune entrée fiscale, puisque le RN entend préserver (voir accélérer) une politique de l’offre, en baissant certaines contributions pour les entreprises. Un positionnement visant à draguer les milieux patronaux assumé au RN. « Il faut d’abord réduire les dépenses, avant de penser à relever les recettes. On a aussi besoin de donner des signes encourageants aux entrepreneurs et acteurs, qui pensent de plus en plus à partir », explique à Public Sénat le sénateur RN Christopher Szczurek.
Certes, le RN envisage un semblant de « justice fiscale », qui passerait par l’instauration d’un impôt sur la fortune financière, dont le rendement est estimé à 4 milliards. Même si, en l’état, les intentions du parti lepéniste sont difficiles à suivre. Alors que Jean-Philippe Tanguy a l’air de tenir à la mesure, Laure Lavalette a eu du mal à dire du bien de la taxation des plus riches. « Moins de riches, ça ne fait pas moins de pauvres. Ça, pour le coup, c’est le logiciel de la gauche », défendait sur franceinfo celle qui est pourtant porte-parole du RN. Sur les plus hauts revenus, le parti de Jordan Bardella est néanmoins sûr d’une chose : l’hostilité à la taxe Zucman.
« La position de Marine Le Pen, et du Rassemblement national plus généralement, est la même que celle d’Emmanuel Macron », expliquait récemment au HuffPost l’économiste Gabriel Zucman, rappelant que l’argument consistant à épargner « les biens professionnels » est le même que celui utilisé par Sébastien Lecornu pour contester l’instauration de cet impôt plancher. Cité par le site (libéral) Atlantico, l’économiste Bertrand Martinot (expert associé à l’institut Montaigne) juge ainsi la copie globale très faible : « Au fond, le contre-budget du RN combine des baisses d’impôts coûteuses comme celle sur la TVA, de nouvelles taxes sur les grandes entreprises et quatorze milliards d’économies non documentées. L’ensemble paraît peu soutenable ». Le déficit de crédibilité semble (encore) loin d’être comblé.