Pas de rentrée littéraire sans le nouveau roman d’Amélie Nothomb. Depuis trente-deux ans, la mécanique est précise, fruit de quatre heures d’écriture quotidienne et matinale (de 4 h à 8h du matin), innégociable même dans les pires moments.
Ces romans sont courts (200 pages), pas toujours d’égale valeur : comment surpasser Soif qui reste un trésor ? Tant mieux, le nouvel opus. Cela aurait pu s’appeler le Livre de ma mère mais le titre est déjà pris par Albert Cohen en 1954. Car il s’agit bien de la vie d’Adrienne née le 17 janvier 1938, la mère de l’autrice : « J’ai voulu tellement l’écrire à la première personne. J’ai découvert que j’en étais incapable. C’eût été un artifice absolu. »
Astrid et Donatien ont deux filles Jacqueline et Adrienne, et une double vie : Donatien avec une Daisy et Astrid avec un Louis. Autant dire que la vie conjugale n’est pas paisible et que les engueulades homériques secouent le petit appartement bruxellois.
Nous sommes en 1942. La guerre disperse la famille : Jacqueline séjourne chez la grand-mère paternelle à Bruges ; Adrienne est déposée chez la grand-mère maternelle à Gand. Deux sœurs, deux grands-mères, deux traitements. Adrienne est enfermée avec une cuvette pour sa toilette et obligation de manger son vomi quand elle rend son repas fait d’harengs et de chicorée. « Tant mieux. C’était inexpiable. Tant mieux. Tant mieux ne consistait pas à se voiler la face mais à faire triompher la vie, la vitalité. Tant mieux. » C’est en effet comme la formule magique de la résilience.
Pourquoi la grand-mère maltraite-t-elle cette enfant ?
Chez sa grand-mère, d’abord, elle transforme une cuillère de bois en poupée puis découvre la présence d’un chat, Pneu, un gros chat qui pue et dort dans la chambre pestilentielle de la vieille dame. Pneu est peut-être la cause des déséquilibres maternels. Car Astrid, toujours pomponnée, tirée à quatre épingles, impeccablement maquillée, séductrice jusqu’au bout des ongles, Astrid, la mère aux amants, la femme fatale, a un vice, un de plus décidément mais de taille : elle déteste les chats au point de les tuer avec sadisme. Les chats du quartier disparaissent un à un. Adrienne sait bien que sa mère est la coupable : elle l’a vue de ses yeux vue.
Les parents se rabibochent un temps et une troisième grossesse est annoncée. L’événement métamorphose la petite Adrienne qui devient vite une petite maman pour le bébé et prend une étoffe, une ampleur, une féminité qui dépasse sa sœur aînée, Jacqueline.
A l’inverse de sa sœur, Adrienne voit, comprend et accepte, prenant sur elle des secrets parfois trop lourds pour une enfant. « Comment vivre avec un tel fardeau ? Elle se rappela qu’au catéchisme ; on lui avait expliqué le principe de la confession, mais se rendit compte soudain qu’elle ne croyait pas en Dieu. La foi lui parut incompatible avec les méfaits maternels. Et puis, à l’école, les religieuses étaient des femmes acariâtres qui ne cessaient de rabrouer les élèves. Les épouses de Dieu prouvaient, par leur aigreur, la déficience de l’époux. »
Cet agnosticisme sera isolé. « Mon père, écrit Amélie Nothomb, était mystique et vivait secrètement une foi profonde. Il respectait toutes les religions et avait un amour fou pour Jésus, dont j’ai hérité ».
C’est un roman familial où tout semble récalcitrant à cette petite Adrienne, une boule d’amour parce que c’est « tant mieux ». Un roman sur la mère, donc. Qui mérite un entretien avec Amélie Nothomb, entretien que vous pouvez retrouver en podcast sur vos plates formes habituelles.